«Les Québécois n’ont jamais été les maîtres
et ne sont jamais représentés eux-mêmes
comme des détenteurs de la force
mais seulement du droit,
ce qui est faible.»
Pierre Vadeboncoeur (cf. note 11 infra)
«Pas "faisable", la souveraineté ?» À cette «question de fond», Yves Martin répond : «Au moins depuis la commission Bélanger-Campeau, cette question ne se pose plus. (1) »
Yves Martin contre André Pratte
Ce texte du sociologue Yves Martin fait suite, près de 30 ans plus tard, à celui de Pierre Harvey au sujet des concepts en économie dont nous avons fait état dans notre Chronique 424 du 22 décembre 2014 (2). Pour sa part, Yves Martin aborde la question sous un autre angle, soit celui du politique.
Cette prise de position du 14 octobre 2003 dans La Presse était en réaction à la parution, le 18 septembre 2003, du livre d’André Pratte (3). Du même coup, la porte était ouverte pour une contribution à «la saison des idées» que préparait Bernard Landry pour la consultation des souverainistes (4). Il faut noter ici que le propos d’Yves Martin se distanciait de la vulgate habituelle du Parti québécois sur l’option de l’indépendance politique du Québec. Cet ex-recteur de l’Université de Sherbrooke désirait préciser l’objet de la nature du débat politique quant à la souveraineté de l’État du Québec.
«Le discours limite des souverainistes.»
À l’époque, nous avons consacré, le 23 octobre 2003, une chronique à cette polémique sur le livre d’André Pratte. Celle-ci portait sur «Le discours limite des souverainistes. Toujours à la recherche du statut constitutionnel du Québec.» (Cf. http://www.vigile.net/archives/ds-deshaies/docs3/03-10-23-1.html)
Cette réaction d’Yves Martin n’était pas isolée, car l’année précédente, il avait aussi exprimé sa pensée dans une Préface à la publication d’un livre de l’ex-juge Marc Brière. Dans sa préface, il fait la critique du Mouvement pour une nouvelle constitution québécoise (MONOCOQ) (5) Il note : «Sans m'engager dans des analyses trop longues, je me demande si l’auteur n'en vient pas à confondre ou en tout cas à assimiler les notions de « nation culturelle » et de « nation civique », plutôt que de voir celle-ci comme équivalente de celle de communauté politique ou de « communauté des citoyens », pour reprendre l'heureuse expression de la sociologue Dominique Schnapper. (6) »
Dix ans plus tard
La situation actuelle du Parti québécois ressemble étrangement à celle de 2003 après la perte du pouvoir par Bernard Landry aux mains de Jean Charest. Un climat de morosité ou de scepticisme est apparu chez les Québécois. Ceux-ci se demandent où veulent s’en aller les péquistes dans cette course à la chefferie du parti. Or, les tracasseries entourant le processus de cette course pour l’élection du chef demeure un nid à chicane. Trop de démocratie ou pas assez crée un malaise dans l’opinion publique. Monsieur Tout-le-monde veut bien concevoir une formation politique qui soit transparente mais elle n’est pas intéressée à vivre les états d’âme de chaque candidat ou candidate sur des questions de régie interne du parti. Préparer chacun d’entre vous votre campagne et veuillez attendre le signal de départ. Ce serait la meilleure consigne à suivre.
Un nouveau courant du souverainisme qui ne serait pas d’être provincial veut se profiler en ce moment sur l’échiquier politique. Est-ce la bonne pente à suivre ?
«Le souverainisme de province (7) »
Il n’est pas impossible que le pouls d’un très grand nombre d’individus au Québec corresponde à la description que Monsieur Marcel Haché décrit dans son commentaire à l’explosion d’éloges au sujet du livre récemment édité par les Éditions du Boréal (8). À mon avis, son propos est pertinent. En effet, le peuple québécois à toute une côte à remonter. Est-ce que monsieur Tout-le-monde est prêt à franchir le Rubicond ? Telle est la préoccupation de Monsieur Haché
«Tout un peuple sait pertinemment que P.K.P. est en train de remonter une côte. Parmi Nous, plusieurs ne veulent plus rien remonter ni même avancer. Des traînards ! Des traîneaux, clisse ! Et vous croyez que c’est en leur jasant de l’air pur des hauteurs de cette côte nationale à remonter, vous croyez vraiment que c’est ce qui les incitera à voter indépendantiste ? Bonne chance.» (Marcel Haché, 15 décembre 2014 09h03 http://vigile.net/Offrons-pour-Noel-un-SPST)
Le renversement du gouvernement Marois par le Parti libéral du Québec a été un choc. Il ne semble pas aujourd’hui que l’équipe des politiques, hommes ou femmes, a compris le message de la population. Le chat souverainiste ronronne toujours et l’électorat doit se satisfaire du choix collectif surprenant qu’il a fait le 7 avril 2014.
