L’unanimisme a quelque chose d’effrayant.
L’information continue, a dit le président. C’était classe, ce souci de ne pas suspendre la discussion démocratique. Je n’avais pas compris qu’il s’agissait d’un ordre de réquisition au service de l’effort de guerre. Bref, que l’information, devait, sous l’injonction de civisme, se muer en propagande. L’entretien donné par le président au JDD de ce jour est un modèle du genre.
Bien entendu, l’un des rôles des médias est de diffuser abondamment les consignes gouvernementales – lavez-vous les mains et tenez-vous à distance, et je rigole tant que ce n’est pas interdit mais c’est sérieux. À ce sujet, Oliver Véran a déclaré samedi 21 mars que « la désinvolture et la légèreté » n’étaient pas de mise. Pour la désinvolture, d’accord, mais pour la légèreté, il me semble que nous en avons toujours besoin et que s’il m’en reste encore dans six semaines, vous serez bien contents que je vous en donne un peu.
Si les journaux continuent à paraître et les médias audiovisuels à diffuser, ce n’est pas pour faire la claque du gouvernement
Il est donc légitime que les médias soient le truchement du gouvernement, voire qu’ils fournissent aux citoyens une assistance pratique en élaborant au jour le jour les modalités d’application de mesures générales. Beaucoup s’y emploient excellemment – bien qu’aucun n’ait encore rappelé au bon peuple que le coït était un facteur de propagation. On attend pour cela que le président déclare solennellement à la télévision : « Mes chers compatriotes, plus de sexe ! » Pardon, je blague encore. C’est nerveux.
La liberté d’expression n’est pas encore abolie
Mais je reviens à mes moutons – médiatiques. Un certain nombre de mes excellents confrères et parfois amis semblent penser que leur rôle se limite à la diffusion de la parole publique et que la critique ou la contestation de celle-ci relève de la haute trahison. Pas de polémiques ! « Être confiné et montrer du doigt les responsables, je trouve cela totalement indécent », affirme Jean-François Kahn dans Le Point. Il ne s’agit pas de dénoncer mais éventuellement de critiquer. Cher Jean-François, ce qui serait encore plus antipatriotique que la polémique serait d’être un peuple de bénis-oui-oui, acceptant et même exigeant les prochains tours de vis sans la moindre délibération démocratique. Quand nos libertés les plus fondamentales sont en jeu, notre devoir est d’exiger une réponse proportionnée. J’accepte de les sacrifier largement, mais pas plus que le strict nécessaire. Enfin, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 étant toujours en vigueur, la liberté d’expression n’a donc pas été abolie.
Si les journaux continuent à paraître et les médias audiovisuels à diffuser, ce n’est pas pour faire la claque du gouvernement. Accepter la règle ne signifie pas l’approuver dans ses moindres détails. Ni faire le travail de la police. À titre d’exemple, il faudra qu’on m’explique pourquoi le vélo serait interdit, alors que les Allemands encouragent cette activité bonne pour la tête, bonne pour les poumons et qui place nécessairement le cycliste adulte à plus d’un mètre d’un autre humain.
Or, nombre de journalistes ne se contentent même pas d’applaudir bruyamment le gouvernement : devenus une avant-garde fanatique, ils le précèdent, l’appellent du matin au soir à ne pas avoir la main qui tremble. Eh bien si, pour suspendre des libertés, on doit avoir la main qui tremble.
Réprimez ! Aggravez ! Sanctionnez ! Claquemurage général ! Couvre-feu ! Les grenouilles demandent des lois ! Tout le week-end, j’ai entendu des confrères morigéner faussement des ministres ravis : « Qu’attendez-vous pour serrer la vis ? » « C’est ça, confinés ? » : Le Parisien balance en « une » les mauvais citoyens qui ont interprété de façon trop souple la notion de « sortie dérogatoire ».
Un peu de mesure
Certes, si nous ne sortions plus qu’une fois par semaine, le travail des soignants (et des forces de l’ordre) serait grandement facilité. Mais si les exigences de ces professions essentielles doivent être prioritaires, elles ne peuvent pas être exclusives. Elles doivent être conciliées avec les besoins de l’ensemble de la population. La supportabilité des mesures de confinement est une des données de l’équation. On remarquera d’ailleurs que les appels au durcissement viennent plus rarement des cités HLM de banlieue et des micro-studios des métropoles que des vastes appartements bourgeois ou des confortables maisons campagnardes où sont confinés ceux qui sermonnent les Français. Alors, loin de moi l’idée de leur reprocher leurs belles datchas, je suis ravie que leur confinement soit plaisant, mais qu’ils aient un peu de mesure dans leurs leçons de morale.
