Il est difficile d'excuser, voire de comprendre les gestes offensifs commis par les policiers lors du blocage pacifique des bureaux de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ), le 7 mars dernier, à Montréal. Afin de disperser les manifestant-e-s : grenades assourdissantes, poivre de Cayenne et coups de matraque furent allègrement utilisés. Des étudiant-e-s ont été blessé-e-s, dont un grièvement à l’œil, Francis Grenier. Depuis, nombreux sont ceux qui questionnent l’usage disproportionné de la force employée par les policiers. Interpellé, le premier ministre, Jean Charest, s’est contenté de les féliciter. La « violence » serait du côté des manifestant-e-s, insinue-t-il…
Deux éléments sont essentiels à rappeler :
- d’abord, la décision du gouvernement d’hausser les frais de scolarité de 75 % est initialement une décision idéologico-politique brutale et anti-sociale, visant à soumettre les étudiant-e-s aux dictats du marché;
- ensuite, les gestes de résistance, de désobéissance, voire de défense relevés chez les étudiant-e-s, le 7 mars dernier, ne peuvent justifier le niveau d’intensité de la répression policière observée ni être assimilés à des gestes résolument « violents ».
La violence est une force brutale visant à soumettre. Elle s’exerce individuellement ou collectivement. Le plus souvent, elle atteint l’intégrité corporelle et psychologique de manière illégitime et disproportionnée. Perte de contrôle, de repères, irruption du refoulé sont ses avatars. Elle se manifeste, aussi, comme ressource du pouvoir. En définitive, elle ne correspond pas à une administration mesurée de la force.
Qui donc fut violent le 7 mars dernier?
Intox
Cela étant, il apparaît juste de questionner la rhétorique de la violence qu'emploient systématiquement, depuis quelques jours, le gouvernement, la police et certain-e-s journalistes, afin de discréditer le mouvement étudiant. Car s'opère, malheureusement, une certaine surenchère verbale et médiatique autour de la question de la violence et de son économie, obscurcissant les faits et les enjeux. Toujours à les entendre, la « violence » serait latente chez les grévistes. Au point où il est permis de se demander si la contestation, le refus idéologique – puisque c’est bien de cela qu’il s’agit – est aujourd’hui a priori pathologique dans notre société. Comme un mantra, ce mot, « violence », est répété ad nauseam, jusqu'à l'intoxication.
Pourtant, les « armes » auxquelles recourent les étudiant-e-s sont pour la plupart symboliques. Des banderoles, des harmonicas et des roses. Et que dire de leurs actions? Des discours, des marches et des investissements de locaux. Si « violence » il y a, celle-ci est bien étrange… En effet, la condition étudiante est étalée au grand jour. La rue et la ville, ses flux et ses réseaux, sont momentanément entravés ou interrompus. Le ronronnant quotidien des institutions est chambardé. Voici l’irruption des étudiant-e-s sur la scène politique ! Le drame !
Comment expliquer cette peur maladive, cette langue moralisatrice, ce déni d’existence, d’abord, chez les politicien-ne-s, les forces de l’ordre et certain-e-s journalistes, ensuite, chez certain-e-s citoyen-ne-s, alors que ce grand remuement étudiant témoigne de ce qu’il y a de plus vivace et créateur en nous tous, le désir de liberté et d’égalité? Pourquoi ces appels si vifs à la sacro-sainte « collaboration », alors que, précisément, elle n’est que l’autre visage de la société disciplinée et asservie qui nous rend malades?
Dépasser une barrière et faire face à des policiers suréquipés, comme ce fut le cas lors de la manifestation à Québec, cela n'est pas de la « violence », cela ne peut être de la « violence ». Tout au plus s’agit-il d'insoumission, de désobéissance ou d’indiscipline. Bloquer un pont sur l'heure de pointe, cela n'est pas de la « violence ». Peut-être seulement un grand dérangement – un peu maladroit. Tenter d'occuper les bureaux de la CREPUQ, cela n'est pas plus de la « violence », mais une obstruction au travail de ses employé-e-s. Un grain de sable dans l’engrenage…
Le mot « violence » est ainsi devenu un buzzword. Il crée un écran, détourne des enjeux, permet toutes les manipulations affectives de l'opinion publique. C’est bien cela qu’il reste aux puissants, la manipulation, lorsque se dissipent l’aura de leur pouvoir et l’apparence de consensus.
En grands titres, pouvons-nous lire, dans les différents quotidiens : « Manifestations étudiantes dans le calme ». Comme si la chose devait étonner ! Comme si l’essentiel se jouait là ! Incidemment, le mot « calme » est devenu le nouveau gage de la légitimité politique dans la bataille pour l'opinion publique.
La démesure
Certes, les étudiant-e-s effectuent bien souvent leurs actions de contestation aux limites de la légalité, dira-t-on; et il serait inadéquat de ne pas le reconnaître. Mais le rôle des forces de l'ordre est de faire respecter la loi, et non de l’enfreindre dans la démesure. Qu’elles interviennent en temps opportun, c'est évidemment dans la logique des choses et nul ne s’en plaindra. Cependant, qu'elles le fassent inconsidérément aux gestes posés, outrancièrement et dans le but d'intimider, voire de « casser » la contestation étudiante, qui s’érige actuellement comme contre-pouvoir au cancer qui ronge notre société, le pouvoir de l’argent, c'est là une grave faute et un affront à la démocratie.