Maintenant, un éditeur bien intentionné nous offre de comprendre «le souverainisme de province». Mais qu’est-ce que c’est ? Est-ce une critique de l'indépendantiste qui théorise l'objectif de l'indépendance ? Pas nécessairement. Ce serait plutôt autre chose. Selon le Président fondateur du mouvement Génération nationale et auteur de cet essai, cette façon de voir devrait être dépassée par une vision plus large où la volonté du développement réel passe par le biais de la défense des intérêts nationaux du Québec. Le dernier paragraphe du chapitre donne le ton à tout l’ouvrage (infra note 7, p. 20). L’appel est lancé pour une nouvelle Révolution tranquille. Étienne Boudou-Laforce cite dans son compte rendu cette nouvelle ambition autonomiste : «C'est autour des grandes orientations que doit se construire un ensemble de politiques s'inscrivant dans le parachèvement de l'État-nation.» Ce serait la grande différence avec le «souverainisme de province» que Louis Cornellier) résume en ces termes : «″la souveraineté de province″ qui demande la permission d'exister, qui ne veut pas vraiment réussir, qui veut négocier à tout prix sa rupture avec le Canada par une entente, qui a peur de l'adversaire ; c'est ″la souveraineté rampante″…» (Référence note 8). Le nouveau souverainisme consisterait, semble-t-il, à parachever notre État-nation (provincial) ! Le concert de louanges peut surprendre.
L’autonomie provinciale améliorée ne peut véritablement pas parachever notre État-nation actuel. Prenons conscience que toutes les politique publiques qui ne seraient que de nature sociale bien que plus autonomistes ou souverainistes ne remplaceront jamais une politique publique nationale de l’indépendance politique du Québec assumée par une majorité de Québécoises et de Québécois. L’objectif de chacune de ces politiques publiques est radicalement différent.
Nationalisme et «solution confédérale»
Yves Martin a eu raison d’écrire en 2003 ce qui suit : «À propos de la ″solution confédérale″ [...] S'il y a désaccord sur la position péquiste, il faudra que ce soit sur ce qu'elle est plutôt que sur l'interprétation erronée qu'on peut en donner.» (Cf. Le Rond-Point des sciences humaines : http://www.rond-point.qc.ca/la-question-fondamentale/)
La solution confédéraliste pose le problème du nationalisme. Faisons un petit raisonnement. «Tout nationalisme complet est séparatiste. Le nationalisme est le contraire de l’isolationnisme. La coopération internationale n’est possible que s’il y a ″nation″. (9) » Que faut-il comprendre ? Les nations ne sont pas moins interdépendantes parce qu’elles sont indépendantes, car le nationalisme est le contraire de l’isolationnisme et où la coopération internationale ne peut être exprimée que par une nation au sens intégral soit par une nation ou un groupe de nations soumises à un même gouvernement souverain dans le sens Étatique, juridique. Mais, plus globalement, les indépendantistes doivent comprendre que la nation, au sens intégral, doit «maîtriser le politique» tant à l'interne qu'à l'externe pour l'ensemble des activités reconnues à un État détenteur de la souveraineté politique complète. Voilà l'objectif à atteindre en mettant en œuvre une offensive monumentale telle que le suggère Marcel Haché en ces termes : «Car il n’y a pas de «devoir accompli» avant que l’Indépendance ne soit faite ! L’indépendance est à faire ! À faire ! » Gaston Miron est certainement d'accord. C'est «LA question fondamentale».
L’indépendance «faisable» ?
On sait que, le 24 décembre 1975, Pierre Harvey avait déjà, lui aussi, soulevé le voile sur cette question fondamentale sous l’angle économique. http://www.rond-point.qc.ca/blog/media/pdf/Harvey_Pierre.Maintenant%201975-12-24.pdf
Près de vingt ans après le référendum de 1995, les militants souverainistes butent à nouveau sur le même problème. Ne pourrait-on pas parler réellement de procrastination du velléitaire ? c’est-à-dire de toutes ces personnes qui hésitent et manquent d’audace. Elles nous apparaissent continuellement à la croisée des chemins, incapables de formuler adéquatement l’option indépendantiste. A sa manière, Yves Martin est conscient du problème (10), c’est pourquoi il suggère avec vigueur la nécessiter de «Maîtriser le politique» comme étant «LA question fondamentale».
