La déclaration de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), publiée ce matin, dénonçant le soi-disant «dérapage» du débat sur les liens entre le député Pierre-Karl Péladeau et son statut d'actionnaire majoritaire de Québecor, m'a étonné.
Si le président de la FPJQ, Pierre Craig, s'en était tenu à la légitimité de s'interroger sur le statut de M. Péladeau et l'opportunité de renforcer les règles d'éthique de l'Assemblée nationale, cela aurait été plus acceptable. Mais il a largement dépassé cette borne.
Il a accusé le Parti québécois d'avoir d'avoir voulu noyer le poisson avec une contre-motion qui propose d'élargir le débat au contrôle de l'ensemble des patrons de presse sur leurs médias; et surtout, d'avoir inventé un problème inexistant, d'avoir créé une forêt artificielle pour cacher l'arbre bien réel du conflit d'intérêts de M. Péladeau.
Et il ajoute: «Si André Desmarais, grand patron de La Presse et des six autres quotidiens majeurs de chez nous s'était porté candidat à la chefferie du Parti libéral du Québec, le PQ aurait dénoncé, avec raison, ce conflit d'intérêts.» Je n'en doute pas. Mais il n'a pas poursuivi son raisonnement, car on peut supposer que le PLQ aurait alors, lui aussi, proposé une contre-motion pour étendre le débat à l'ensemble des empires de presse…
M. Craig statue que s'il y avait eu un problème d'influence indue sur l'ensemble des médias du Québec, on le saurait. «La presse québécoise est libre. Elle est même vigoureuse et alerte», écrit-il sans nuances. Et il met en garde les députés «de ne pas inventer un problème là où il n'y en a pas».
Pourquoi suis-je mal à l'aise devant cette position de la FPJQ? Parce qu'elle semble faire abstraction d'une part importante de la réalité politique et du vécu des entreprises de presse dans lesquelles ses membres exercent leur profession.
La situation de Pierre-Karl Péladeau mérite-t-elle qu'on s'en préoccupe sur le plan de l'éthique? Bien sûr. Mais les «M. Net» qui se font promoteurs du débat à l'Assemblée nationale sont-ils eux-mêmes sans péché? N'y a-t-il pas derrière leur motion des objectifs tout aussi politiques qu'éthiques?
Quant à la contre-motion du PQ, a-t-elle, du moins, en partie, pour motif de noyer le poisson et de marquer des points politiques? Bien sûr. Mais cela signifie-t-il qu'elle soit dénuée de fondement et qu'elle ne soulève pas, elle aussi, un problème réel et susceptible d'embarrasser ses adversaires?
Si l'on doit examiner la question des liens entre les dirigeants politiques et les barons de presse, le débat doit englober plus que la simple situation d'un député à l'Assemblée nationale. Les rapports entre les décideurs médiatiques et les décideurs politiques, et les réseaux d'influence qui s'y tissent, se font le plus souvent à l'abri des regards publics.
Quand je suis entré au quotidien Le Droit en 1969, l'entreprise appartenait aux Oblats de Marie Immaculée, une communauté religieuse. On pouvait lire, en page éditoriale : «Journal voué totalement aux intérêts de l'Église et de la patrie et indépendant en politique».
Ce n'était pas par hasard que cela avait été inscrit dans les pages du quotidien. Il y avait au Québec une certaine tradition d'association, officielle ou officieuse, entre les partis politiques et les journaux. L'exemple le plus évident à cette époque? Montréal-Matin et l'Union nationale.
Depuis ce temps, les médias, de plus en plus concentrés, se sont donné une apparence d'indépendance mais des liens existent toujours, sans se manifester à tous les paliers des entreprises. Les conventions collectives, les organismes professionnels et certaines lois ont érigé de solides protections pour les reporters et les salles des nouvelles.
Mais les contrôles se resserrent et les «influences» se font sentir davantage à mesure qu'on grimpe dans l'échelle hiérarchique. Si les chroniqueurs conservent toujours une bonne marge de manoeuvre, les cadres d'information et les éditorialistes sont davantage soumis à des politiques établies et approuvées par les propriétaires.
Ce n'est pas le fruit du hasard si aucune page éditoriale des quotidiens de Gesca n'appuie le Parti québécois ou l'indépendance du Québec. Comme ce n'est pas le fruit du hasard si les quotidiens de Québécor n'ont aucune page éditoriale. Les plumes ne sont pas toutes libres.
Alors quand M. Craig affirme que la presse québécoise est «libre» et qu'on invente un problème, j'aimerais lui rappeler que tout en étant éditorialiste, j'ai essayé la voie «libre» et «vigoureuse» pour tenter de protéger mon quotidien régional, Le Droit, contre les visées de l'empire Gesca/Power qui menace de le faire disparaître. Et qu'on m'a mis à la porte. En 2014.
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