Qu’on arrête de nous prendre pour des buses en prétendant cent fois par jour que tout ce que nous n’avons pas est inutile
Il serait, parait-il, vraiment irresponsable voire criminel de critiquer, voire de simplement questionner, la gestion gouvernementale de la crise depuis six semaines: l’ennemi était inconnu, on ne pouvait pas savoir, rappellent quotidiennement des élus et des médecins. Bref, on navigue à vue. On ne reprochera donc pas à Emmanuel Macron d’être allé au théâtre le 6 mars et d’avoir proclamé le 11 mars que nous ne renoncerions à rien et surtout pas à nos terrasses. On ne jettera pas non plus la pierre aux scientifiques qui nous ont dit des semaines durant ce que nous voulions entendre, à savoir que l’épidémie n’était pas plus grave qu’une méchante grippe – certains le disent encore d’ailleurs. On concèdera cependant que le retard à l’allumage de toutes ces éminences, suivi d’un brutal virage sur l’aile, ne les qualifie pas particulièrement pour assener des certitudes aujourd’hui. S’ils se sont trompés en n’en faisant pas assez hier, ils peuvent encore se tromper en décidant demain de réduire encore plus nos libertés. De plus, les mêmes n’ont cessé de nous expliquer qu’on n’arrêterait pas l’épidémie, qu’on ne pourrait que la ralentir. En somme, même des mesures radicales (qui par définition ne peuvent être imposées à 100 % des Français, sinon nous ne mourrons pas du Covid-19 mais de faim) ne produiront que des résultats relatifs. Que des femmes soient battues ou que des gens deviennent dingue à cause du confinement n’aidera pas les soignants. Autrement dit, peut-être faut-il alentir l’épidémie un peu moins vite pour préserver ce qui reste de la vie et de l’économie. En tout cas, il y a encore là des choix qui doivent pouvoir être discutés.
De plus, la parole publique, qu’elle soit politique ou scientifique, serait plus crédible si on ne nous racontait pas des bobards absurdes, en nous expliquant que la science a toujours raison contre le bon sens. Or, trois exemples démontrent le contraire.
L’exemple le plus criant de bidonnage éhonté tient aux palinodies sur les masques, qui à en croire Le Monde, font bien marrer les Chinois. Rappelons d’abord que, le 26 février, le professeur Salomon déclarait devant la Commission des affaires sociales du Sénat que la pénurie de masques n’était pas un sujet.
Il s’est trompé, mais soyons indulgent : ce n’était pas de sa faute. Aujourd’hui, il nous explique, et nous sommes parfaitement capables de l’entendre, que, faute de masques en nombre suffisant, il faut les réserver aux professions prioritaires. Que la France ne parvienne même pas à protéger ses médecins est juste insupportable. Et que l’on rappelle à l’ordre les syndicalistes ou les personnels qui s’en émeuvent l’est tout autant. Apprendra-t-on un jour que c’est le corps médical qui, bien involontairement et au risque de sa propre vie, a été le premier propagateur du virus ?
Incroyables assertions
En revanche, le défilé d’experts jurant que les masques ne protègent pas le péquin moyen relève juste du foutage de gueule. Si j’ai bien compris, le danger principal vient du fait que nous pouvons être contaminés sans le savoir et croiser des gens contaminés sans le savoir. Si un masque protège un médecin qui croise des gens infectés, pourquoi serait-il inutile pour moi ? Cette aberration logique n’ayant pas tenu très longtemps, Sibeth Ndiaye est montée au front avec cet argument hilarant : on ne sait pas les mettre. Et bien sûr, on est trop cons pour apprendre. Or, voilà qu’en prime, le gel hydro-alcoolique, qu’on nous encourage à utiliser en toutes circonstances, vient lui aussi à manquer cruellement dans les hôpitaux. Une devinette : dans combien de temps nous dira-t-on que le gel ne sert à rien pour les citoyens lambda ?
Le deuxième cas d’assertions proprement incroyable concerne les tests, eux aussi inutiles à entendre le professeur Salomon : « Nous avons choisi une autre stratégie », a-t-il affirmé samedi. Tu parles Charles ! Un enfant de dix ans peut comprendre que nous n’avons rien choisi du tout, puisque des tests, il n’y en a pas. J’attends toujours le journaliste qui posera cette question simple : pourquoi un double test systématique (à deux ou trois semaines d’intervalle prenant en compte la période d’incubation) de toute la population ne permettrait-il pas d’éviter le confinement des personnes non-infectées ? Et pourquoi, depuis quinze jours, n’avons-nous pas lancé la production ? Il est déjà assez agaçant que la France soit un pays du Tiers-monde sur le plan de l’équipement sanitaire, qu’on arrête de nous prendre pour des buses en prétendant cent fois par jour que tout ce que nous n’avons pas est inutile.
Un mot encore sur la chloroquine du professeur Raoult. Jusqu’à récemment, ce produit était en vente quasi libre, il suffisait de déclarer qu’on partait en Afrique pour obtenir une ordonnance. Depuis le mois de janvier, c’est-à-dire depuis que l’on sait qu’il a peut-être des effets positifs sur les malades du coronavirus, il est passé dans la catégorie de substances dangereuses au motif qu’on n’a pas pu encore faire d’essais sur les effets secondaires. Alors, il y a peut-être un risque d’effets particuliers sur des patients infectés par le Covid-19, mais là encore, plutôt que de faire les gros yeux en engueulant les gens qui cherchent à en acheter, les blouses blanches devraient plutôt nous expliquer pourquoi un médicament si facile d’accès hier est une « substance vénéneuse » aujourd’hui. On est allés à l’école, si ça se trouve, on pigera.
Ce ne sont pas des vacances
On me dira qu’il y a au moins une chose incontestable. Si les médecins réclament, que les politiques mettent en œuvre et que les journalistes encouragent des restrictions aussi drastiques de nos libertés constitutionnelles, c’est forcément pour notre bien. Sans doute. N’empêche qu’au-delà des dures nécessités imposées par la maladie, on sent flotter dans l’air une libido de contrôle, de flicage et de punition qui s’exprime dans la phrase, devenue un mantra : « Ce ne sont pas des vacances ». Traduction, il faut que vous en baviez. Samedi, un médecin a lâché le morceau sur LCI : « Ce n’est pas seulement pour la contagion, mais pour l’image. Il y a des gens qui souffrent et qui travaillent ». Se porteront-ils mieux si tout le monde souffre autant qu’eux ? La même passion de surveillance et de punition anime les policiers qui engueulent une dame sortie pour acheter du coca (regardez la vidéo, c’est à pleurer. Z’allez pas me dire que c’est indispensable, ma petite dame ! Et vous, vous avez quoi dans votre cabas, du chocolat, mais vous allez rendre ça tout de suite ! Mauvais citoyen !)
cette perte de sang-froid je pleure pic.twitter.com/CntyrWcYKB
— 🐷lauranus🐷 (@imlauranus) March 21, 2020
Ce dolorisme tatillon et soupçonneux est incompréhensible si on oublie une dimension, qui est celle de la jouissance inconsciente du pouvoir, qu’il s’agisse du policier, du juge, de l’élu ou du commentateur: en l’occurrence, cette jouissance s’harmonise opportunément avec l’intérêt général, mais jusqu’à quand Jusqu’où ? Un peuple claquemuré et effrayé, une assemblée en sommeil, des syndicats absents et des médias le petit doigt sur la couture du pantalon : quel pouvoir ne rêverait d’un tel alignement des planètes ? Quant aux journalistes, ils peuvent s’adonner à l’une de leurs activités favorites : faire la leçon au peuple qui vote mal, pense mal, et maintenant se confine mal. Et montrer qu’eux sont de bons petits soldats.
Alors, certes, puisque nous n’avons ni masques, ni gels, ni tests et que nous avons tardé à prendre conscience de la gravité de la crise, le confinement général est aujourd’hui la seule solution. Donc, nous restons chez nous. Mais ni les cris d’orfraie des éditorialistes, ni les certitudes des experts n’ont réussi à me convaincre qu’il était indispensable de durcir le confinement et de réduire un peu plus nos libertés. On a encore le droit de le dire. Surtout, si toutes ces têtes qui prétendent penser pour nous veulent qu’on les croie, qu’elles se souviennent que nous sommes des adultes et pas des enfants apeurés à qui il suffit de dire cent fois par jour d’aller se laver les mains.