Voilà des années que les journalistes observent le plouc occidental avec mépris et suffisance, qu’ils dénoncent ses manières «déplorables», l’engueulent pour ses votes lamentables et lui prodiguent des leçons de maintien pour élargir son esprit étroit.
Peut-être avez-vous raté cette breaking news : au lendemain de l’élection de Donald Trump, Marine Le Pen et l’éditorialiste du Monde ont eu exactement la même analyse. « Ce n’est pas la fin du monde, c’est la fin d’un monde », a déclaré la première (qui peut remercier sa plume pour cette belle formule). « L’élection de Donald Trump est un bouleversement majeur, une date pour les démocraties occidentales. Comme la chute du Mur de Berlin, comme le 11-Septembre 2001, cet événement ouvre sur un nouveau monde », écrivait pour sa part Jérôme Fenoglio, le directeur du Monde qui, pour l’occasion, avait sorti les grands mots.
Bien sûr, la convergence s’arrête là, car le rêve de la patronne du FN est le cauchemar du journaliste (et de 95 % de ses confrères). Or, avec l’élection du « très controversé Donald Trump », comme on l’appelle désormais sur France Inter, ce rêve et ce cauchemar ont effectivement acquis une nouvelle consistance. Dans le nouveau monde dont on nous annonce l’avènement, Marine Le Pen aura probablement beaucoup plus de pouvoir que Jérôme Fenoglio. Et quoi qu’on pense de l’ascension annoncée de la première, on peut trouver quelques vertus à la déconfiture du second et de sa corporation.
Voilà des années que Fenoglio et ses congénères observent le plouc occidental avec mépris et suffisance, qu’ils dénoncent ses manières « déplorables » comme dit Hillary Clinton, l’engueulent pour ses votes lamentables et lui prodiguent en toute occasion des leçons de maintien destinées à élargir son esprit étroit, à désodoriser ses idées nauséabondes et à aérer ses peurs rances. Et voilà des années que le populo affirme avec constance qu’il ne veut pas du monde mondialisé et ouvert à tous les vents qu’on lui présente comme son avenir inéluctable. Le plouc qu’on appelle également petit blanc bien qu’il ne le soit pas toujours, veut des frontières à l’intérieur desquelles il pourra faire peuple en conservant ses traditions et ses petites manies. Certes, comme on le répète sur France Inter, Trump n’a pas été élu par les seuls ouvriers de l’Amérique périphérique, mais aussi par une Amérique blanche, aisée et conservatrice, bref c’est un vote réactionnaire a conclu une journaliste soulagée. Il y a sans doute plus de gagnants de la mondialisation parmi les électeurs de Trump que parmi ceux de Marine Le Pen ou du Brexit, peut-être parce que la place dans le processus de production ne dit pas tout d’un homme. Et que, si la demande de réassurance nationale s’accroît à mesure que le revenu baisse, elle n’est pas réductible à un facteur économique.
Le populo est populiste, se lamentent cependant les bonnes âmes qui ont renoncé à sauver le prolétariat ou plutôt en ont élu un nouveau. Alors, pour taper sur la tête des bonnes âmes ou au moins se la payer, le populo utilise, comme le disait Muray, le gourdin qu’il a sous la main, ici Trump, là Brexit et demain, peut-être Marine. Et tant qu’il ne trouvera pas de gourdins plus convenables, il se contentera de ceux-là qui ont au moins l’avantage de faire peur aux bien-pensants, qu’ils soient lecteurs du Monde ou du New York Times où une internaute confessait hier ne rien comprendre au pays où elle vit. Ça c’est sûr et c’est bien le problème. Quelqu’un qui a suivi la campagne à travers ces estimables journaux n’avait aucune chance de comprendre son issue.
« Populiste, au-dessus de 50 %, ça devient populaire. »
Je ne sais pas si on a raison d’avoir peur de Donald Trump dont certains de mes amis ne retiennent que le programme keynésien à la Roosevelt, comme si la colère anti-establishment dont il est le porte-parole devait nous faire oublier ses farces et attrapes en tout genre. En tout cas, à l’inverse de Barack Obama qui, accueilli tel le messie, ne pouvait que décevoir, Trump ne pourra nous décevoir qu’en bien.
Je sais en revanche que, populiste, au-dessus de 50 %, ça devient populaire. Ah oui, Hitler en 1933 aussi. Mais c’est un curieux syllogisme de déduire de la victoire relative du futur Führer dans une élection formellement démocratique que tout vainqueur qui nous déplairait est un héritier d’Hitler. Il y a quelques jours, Le Monde se désolait de ce qu’une partie des Français (suivez mon regard) n’adhérât plus au système démocratique et demandât de l’autorité, comme si les deux étaient antagonistes. Et les commentateurs qui, de Londres à New York, de Paris à Berlin, dénoncent avec constance les résultats des urnes, ne sont-ils pas en rupture de démocratie ? Est-il bien démocratique d’afficher son mépris pour le cochon de votant ? « Trump se vautre dans le triomphe », titre aujourd’hui le New York Times sans le moindre égard pour les millions d’Américains qui l’ont choisi. Des populistes vous dit-on. Seulement, dans cette démocratie que les journalistes chérissent tant, un mauvais électeur pèse autant qu’un bon (aux Etats-Unis, un petit correctif fait remonter les ploucs).
On l’a répété en boucle, sans en tirer la moindre conséquence : médias, analystes, sondeurs, se sont plantés en beauté. Ils n’ont rien vu venir, parce qu’au lieu de chercher à comprendre, ils s’efforcent de nier ce qui leur déplaît et de rééduquer ceux qui leur désobéissent. Le vote Trump est un bras d’honneur à ceux qui prétendent savoir, à commencer par les journalistes. Ce qui signifie qu’eux et les autres prêchi-prêcheurs sont au moins en partie responsables du désastre qui les désole. Or, depuis hier, au lieu de se livrer à une salutaire autocritique et de se demander pourquoi ils ne comprennent rien aux sociétés dans lesquelles ils vivent, ils trépignent et redoublent de remontrances à l’égard des électeurs trumpistes.
Désolée chers confrères et autres guides d’opinion, mais vous ne guidez plus grand-chose. Et le vent de panique qui souffle sur le quartier général est un spectacle plus réjouissant que celui de votre ancienne superbe, quand vous vous plaisiez à brûler quelques dissidents pour l’exemple. Aujourd’hui, vos bûchers ne brûlent plus et vos piloris n’intéressent plus personne, tant mieux. L’ennui, c’est que nous allons tous payer le prix de l’incroyable suffisance avec laquelle depuis des années, vous ignorez les aspirations de ceux qu’Orwell appelait les gens ordinaires.
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