Nous sommes dans un collège parisien des beaux quartiers, au lendemain de l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche. Le professeur d’histoire organise un débat sur le sujet. Un débat dans lequel tout le monde est prié de communier dans la désolation. Le jeune Simon, 14 ans, se rebelle : « Mais attendons de voir, pour l’instant, on ne sait pas. » Brouhaha, tollé, réprimande, tu devrais avoir honte, comment peux-tu. Derrière lui, une camarade lui glisse : « Mes parents pensent comme toi, mais il ne faut pas le dire, tu es fou. » Simon ne se démonte pas : « Mais alors à quoi ça sert d’étudier La Vague [un film qui montre la diffusion d’une idéologie totalitaire grâce au conformisme] ? »
Cette micro-scène de la vie scolaire fait penser aux livres de Kundera, sauf que ça finit mieux. Parce que, bien sûr, il n’est rien arrivé de fâcheux à Simon, et surtout parce que, des Simon, qui refusent de se plier aux diktats idéologiques de ce que notre ami Jean-Pierre Le Goff appelle le « gauchisme culturel » et sont déterminés à penser par eux-mêmes, y compris dans les conditions les plus contraires comme une salle de classe chauffée par un prof militant, il y en a de plus en plus, dans toutes les générations, dans tous les milieux et dans toutes nos belles provinces.
De fait, si on reproche souvent aux Français, et pas toujours à tort, d’être exagérément pessimistes, vindicatifs et grincheux, il arrive aussi qu’ils soient facétieux. Même ceux de droite. Après la victoire du Brexit en Grande-Bretagne et celle de Trump aux États-Unis, on se demandait quelle malice ils allaient inventer pour épater le bobo, et au passage, pour faire savoir à ceux qui se sont auto-désignés comme leurs directeurs de conscience que l’heure de la retraite est en passe de sonner. Alors que l’envie les démangeait de voir les prêchi-prêcheurs professionnels perdre leurs certitudes et leur arrogance, la primaire de la droite est tombée à point. Le chœur des éditorialistes et des gens raisonnables les sommait de choisir, avec Alain Juppé, la voie du vrai, du bien et du multiculturalisme heureux, mais se serait accommodé, au fond, d’un Nicolas Sarkozy qu’il aimait tant détester – et dont il aurait pu continuer tranquillement à dénoncer les idées déplorables et les manières discutables.
Raté. Comme le résumait Marcel Gauchet dans Le Monde, les électeurs n’ont voulu ni de « Sarkozy, trop clivant » ni de « Juppé, trop consensuel ». Ils ont abattu leur joker et sorti leur Fillon, un type qui, comme Nicolas Sarkozy, n’a pas peur de se dire de droite, mais qu’il sera plus difficile de disqualifier. Ce qui n’empêche pas d’essayer. Ainsi, dès le 28 novembre Laurent Joffrin entonnait l’antienne de l’ordre moral en marche. « Fillon s’enracine dans un catholicisme tradi là où la gauche de gouvernement a fait progresser les droits des homosexuels et accepté la diversité culturelle de la société française », écrivait le patron de Libération le 28 novembre. Ouh, la vilaine droite homophobe, raciste et cul béni. Si Joffrin observe, comme Le Monde, une « révolution conservatrice » en marche (dénomination qui semble dans les deux cas dénuée de toute référence allemande), son argumentaire est un classique de la « gauche divine », selon la tranchante formule de Baudrillard : à ma gauche les gentils, à ma droite les méchants, les étroits, les coincés, les beaufs, les réacs. Pas de révolution sémantique en vue dans la bonne presse. Mais les offusqués ont pu compter sur le soutien involontaire et bêtasson de Valérie Boyer qui, comme pour leur donner raison, arborait le soir de la primaire, sur les plateaux de télé, une grande croix franchement incongrue.
Pour Joffrin, c’est simple: à ma gauche les gentils, à ma droite les méchants, les étroits, les coincés, les beaufs, les réacs.
Il peut sembler hasardeux de rechercher une cohérence entre le « leave » britannique, la présidentielle américaine et la primaire de la droite française. Ce n’étaient ni les mêmes enjeux ni les mêmes procédures. Et ils n’ont pas, loin s’en faut, consacré le même genre de vainqueur. Rien de commun, en effet, entre le fantasque Boris Johnson, l’erratique Donald Trump, traité de « gros con » par un Alain Finkielkraut (pages 30-33) dont cet écart laisse imaginer l’énervement, et le très bien élevé vainqueur de la primaire. Fillon, c’est, presque trait pour trait, l’anti-Trump. Et n’en déplaise à Cyril Bennasar (pages 62-64) qui pense qu’un peu plus de « gros cons » feraient du bien à notre vie publique, je m’en réjouis.
[...]
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé