Québec -- Lors d'un passage à Québec à la mi-août, Jean Chrétien a affirmé qu'il trouvait Stephen Harper «niaiseux» d'avoir fait adopter une loi imposant la tenue des élections générales à date fixe. Déterminer la date des élections, «c'est le seul instrument que le premier ministre a, la seule carte qu'il peut jouer. Et je m'en suis servi avec efficacité deux fois», avait-t-il lancé avec la brutale bonhomie qui le caractérise. Décider de la date des élections, ce n'est pas la seule prérogative d'un premier ministre dans un système parlementaire britannique, tant s'en faut. C'est tout de même un avantage indéniable pour le chef du parti au pouvoir. Quitte à faire preuve d'un opportunisme crasse. Mais qui veut d'un premier ministre qui manquerait d'opportunisme, de le sens du «timing» qui est une qualité essentielle en politique?
Rien ne peut laisser penser que Jean Charest est à ce point différent de Jean Chrétien qu'il n'agira pas comme un politicien aguerri, ce qu'il est, et ne sautera pas sur l'occasion quand elle se présentera s'il est persuadé qu'il peut former un gouvernement majoritaire et, dans la même foulée, annihiler une fois pour toute l'Action démocratique du Québec.
Divers indices laissent croire que Jean Charest est tiraillé par la tentation de déclencher des élections dès cet automne, dans la petite fenêtre qui s'ouvrira entre le 21 octobre, date du début de la prochaine session, et les premiers jours de novembre. De petits indices subjectifs comme le sourire entendu qu'il affiche lorsque les journalistes lui posent la question à laquelle, d'ailleurs, il refuse posément de répondre. Mais il y aussi des faits tangibles: le chef libéral a demandé à son parti d'identifier dès maintenant 100 candidats dans autant de comtés, a appris Le Devoir. La liste des candidats est presque complète. C'est dire que Jean Charest sait déjà lesquels de ses députés ne se représenteront pas. Bref, il a demandé à son parti d'être fin prêt pour l'automne.
En octobre 2006, le chef libéral avait vu une fenêtre s'ouvrir alors que l'ADQ croupissait à 12 % dans les sondages. C'était avant l'irruption des accommodements raisonnables dans le débat public. Mais il a vite réalisé que ses troupes n'étaient pas prêtes. On connaît la suite: la quasi-défaite de mars 2007. Il s'est juré qu'on ne l'y reprendrait pas
Prenant appui sur la campagne fédérale, Jean Charest s'est posé en grand défenseur des intérêts du Québec, une posture qui lui sera fort utile lors d'élections au Québec. Jamais il n'est apparu aussi nationaliste. Alors que Mario Dumont et son parti se sont tout bonnement rangés derrière le Parti conservateur, Jean Charest a pris ses distances avec le parti de Stephen Harper. C'est un moyen sûr de couper l'herbe sous le pied de l'ADQ et de rendre caduque sa position autonomiste.
En outre, fait-on observer chez les libéraux, Jean Charest a la mémoire longue. Il ne se souvient que trop bien de la visite qu'a faite Stephen Harper à Mario Dumont dans son fief de Rivière-du-Loup en décembre 2007. Jean Charest n'a pas de cadeau à faire à Stephen Harper.
En intervenant comme il l'a fait dans la campagne fédérale, Jean Charest s'est livré à un numéro d'équilibriste. Il a donné des munitions au Bloc québécois, qui a vu sa cote remonter auprès de l'électorat. Or le dilemme est le suivant: plus il y aura d'élus bloquistes, moins Stephen Harper aura de chances d'obtenir une majorité. Un gouvernement conservateur minoritaire sera certes plus souple envers le Québec, croit-on dans les cercles libéraux. En revanche, plus il y aura de députés bloquistes, plus vigoureux sera le mouvement souverainiste et plus fort sera le Parti québécois dans certains comtés que les libéraux chercheront à prendre. Mais on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs.
Le contexte a changé
Aux yeux des stratèges libéraux, attendre au printemps prochain, après le dépôt du prochain budget, pour déclencher les élections semblait aller de soi il y a quelques mois à peine. Mais les perspectives économiques se sont assombries depuis. On sait déjà que la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, devra se résigner à présenter un budget 2009-2010 très austère. Si le Québec était entraîné dans une récession au début de l'an prochain en raison des déboires économiques des États-Unis, Jean Charest serait sans doute moins tenté d'aller aux urnes. Une récession, ce n'est jamais bon pour la popularité d'un gouvernement.
C'est pourquoi un autre scénario commence à se faire jour chez les libéraux: des élections en... 2010! Une fois la fenêtre du printemps 2009 fermée, une campagne à l'automne 2009 est à exclure en raison de la tenue des élections municipales. On se retrouve donc en 2010, date à laquelle les difficultés économiques seront choses du passé, du moins l'espère-t-on, et la reprise amorcée. Certains libéraux jugent donc que Jean Charest est placé devant le choix suivant: déclencher les élections cet automne ou attendre deux ans.
On l'a vu au Conseil général du PLQ de la semaine dernière où l'euphorie était palpable: bien des militants libéraux sentent que le moment est propice. Une majorité serait à portée de la main. Les derniers sondages vont dans ce sens: le PLQ recueille 41 % des intentions de vote, le PQ stagne à 32 % et l'ADQ est aux abois avec 16 %. Le taux de satisfaction envers le gouvernement est à un sommet, à 61 %.
Méfiance
Or, quand on analyse la situation comté par comté, les choses se compliquent pour Jean Charest. Chez les francophones, libéraux et péquistes sont au coude à coude. Des circonscriptions de la couronne nord de Montréal qui appartiennent à l'ADQ, comme Blainville, Masson ou Prévost, pourraient redevenir des fiefs péquistes. Le scénario est le même en Montérégie, où les comtés adéquistes de Laprairie, Marguerite-d'Youville ou Saint-Jean semblent prenables pour le PQ. Au centre du Québec, des courses à trois dans Shefford, Johnson ou Arthabaska, autant de comtés aux mains des adéquistes, pourraient avantager le PQ au détriment des libéraux. Quand ils regardent la carte électorale, les stratèges libéraux se demandent où ils feront des gains en dehors de la région de Québec. «Il nous en manque un peu pour aller en élections», confie un député libéral.
Les libéraux se méfient aussi des mouvements erratiques de l'ADQ dans l'opinion publique. Mario Dumont pourrait sortir un lapin de son chapeau, comme il l'a fait fin 2006 avec la question des accommodements raisonnables. «L'ADQ, c'est comme un planeur. Quand il pique du nez et qu'on pense qu'il va s'écraser, un courant chaud le fait remonter», observe un député libéral.
La réaction de l'électorat au Québec aux résultats des élections fédérales du 14 octobre sera déterminante, croit-on. Jean Charest pourrait voir dans l'élection d'un gouvernement conservateur majoritaire la raison qui lui manque pour se lancer en campagne dès l'automne. La population québécoise voudra sans doute compter sur un gouvernement fort à Québec pour défendre ses intérêts. Ce serait d'autant plus vrai si Stephen Harper obtenait sa majorité sans augmenter ses appuis au Québec de façon importante.
«Le seul moyen de se délivrer de la tentation, c'est d'y céder», écrivait Oscar Wilde. Mais le libre-penseur n'aurait peut-être pas fait un bon conseiller politique. Un choix risqué attend Jean Charest.
La tentation de Charest
Le premier ministre sautera-t-il sur l'occasion quand elle se présentera pour déclencher des élections ?
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé