En réaction au texte «Toujours plus de pouvoirs» du journaliste Jean-Marc Salvet - En 1982, le Canada de Pierre Elliott Trudeau érige un mur de désespérance. Depuis, les rêves de plusieurs Québécois, toutes origines confondues, sont devenus des cauchemars. En 1995, Jacques Parizeau ne parvient pas à le faire imploser. Mais tout le monde sait que ces cauchemars ne peuvent être éradiqués que par un projet clair et savamment articulé de pays indépendant.
Or, voilà que le PQ entend entretenir des rêves impossibles en revendiquant de la souveraineté à la pièce comme si on peut commander un smoked meat en pièces détachées. D'abord le pain, une tranche à la fois sans moutarde; ensuite, le cornichon, la salade de chou, la moutarde, le cure-dent, peut-être aussi une bière brassée localement, puis la frite, avec mayonnaise ou ketchup; enfin, la viande fumée, l'essentiel du smoked meat, pour laquelle l'appétit aura disparu.
Quand je vais chez Brynd à Québec, je veux tout dans une assiette avec un verre d'eau et un allongé après le repas. Rien à la queue leu-leu. Jamais on ne m'a traité d'être un tenant du «tout ou rien». Dans un restaurant, l'art est dans le tout, pas à la pièce comme des becquées pour bébés. Les Québécois, qui ont de l'appétit pour un pays, savent très bien qu'un jour ils apprendront du boss, qui dirige à Ottawa, qu'une constitution québécoise ne sera que provinciale, que la citoyenneté au Canada ne peut être que canadienne, que la laïcité, charte ou pas, demeurera provinciale, que la langue française au Québec sera toujours une affaire provinciale.
En gros, que ce menu à la pièce ne sera que des amuse-gueules comme le furent la Révolution tranquille, la loi 101, Québec Inc. et bien d'autres choses du genre. En concocter de nouveaux ne change rien. Nous savons tous que le boss, à Ottawa, incitera les cuistots québécois à les préparer pour satisfaire quelques dents creuses le temps que le temps fasse son temps. Aussi, avec un appétit de pays, on ne perd pas son temps avec ça. On se dote d'un restaurant et d'un chef d'envergure qui saura être à la hauteur.
Procéder de la sorte nécessite de cibler l'essentiel, que sont le pays, les contours du régime politique et ceux de la citoyenneté que nous voulons. Puis de procéder en instituant le pays que nous voulons, ce qui implique de nous reconnaître nous-mêmes les seuls propriétaires du restaurant. Nous détenons collectivement ce pouvoir et, depuis la loi sur la clarté, nous savons même que le Canada veut nous obliger à manger dans son restaurant.
Alors, pour que le peuple québécois aille à l'essentiel et évite l'infantilisation, il urge plutôt de mettre de l'avant le pays que sera le Québec en le projetant en lien avec le monde indépendamment du Canada. Quant au processus, il faut simplement expliciter le parcours en démythifiant le référendum, car ce n'est qu'un moyen que peut remplacer une élection décisionnelle, et en montrant comment les choses vont se dérouler à l'aide d'exemples tirés de pays devenus indépendants.
Hier, chez Brynd, j'ai expliqué ça à des amis qui désespèrent de voir les souverainistes tourner autour du pot. Ils sont vite devenus des adeptes d'une nouvelle approche globale. Ils ont compris qu'en s'empiffrant d'amuse-gueules, ils n'attaqueront jamais le plat de résistance, le seul qui les anime vraiment.
Claude Bariteau, anthropologue
Québec
La souveraineté à la pièce, mon oeil!
Chronique de Claude Bariteau
Claude Bariteau49 articles
Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans L...
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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.
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