La révolte gronde en santé et en éducation

Compressions sous peine de sanctions, gestionnaires muselés, le gouvernement durcit le ton

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C'était réglé comme du papier à musique. Il n'y avait que le gouvernement Couillard pour penser qu'il pourrait en être autrement

La révolte gronde dans les deux grands réseaux de la santé et de l’éducation. Nombre de leurs gestionnaires se plaignent tantôt d’être muselés par le gouvernement Couillard, tantôt d’être incapables de faire les coupes exigées sans affecter les services à la population.

Dans le milieu de la santé, des hauts cadres ont reçu la directive formelle de garder le silence, voire de taire leurs critiques, selon de multiples sources. « On se sent à l’époque de Duplessis, indique-t-on. Le ton dictatorial du ministre Barrette ne passe pas. »

Dans le réseau de l’éducation, les commissions scolaires accusent le gouvernement libéral de leur reprocher injustement de faire ce qu’il leur a demandé de faire : « couper ! » Le gouvernement ne peut pas soutenir que les services aux élèves ne seront pas touchés puisqu’ils sont directement visés par les règles budgétaires édictées par le ministère, avance-t-on.

Devant cette résistance, tant le premier ministre Philippe Couillard que le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, ont durci le ton jeudi. Philippe Couillard a dénoncé la décision de certaines commissions scolaires de sacrifier des programmes de lutte contre l’intimidation et la violence à l’école. « Si c’est un enjeu prioritaire pour la société, comme l’aide aux devoirs, je regrette, ce n’est pas acceptable de faire des coupes dans ces domaines-là. Il faut qu’on le comprenne », a-t-il déclaré en marge d’un Forum sur la lutte contre l’intimidation.

De son côté, Martin Coiteux a affirmé que le gouvernement ne tolérera pas que des gestionnaires contreviennent à la commande du gouvernement. « Il y a visiblement des gens qui, actuellement, ne veulent pas faire les compressions là où ça leur ferait mal parfois à eux-mêmes dans l’administration, a-t-il dit. Ils préfèrent aller du côté des choses qui ne les touchent pas directement et qui font lever des pierres politiques. »

Puis, il s’est fait menaçant. Le gouvernement fera tout pour obtenir obéissance. « On va prendre tous les moyens à notre disposition et si les moyens ne sont pas suffisants, on va s’en donner davantage. »

De l’intimidation en santé

Dans le milieu de la santé, les gestionnaires sont aux prises avec les compressions, mais aussi avec la mise en branle de la plus grosse réforme administrative jamais réalisée dans le réseau, l’abolition des agences de la santé prévue dans le projet de loi 10. Les administrateurs du réseau sont, pour ainsi dire, tous assis sur un siège éjectable.

Selon plusieurs sources bien placées, le sentiment général est aussi que, pour avoir la « chance » d’être invité à la commission parlementaire sur le projet de loi 10, il importe de faire preuve de discrétion sur la place publique d’ici là. De fait, les p.-d.g. des agences ont tous dû signer une déclaration de confidentialité portant sur la réorganisation, a-t-on précisé au cabinet du ministre.

« Tous les directeurs généraux devront postuler aux nouveaux postes après la réforme. S’ils veulent avoir une chance, ils ne peuvent pas commenter autre chose que les points positifs de la réforme », a affirmé Diane Lavallée, directrice générale de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS).

Le chercheur à l’Université de Montréal Damien Contandriopoulos juge que le projet de loi en lui-même muselle le réseau. « Les menaces ne sont même pas voilées, celui qui va prendre la parole va perdre son poste ! », analyse-t-il. « C’est l’omertà », estime un autre ancien haut fonctionnaire du réseau. « Directement ou indirectement, ce que M. Barrette fait, c’est de l’intimidation. »

Les cadres du réseau, peu séduits, voire catastrophés par le projet de loi 10, se sentent muselés. « Il faut se taire pour être sur la short list » des nouveaux gestionnaires qui seront nommés par le ministre après qu’il aura fait table rase des structures actuelles, a résumé Carole Trempe. La directrice générale de l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux refuse de se taire. « On invite plutôt le ministre au dialogue pour mettre en place sa réforme. »

C’est que le projet de loi 10, dès son adoption, constitue en lui-même un avis de cessation d’emploi à tous les cadres et « hors cadres » du réseau, comme le stipulent les articles 118 et 124.

«Méchantes » commissions scolaires

Dans le réseau de l’éducation, les coupes dans les services ne sont pas faites de gaîté de coeur. « Pensez-vous qu’on aime ça, couper là-dedans, mais on est rendu là ! […] Ce n’est pas parce qu’on veut être des méchantes commissions scolaires », a réagi la présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), Josée Bouchard.

Le ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, « essaie actuellement de faire croire à la population » que l’atteinte de l’équilibre budgétaire en 2015-2016 pourrait se faire sans toucher aux services aux élèves. Pourtant, il a enjoint aux commissions scolaires de faire tomber le couperet dans une enveloppe budgétaire de 1,2 milliard de dollars servant à financer 32 mesures d’appui à la réussite scolaire : aide aux devoirs, activités culturelles et sportives, achat de livres. « Dans les règles budgétaires, c’est bien écrit. […] Le gouvernement ne peut pas dire que les compressions ne peuvent toucher les services aux élèves », a fait valoir Mme Bouchard.

Les commissions scolaires devaient avoir une marge de manoeuvre. « Si on ne peut plus chercher des sous dans le regroupement des mesures, j’aimerais qu’on me dise elle est où, la marge de manoeuvre », a indiqué Raynald Thibeault, le président de l’Association des directions générales des commissions scolaires, qui constate que les règles budgétaires sont désormais confuses.

Le président de la Commission scolaire au Coeur-des-Vallées en Outaouais, Sylvain Léger, a déploré que les commissions scolaires portent le blâme des coupes, mais il a rappelé que la commande vient du ministère. « Je ne sais pas de quelle planète le ministre vient, mais la réduction de 23 % de notre budget de mesures particulières comme l’achat de livres et l’aide aux devoirs, c’est lui qui l’a faite, a-t-il noté. Nous, on a refusé parce qu’on veut du temps pour procéder intelligemment. »


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