Nécessité de l’action calculée
En 2015, c’est de l’action dont il s’agit de parler. L’action réelle stimulée par une ambition non-équivoque de vouloir ÊTRE indépendant collectivement. Les indépendantistes ont besoin d’une «direction nationale» qui saurait être en synergie avec une «direction politique» animée par les mêmes idéaux. Les candidats et la candidate dans la course à la présidence du PQ doivent nous montrer leurs intentions claires et nettes. Le prochain président du PQ aura un urgent besoin d’une «direction nationale» à ses côtés. Car une politique publique nationale portant sur l’indépendance politique du Québec ne se construit pas en un jour, même une semaine ou même un mois, mais durant une couple d’années par une équipe dédiée à travailler à cet effort indéfectible de changement d’orientation collective vers la souveraineté politique de l’État du Québec. Tel est l’objectif que doit suivre le PQ pour permettre l’accession à l’indépendance nationale de toute la société québécoise.
En terminant, je relierais cette opinion d’Yves Martin à celle de Pierre Vadeboncoeur sur certaines idées-mères de son Éditorial du 24 décembre 1975 dans le journal Le Jour : «Nous avons peut-être des yeux pour voir, mais nous n’en avons pas pour vouloir. (11)» Il y a aussi autre chose. Les grandes consciences peuvent-elles pour une minute consentir à voir que la volonté de pouvoir et le pouvoir s’imposent ? Il faut y travailler rigoureusement et méthodiquement. Il nous faut une direction politique et une direction nationale qui travaillent ensemble avec courage et ténacité.
Le PQ doit relever ce DÉFI s’il veut survivre.
NOTES
(1)«LA question fondamentale». Opinion publiée dans La Presse le 14 octobre 2003. Consulter la présentation de l’auteur et du document accompagnée de la reproduction intégrale du texte. (Cf. Le Rond-Point des sciences humaines. http://www.rond-point.qc.ca/la-question-fondamentale/)
(2) Bruno Deshaies, « Souveraineté ou/et bâtir un pays. Est-ce que souveraineté égale un pays ? » http://www.vigile.net/Souverainete-ou-et-batir-un-pays
(3) Le Temps des girouettes. Journal d’une drôle de campagne, Montréal, VLB éditeur, 2003, 224 p.
(4) Bernard Landry, « Parti québécois - La saison des idées. » 18 octobre 2003. Président du Parti québécois et chef de l'opposition officielle (http://www.ledevoir.com/non-classe/38549/parti-quebecois-la-saison-des-idees) Les mêmes idées se retrouvent dans son allocution à Verchères, le 21 janvier 2001, dans le cadre de la campagne au leadership pour le poste de président du Parti Québécois et de premier ministre du Québec (http://www.vigile.net/archives/01-1/landry-vercheres.html).
(5) Yves Martin, “Préface”, in ouvrage de Marc Brière, Pour sortir de l'impasse : un Québec républicain ! Montréal, Les Éditions Varia, 2002, 246 p. Collection «Sur le vif». Les Classiques des sciences sociales. Texte téléchargeable. http://classiques.uqac.ca/contemporains/briere_marc/pour_sortir_impasse/pour_sortir_impasse.doc
(6) La communauté des citoyens : sur l'idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994.
(7) Simon-Pierre Savard-Tremblay (SPST), Le souverainisme de province, Montréal, Boréal, 232 p. Essai de nature historique écrit par un jeune sociologue de 26 ans. De nombreuses personnes ont collaboré à la réalisation de ce projet de recherche sur le mouvement souverainiste des cinquante dernières années. Voir : http://generation-nationale.org/2015/01/nouveaux-regards-sur-notre-histoire-3-janvier-2015/
(8) Voir http://quebec.huffingtonpost.ca/etienne-boudou-laforce/le-suicide-souverainiste_b_6090644.html
Vous pouvez trouver dans l’Internet neuf autres comptes rendus de lecture.