Ont signé ce texte :
Myriam Arsenault-Jacques, étudiante en droit, UQAM
Guy Benoit-Fournel, étudiant en droit, UQAM
Marc-André Blais, étudiant en droit social et du travail, UQAM
Guillaume Loiselle-Boudreau, étudiant en relations internationales et droit
international, UQAM
Andrée Bourbeau, étudiant en droit, UQAM
Simon Crépeault, étudiant en droit, UQAM
Maryse Décarie-Daigneault, étudiante en droit, UQAM
Jean-Nicolas Denis, étudiant en philosophie et politique, Université Laval
Jonathan Durand Folco, étudiant au doctorat en philosophie, Université Laval
Marc-Olivier Goyette-Côté, doctorat en communication et sciences de l'information, UQAM/ Paris III
Manuel Johnson, étudiant en droit, UQAM
Emilie E. Joly, étudiante au baccalauréat en droit et à la maîtrise en science politique, UQAM
Jason Keays, étudiant à la maîtrise en sciences politiques, UQAM
Philippe Langlois, étudiant au doctorat en sociologie, UQAM
Richard-Alexandre Laniel, étudiant en droit, UQAM
Marie-Andrée Leblanc, étudiante à la maîtrise en travail social, UQAM.
Andréanne Martel, étudiante à la maîtrise en sciences politiques, UQAM
Laurence Gagnon-Montreuil, étudiant à la maîtrise en philosophie, Université Laval
Cynthia Moreau, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement, UQAM
Liane Morin, étudiante à la maîtrise en urbanisme, Université de Montréal.
Nicolas Paquet, étudiant à la maîtrise en urbanisme, Université de Montréal, également étudiant en philosophie, Université Laval
Jessie Pelchat, étudiante à la maîtrise en sciences de l'environnement, UQTR
Benoît Rheault, étudiant au baccalauréat en science politique, UQAM, actuellement en échange à Paris-1 Panthéon-Sorbonne
Marianne Routhier-Caron, étudiante en droit, UQAM
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7 commentaires
Archives de Vigile Répondre
14 mars 2012Je vais moi aussi dévoiler mon âge...je termine mon 70ième hiver, mais j`ai le coeur de l`étudiant qui lutte,je voudrais pouvoir vous accompagner, mais la santé,,,
BON COURAGE....NE LÂCHEZ PAS....
Si jamais il y avait une grande procession funèbre(POLITICALLEMENT) pour CHAREST J`IRAI mais à mon rythme!
Archives de Vigile Répondre
14 mars 2012À col rouge,
C'est malheureux, mais nous vivons dans une société dans laquelle la police protège les forces du marché en priorité alors qu'elle devrait protéger les citoyens en priorité.
C'est une société à l'envers du bon sens: une société qui met l'argent et les profits avant l'être humain et ses besoins.
Archives de Vigile Répondre
14 mars 2012Je cite: "Mais le rôle des forces de l’ordre est de faire respecter la loi, et non de l’enfreindre dans la démesure." Mais les forces de l'ordre n'effectuait que son travail face à des individus, il faut le préciser, boycottent les services qu'ils ont payer en manifestant parce que ce service coûte et coûtera trop cher à l'avenir, qui, de façon illigale, empêchent des travailleurs, payeurs de taxes qui paient la très grande proportion du services que ces étudiants boycottent, d'aller à leur lieu de travail.
Quand, après 2 ou 3 sommations de la part de la police de se disperser, les étudiants refusent alors nous faisons face à de la désobéissance civile et nous provoquons les forces de l'ordre. C'est ainsi que les choses sont faites.
Je trouve malheureux ce qui est arrivé à cet étudiant qui était conscient des risques en allant bloquer illégalement l'accès à un bâtiment. Il s'est trouvé à l'endroit qu'il avait choisi au moment qu'il avait choisi. Il n'a pas désiré ce qui lui est arrivé mais les risques étaient connus.
Archives de Vigile Répondre
13 mars 2012Je suis derrière vous- autres à 100%. Pourquoi la société civile ne se joindrait-elle pas avec vous, dans la rue, pour se débarrasser de ce gouvernement pourri qui n'en a que pour le 1% des oligarques qui contrôlent toute la richesse planétaire? L'avenir vous appartient et continuez de réclamer ce qui vous revient dans une société dite normale et évoluée.
André Gignac 13/3/12
Serge Charbonneau Répondre
13 mars 2012Je dénonce aussi vertement cette brutalité policière injustifiée digne des régimes répressifs.
J'appuie totalement cette lutte étudiante et je ne suis pas le seul !
Je crois que la grande majorité de notre société appuie aussi totalement ce mouvement étudiant qui lutte pour ce droit fondamental à l'éducation pour tous.
Moi aussi, comme M. Gilles X, « j’aime voir cette jeunesse se tenir debout devant la bêtise d’un gouvernement de comptables sans vision d’avenir. »
Ne lâchez pas.
Vous ne luttez pas seulement pour vous, mais vous luttez pour tous les autres.
Vous luttez pour la société dans son ensemble.
Serge Charbonneau
Québec
Archives de Vigile Répondre
13 mars 2012"d’abord, la décision du gouvernement d’hausser les frais de scolarité de 75 % est initialement une décision idéologico-politique brutale et anti-sociale, visant à soumettre les étudiant-e-s aux dictats du marché ;"
Alors que les étudiant arrêtent de dire qu'ils vont chercher une formation pour "pouvoir répondre aux besoins du marché".
J'entend plein d'étudiants dire ça.
Ce ne sont pas aux besoins du marché qu'une société doit répondre mais aux besoins des êtres humains.
À quand un revenu de citoyenneté universel comme le réclamait le regretté syndicaliste Michel Chartrand afin que tous puissent vivre décemment au Québec et que les étudiants puissent s'instruire sans s'endetter?
Archives de Vigile Répondre
13 mars 2012Je vais trahir mon âge je sais. Mais quand même : Maudit que j'aime voir cette jeunesse se tenir debout devant la bêtise d'un gouvernement de comptables sans vision d'avenir.
Tenez bon!