Cette question, évidemment, peut sembler étrange, mais rappelons avant même d’énoncer le propos que le titre de cet article n’est pas : « La proportionnelle est-elle un scrutin péquiste? » Cette remarque interrogative, en fait, est au cœur de ce propos. Il se peut que la proportionnelle ne soit pas le scrutin du parti unique de la souveraineté que voudrait incarner le Parti Québécois, mais il se peut, tout de même, que la proportionnelle soit en revanche, un scrutin souverainiste.
Les implications de cette analyse, disons-le tout de suite, sont graves, car elles impliquent que le PQ devrait sacrifier ses intérêts partisans sur l’autel de la souveraineté. Cette éventualité, je l’admets, implique une prise de conscience et une responsabilisation au PQ qui dépassent celles de parti politique, pour incarner celles de mouvement fondamentalement souverainiste.
On a vu naître au Québec un mouvement intéressant, celui qui dit que le vote pour le PQ, ou pour un autre parti souverainiste ou indépendantiste, serait un vote pour la souveraineté. Disons tout de suite que je suis foncièrement contre l’idée, car c’est mélanger une question constitutionnelle, la question constitutionnelle fondamentale, avec la question politique, celle qui vise à former un gouvernement.
L’on me répondra : oui mais… mais je couperai la parole et dirai : non, cette idée, fruit de la précipitation souverainiste, aura pour conséquence de nuire à la possibilité du PQ de former le gouvernement, et former le gouvernement, me semble-t-il, c’est aussi nécessaire, de temps en temps.
L’autre question, c’est l’abstention. Si 10 ou 20% de citoyens désabusés ne votent pas, peut-on dire qu’ils sont pour ou contre la souveraineté? Les taux de participation électorale sont plus bas que les taux de participation référendaire, car la question est de nature différente. L’importance du débat influe nécessairement sur le niveau de mobilisation aux urnes électorales ou référendaires.
On ne peut donc pas forcer trop la question. Bon, disons que si le PQ et l’autre parti indépendantiste se disaient : un vote pour nous, c’est un vote pour la souveraineté. Et s’il advenait que ces partis obtiennent, non pas la majorité des voix, mais aussi une majorité absolue de tous les électeurs potentiels, donc 50% des électeurs potentiels, qu’ils aient voté ou non, cela pourrait avoir une légitimité supérieure, mais évidemment, ce n’est pas ce qui est proposé ici. Plutôt, l’on cherche à court-circuiter la démocratie au profit d’une cause, qui, si louable qu’elle soit, ne justifie pas les moyens envisagés.
En revanche, en régime proportionnel, même s’il faut dissocier la question de l’élection, l’élection d’une coalition souverainiste détenant la majorité des voix et donc, en proportionnelle, la majorité des sièges, serait indicative de la volonté populaire, et justifierait de procéder à la tenue d’un référendum sur la souveraineté.
Je ne dis pas, en revanche, que la cause souverainiste mérite d’être traitée comme une simple question de majorité et de minorité référendaire, pour moi, la véritable souveraineté sera acquisse lorsque, disons, 60 % des Québécois appuierons l’idée, constituant ainsi une masse critique démocratique stable, décisive. Évidemment, là, les précipités me taperont sur les doigts…
Je dirai cependant, que la majorité juridique en démocratie, c’est la majorité simple, et que celle-ci est suffisante pour justifier l’acte souverainiste, mais qu’elle reste, à mon avis, insuffisante pour l’asseoir sans retour possible en arrière. Il ne faut pas penser la question simplement qu’en terme juridique, mais aussi en termes sociétaux.
Il faut chercher à faire plus que simplement ratisser une majorité vite faite, plutôt, il faut asseoir le projet souverainiste là où ç’a été négligé : chez les anglophones. Je ne dis pas que l’on va faire des anglophones des souverainistes purs et durs, mais étant une minorité nous-mêmes, il me semble logique de chercher des accommodements raisonnables pour que le respect des minorités au Québec soit une chose acquise, intégrée, et actualisée au sein de la société québécoise.
