L’ancien recteur de l’Université de Montréal, Robert Lacroix, et le sociologue Louis Maheu avaient publié en septembre 2010 un récit passionnant de la saga du CHUM de 1927 à nos jours, dont le sous-titre, Le CHUM : une tragédie québécoise, pouvait paraître quelque peu exagéré.
Les querelles politiques qui avaient provoqué un débat interminable et coûteux sur l’emplacement du futur hôpital universitaire étaient sans doute exaspérantes, mais ce livre pouvait être interprété comme l’expression de l’amertume ressentie par les promoteurs de son installation sur le site de la gare de triage du CP à Outremont, quand le gouvernement Charest avait plutôt opté pour celui de l’hôpital Saint-Luc.
Dans son récent rapport, le vérificateur général du Québec semble confirmer le tragique destin du CHUM, qui serait d’illustrer périodiquement une incapacité quasi congénitale à faire bon usage des fonds publics. Certains ont été presque soulagés de voir que les anglophones éprouvaient les mêmes difficultés, quand le CUSM est tombé sous la coupe d’un escroc comme Arthur Porter.
On conviendra aisément que l’administration d’un établissement de l’envergure du CHUM est complexe. Être même incapable de mettre fin à un contrat sans un coûteux détour par les tribunaux, comme il faudra vraisemblablement s’y résoudre pour régler le cas de l’ex-directeur général, Christian Paire, a néanmoins quelque chose de décourageant.
À une époque où tout le monde, des ingénieurs aux sénateurs, tente de s’enrichir sur le dos des contribuables, les profiteurs ne peuvent espérer aucune clémence. La frugalité n’était manifestement pas la vertu première de M. Paire, mais il serait trop facile d’en faire un bouc émissaire. Si le conseil d’administration du CHUM a manifestement manqué à son devoir de vigilance, le politique a encore une fois sa large part de responsabilité dans ce gâchis.
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En 2010, le vérificateur général avait dénoncé la façon dont le gouvernement Charest avait tripoté les chiffres, notamment en utilisant un « indice de vétusté » et un taux d’actualisation inexacts, de manière à surévaluer les avantages de la construction selon la formule de partenariat public-privé (PPP), qu’il privilégiait. Tout indique qu’on a aussi tourné les coins ronds pour permettre la venue de M. Paire, qu’on avait recruté à Rouen et qui était présenté comme un véritable sauveur.
Le vérificateur général reproche notamment à l’ancien président du conseil d’administration du CHUM, Patrick Molinari, qui était en poste au moment de l’embauche de M. Paire, en 2009, de ne pas avoir précisé aux membres du conseil les sommes attribuées aux différents volets de sa rémunération, ce qui ne leur permettait pas d’en apprécier la conformité.
Dans un texte publié mardi dans La Presse, M. Molinari a cependant rappelé que « la négociation des conditions d’emploi du directeur général a été conduite avec la participation continue du ministre de la Santé et des Services sociaux et de ses proches collaborateurs ». À l’en croire, « le moindre paragraphe » avait été scruté à la loupe.
Le vérificateur général estime que le conseil d’administration n’aurait pas dû permettre à M. Paire de toucher une prime additionnelle de l’Université de Montréal puisque le CHUM lui accordait déjà une prime de rendement, mais M. Molinari affirme que ses fonctions universitaires ont été autorisées « à la connaissance des instances régionales et ministérielles ».
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L’actuel ministre de la Santé, Réjean Hébert, a eu beau jeu de dénoncer « la façon libérale de gérer », reprochant à son prédécesseur, Yves Bolduc, l’empressement avec lequel il avait écarté l’ancien directeur général, Denis Roy, au profit de M. Paire, qui ne faisait pas l’unanimité au sein du comité de sélection.
On comprend facilement que les libéraux, qui reprochent quotidiennement au gouvernement d’avoir perdu le contrôle des finances publiques, préfèrent laisser le dossier du CHUM à la CAQ, qui avait déjà sonné l’alarme au printemps dernier et forcé la tenue d’une commission parlementaire devant laquelle plusieurs des irrégularités constatées par le vérificateur général avaient déjà été soulevées.
Le départ de M. Paire ne suffira manifestement pas à régler le problème. Dans un rapport remis à M. Hébert en début de semaine, dont La Presse a obtenu copie, deux « accompagnateurs » nommés par le ministère font état de « tensions évidentes » et d’un « climat de méfiance assez généralisé » entre certains membres du conseil d’administration du CHUM et son actuel président, Alain Cousineau, un libéral notoire que Jean Charest avait d’abord nommé à la présidence de Loto-Québec. M. Cousineau entend cependant terminer son mandat, qui n’arrive à échéance qu’en 2016. Il pourrait bien tenir le rôle principal dans le prochain acte de la tragédie du CHUM.
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