- Jocelyn Beaudoin, http://quebec.huffingtonpost.ca/jocelyn-beaudoin/le-bq-le-pq-et-le-souvera_b_6111440.html
- Mathieu Bock-Côté, http://www.vigile.net/L-impuissance-souverainiste
- Ouhgo (Hugues) St-Pierre, http://vigile.net/Offrons-pour-Noel-un-SPST 11 commentaires
- Louis Cornellier, http://www.vigile.net/Le-peche-originel-du-souverainisme
- Julie Durand, http://www.independantes.quebec/2014/11/25/il-faut-en-finir-avec-le-souverainisme-de-province/
- Jacques Lanctôt, «Sortir la province du Québec.» Journal de Montréal, 12 novembre 2014. http://www.journaldemontreal.com/2014/11/08/sortir-la-province-du-quebec
- Tania Longpré, http://www.vigile.net/Le-souverainisme-de-province
- Mathieu Pelletier, http://www.revueargument.ca/article/2014-11-04/620-pour-mettre-en-echec-le-souverainisme-de-province.html
- Gilles Toupin, http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/souverainisme-province-2422.html
Ajoutons deux références en rapport avec «La souveraineté de province» dans le contexte de la course à la chefferie du PQ et une entrevue de Pierre-Simon Savard-Tremblay au sujet de la formation Génération nationale.
- Djemila Benhabib, «PKP, la francophonie et l’indépendance du Québec.» Sympatico Actualités, 28 novembre 2014. http://actualites.sympatico.ca/nouvelles/blogue/pkp-la-francophonie-et-lindependance-du-quebec
- Simon-Pierre Savard-Tremblay (SPST), «Vers une ″révolution PKP″» ? http://generation-nationale.org/2014/12/vers-une-revolution-pkp/
- Simon-Pierre Savard-Tremblay en entrevue avec Maurais Live Radio CHOI, 25 janvier 2013. https://generationnationaledotorg1.wordpress.com/2013/01/14/entrevue-choi/
(9) Maurice SÉGUIN, Les Normes, Chapitre troisième: «Sociologie du national», division 3, section 4 : Le nationalisme.
(10) Déjà dans sa Préface au livre de Marc Brière, il exposait clairement sa position en ces termes : «Le Québec ne sortira de l'impasse, c'est ma conviction profonde, qu'à condition de devenir un pays souverain ou d'accepter, s'il y renonce explicitement ou implicitement, au terme d'un processus plus ou moins lent de résignation tranquille, son intégration au pays unitaire que devient progressivement et inéluctablement le Canada, sous la pression de sa majorité non québécoise. (Cf. supra note 1) »
(11) «Le soleil du pouvoir». http://www.rond-point.qc.ca/le-soleil-du-pouvoir-2/
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2 commentaires
Patrice-Hans Perrier Répondre
29 janvier 2015Monsieur Ricard,
vous visez juste, je vous cite:
« Un référendum comme projet de société : dieu que ça fait pitié »
le cénacle des « sages » péquistes est complètement assujetti à la rectitude politique de l'heure.
un référendum doit porter sur un projet d'autonomie gouvernementale, soit le projet de faire l'indépendance.
toutefois, confinés dans leur camisole de force, nos habiles locuteurs craignent comme la peste de mousser « un projet NATIONAL » qui pourrait faire sourciller les gendarmes de la rectitude ...
une société « normale », qui s'assume, a, de facto, des projets, des espoirs, une mémoire collective, une culture, une langue et des consensus ... nul besoin d'organiser d'autres consultations béni-oui-oui portant sur « le vivre ensemble », le « projet de société », les « rêves des québécois », un « québécois c'est quoi ? » et j'en passe ... des vertes et des pas-mûres.
alllo !?! Y a-t-il quelqu'un à l'autre bout de la ligne ?
si nous sommes une « société distincte », et cela semble être confirmé ... jusqu'à nouvel ordre, alors nous devons nous prononcer sur le CADRE CONSTITUTIONNEL à l'intérieur duquel nous entendons vivre.
un CONSTITUTION du Québec SVP !
Maître Cloutier cessez de morigéner et roulons-nous les manches pour mettre en branle ce processus d'enfantement ...
du premier acte de notre libération:
un projet de constitution s'impose, pas un foutu « projet de société » à gogo, pour les gogos !
en avant mes camarades, un peu de solidarité sur Vigile, bon Dieu (Diable pour les laïcards) !
François Ricard Répondre
28 janvier 2015En ce 28 janvier, les médias viennent succinctement de nous présenter les résultats du premier débat des "chefs".
L'indépendance, sujet traité, a été résumé ainsi: c'est quand le prochain référendum.
On pourrait-y le mettre à la poubelle, ce référendum?
C'est comme demander au plombier: c'est quand tu vas te servir de ta fiche no 7?
On prend le pouvoir. On enclenche le processus d'indépendance. Nous nous donnons une constitution républicaine. Un projet de pays que nous ferons tous ensemble.
Et cette constitution d'un pays indépendant pourra être adoptée soit par un référendum soit par une élection.
Si m,les fédéralistes tiennent mordicus à un référendum, qu"ils le demandent. Nous négocierons.
Un référendum comme projet de société: dieu que ça fait pitié.