Or, les anglophones, évidemment, ne voudront pas d’une souveraineté ethnolinguistique, ils voudront, en revanche, peut-être d’une souveraineté sociétale intéressante, bref d’un projet de société démocratique capable de mobiliser au-delà de l’abîme linguistique entre des deux communautés du Québec. Cette démarche, il va de soi, est ambitieuse, mais elle voudra faire de la souveraineté une souveraineté-révolution, et non une souveraineté de l’élite québécoise au profit de l’élite québécoise.
Cette révolution, notons-le, aura aussi pour effet de ratisser large chez les francophones. Idéalement, c’est toutes les franges de la population qui seront affectées, au point de faire de la souveraineté une chose acquise, la question, réellement, sera alors : de quelle société voulons-nous? Et cette question, ce manque énorme et flagrant des discours souverainistes actuels, doit être adressée avant la souveraineté formelle elle-même.
Le scrutin, il me semble, est un élément important, central même, de ce projet de démocratisation de la société québécoise. La pierre angulaire de la démocratie représentative, c’est le mode de scrutin. La configuration des forces politiques au Québec en dépend. On ne peut donc, tout bonnement, écarter la question du revers de la main et dire : on la fera après la souveraineté.
Non, c’est avant, maintenant, que cette question doit être adressée. J’ose dire que la proportionnelle pourrait affecter la cause souverainiste, rendre le combat pour la souveraineté plus cohérent avec la lutte politique, poser un défi au mouvement souverainiste, mais un défi sain, démocratique, celui de réunir, véritablement, la sainte majorité souverainiste.
Certes, un courant réactionnaire existe au Québec, celui des Brassards et cie., qui dit que l’État québécois serait affecté nuisiblement par la proportionnelle, qu’il serait « affaibli » par la proportionnalité des voix relativement aux sièges parlementaires. Doit-on penser par là que le scrutin proportionnel nuirait au Québec en assurant que le gouvernement soit formé de partis représentants la majorité de la population?
Il faut plutôt croire que ces réactionnaires confondent les intérêts du Parti québécois avec les intérêts de la nation québécoise, et même, j’ose le dire, qu’ils mettent la charrue avant les boeufs, qu’ils mettent les intérêts du Parti québécois avant les intérêts de la cause plus large qu’est la souveraineté. On peut bien aller clamer à tous bords tous côtés que le Parti québécois est le parti de la souveraineté, mais la nécessité de le dire ne fait que pointer vers la dénégation de la vérité, car, évidemment, il n’y avait pas ce discours au Québec, avant l’apparition de Québec solidaire.
L’union entre les deux formations souverainistes-indépendantistes du Québec doit se sceller par un engagement au PQ de réformer le mode de scrutin, non pour ses propres intérêts, mais pour ceux de la cause souverainiste légitime, et ceux que la nation. On doit avoir l’audace de mettre les intérêts d’une souveraineté légitime et d’une démocratie représentative équilibrée au devant des intérêts stricto sensu de la formation politique péquiste.
La voie citoyenne
Il se peut même que la voie citoyenne, celle empruntée chez nos cousins de Colombie-Britannique et d’Ontario, soit, non seulement, une voie prometteuse pour réformer le mode de scrutin, mais une expérience enrichissante, un précédent, qui sait, pour réaliser la souveraineté dans un cadre de délibération sociétale plus large.
Le modèle embryonnaire d’Assemblée citoyenne pourrait être transformé en modèle d’Assemblée constitutionnelle, et soulignons que la question constitutionnelle primaire, c’est évidemment celle du statut de l’État. La mise en place d’une telle Assemblée constitutionnelle aurait pour effet de susciter un débat constitutionnel, au Québec, sur la structure de l’État, mais aussi de susciter le débat fondamental sur la nature de l’État québécois, tout en ne précipitant pas les choses.
Cette Assemblée, en étant investie du pouvoir d’initiative référendaire, aurait le pouvoir de provoquer un référendum sur la souveraineté, mais aussi d’adresser d’autres questions, telles celles qui concernent l’organisation des pouvoirs au sein de l’État politique québécois, l’organisation du pouvoir entre l’État central et les régions, bref, toutes les questions suffisamment importantes pour provoquer un débat sociétal et nécessiter la tenue d’un référendum.
En plus de provoquer un débat et d’engager la population, une telle Assemblée mobiliserait la société sur son destin constitutionnel. Elle redonnerait au peuple ce qui lui a été pris, volé, par Montesquieu, qui affirmait qu’il n’y a que trois pouvoirs de l’État. Il a oublié le pouvoir fondamental, essentiel, premier et absolu, celui de constituer l’État, et d’en définir les principales règles de fonctionnement, celui de mettre ne place un système institutionnel au sein duquel la démocratie représentative est actualisée, celui, bref, que je nommerai le pouvoir constitutionnel.
Cette omission est en fait une confusion qui existe en régime parlementaire de type britannique de manière plus aigue, car, dans ce régime, le pouvoir constitutionnel est confondu avec le pouvoir législatif; formellement, changer la constitution, les normes de nature constitutionnelles, se fait par un acte législatif. Distinguer le pouvoir constitutionnel du pouvoir législatif, c’est distinguer le droit du peuple d’être le souverain de son destin politique, le droit démocratique fondamental, du droit des élus d’agir dans le cadre des règles constitutionnelles qui sont fixées dans la Constitution.
Dit plus bêtement, c’est distinguer les droits du peuple et ceux des élus, c’est définir, tout compte fait, la démocratie. Ce type d’innovation, en effet, projetterait l’État québécois hors du champ de la démocratie représentative stricto sensu, pour le placer, plutôt, dans celui d’une démocratie citoyenne. L’on peut donc dire, qu’il s’agirait d’une autre révolution, sans doute un peu tranquille, à l’habitude, mais néanmoins fondamentale, ce serait un nouveau modèle d’État.
En tant qu’anglophone à temps partiel, je crois, que je pourrais y souscrire, y adhérer, y reconnaître de quoi qui justifie, peut-être même, de redonner au peuple du Québec sa pleine souveraineté. Je pourrais me dire : voici une société qui me semble avoir dépassée les autres, sur le plan institutionnel, voici une société que j’aimerais pouvoir investir de ma créativité, une société qui me dit finalement : je ne suis pas, donc je suis.
Je ne suis pas mes gouvernants, mais je co-gouverne, donc, je suis, oui, indépendant. Le scrutin proportionnel, comme l’idée d’Assemblée citoyenne, permettraient de redonner la souveraineté populaire au peuple du Québec. Ce n’est pas tout, car l’Assemblée citoyenne serait un début, une porte ouverte sur la transformation sociétale, une porte ouverte sur ce que nul, sauf Dieu – et peut-être même Lui… – ne peut prévoir, ce serait le plus beau des risques souverainistes que je connaisse : celui de la souveraineté du peuple du Québec.
David Litvak
L’auteur, anciennement membre du MDN, a initié une pétition pour la mise en place d’une Assemblée citoyenne sur la réforme du mode de scrutin au Québec : www.assemblee-citoyenne.qc.ca
La proportionnelle est-elle un scrutin souverainiste?
Tribune libre - 2007
David Poulin-Litvak51 articles
[Campagne pour une Assemblée citoyenne sur la réforme du mode de scrutin au Québec ->http://www.assemblee-citoyenne.qc.ca/]
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
2 avril 2007Une fois le choc de la performance de l'ADQ passé, le débat sur le scrutin proportionnel nous amène un vent de fraîcheur dans la politique québéçoise.
Combien de gens n'ont pas osé voter pour QS ou les Verts par crainte de nuire à l'élection d'un candidat du PQ et ainsi voir leur vote perdu. Je prend peut-être mes rêves pour des réalités, mais je pense que c'est deux fois plus de votes que QS et les Verts auraient obtenus si la proportionnelle avait existée.
Vivement la proportionnelle pour que ceux pour qui les enjeux sociaux et environnementaux sont une priorité aient une voix pour les représenter.
Des questions référendaire sur différents enjeux de notre société en même temps que les élections me plairaient bien aussi.