La Charte des valeurs serait maintenant «la patente à Drainville»? Je lisais cet après-midi le «chronique-éditorial-pamphlet» d'Yves Boisvert, dans La Presse, et cela m'a ramené aux jours les plus sombres du débat sur la Charte, où le traitement du sujet dans les médias ne passera pas à l'histoire comme l'une des heures les plus glorieuses du journalisme québécois (et anglo-canadien).
Alors qu'au sein du public francophone du Québec, le projet de Charte suscitait un appui solidement majoritaire et que rien, dans les rues, ne rappelait l'ambiance volatile du printemps étudiant de l'année précédente, une série abracadabrante de textes et de caricatures incendiaires se sont succédés dans les pages d'opinion et de nouvelles - atteignant un niveau rarement égalé dans certains journaux (francophones et anglophones) y compris le vaisseau amiral de la chaîne Power/Gesca, La Presse. Voir mon blogue du 16 septembre 2013 à ce sujet (bit.ly/151HN5j).
Des plumes aiguisées et venimeuses ont contribué, j'ose espérer involontairement, à transformer un projet noble de neutralité religieuse de l'État en manifestation d'intolérance et de xénophobie. Avant l'offensive médiatique contre la Charte des valeurs, l'appui de principe au projet dépassait le seuil des 70% chez les francophones. Si la campagne électorale de 2014 avait essentiellement porté sur la Charte au lieu d'être transformée en chicane référendaire, le PQ aurait bien pu obtenir sa majorité.
Évidemment, ce qui est arrivé, est arrivé. Le Parti québécois est à la dérive, du moins temporairement, attaqué de toutes parts, sur sa gauche comme sur sa droite, et au lieu de tirer à boulets rouges contre un adversaire puissant à l'offensive, comme c'était le cas à l'automne dernier, quelques-unes des plumes médiatiques qui griffaient l'ancien projet de Charte des valeurs (et même des péquistes bien en vue) s'en donnent à coeur joie, comme des vautours achevant le moribond.
J'espère que M. Drainville tiendra bon dans la tempête, parce que l'avenir lui donnera raison. Il a fallu des siècles pour comprendre que religion et politique n'ont jamais fait bon ménage. Encore aujourd'hui, on voit les horreurs vécues dans des pays avec des religions d'État ou avec des factions religieuses intégristes violentes. À une époque et dans une région de grande diversité comme la nôtre, diversité culturelle autant que religieuse, l'État se doit d'épouser une neutralité stricte pour accueillir tous les citoyens, peu importe leurs convictions, dans le respect et l'égalité.
J'ai appuyé cette Charte sans beaucoup de réserves du début à la fin et je ne renie pas cet appui aujourd'hui. Ce n'était pas trop demander, aux employés de l'État, de ne pas afficher de signes religieux (ou anti-religieux) ostentatoires. À titre de représentants de l'autorité de l'État - comme fonctionnaires, enseignants, infirmières, policiers, etc. - ils ne peuvent exiger de pouvoir imposer visuellement leurs croyances à des citoyens qui, eux, sont obligés de les rencontrer pour obtenir des services auxquels ils ont droit. J'ai écrit à quelques reprises sur ce sujet dans mon blogue (voir liens ci-dessous).
En éditorial, en 2010, dans Le Droit, bien avant la Charte, j'avais abordé cette question en commentant le projet de loi 94 du gouvernement Charest sur les accommodements raisonnables. J'écrivais alors: «Les employés des ministères, commissions scolaires, hôpitaux et autres organisations publiques sont le visage de l'État. Ceux et celles qui servent le public représentent l'État, l'incarnent. En vertu du principe de neutralité religieuse, l'affichage de symboles religieux – hijab, croix chrétienne, étoile juive, kirpan ou autre – devrait être exclu, ici, des accommodements raisonnables. De plus, le voile islamique est vu par la majorité des citoyens comme un symbole de l'inégalité des femmes chez les Musulmans.»
Le thème central de la Charte, la neutralité/laïcité de l'État, n'avait rien à voir avec le nationalisme du Parti québécois. Le projet de loi Charest était-il une manifestation du nationalisme canadien des libéraux? Non. Les débats qui ont cours et les lois qui sont adoptées dans divers pays européens sur la neutralité de l'État, sont-ils des émanations d'un quelconque nationalisme? Non. Partout, ce débat est un prolongement de la grande évolution de la démocratie et de la laïcisation de l'État dans les pays occidentaux. C'est l'élévation graduelle de l'État à un niveau plus civilisé que celui des débats sectaires.
Je ne doute pas qu'il y aurait eu une période d'adaptation ou de transition si la charte du PQ avait été adoptée. Mais le débat n'aurait pas duré longtemps. Après quelques années de mise en oeuvre, les gens auraient reconnu la valeur pour tous, chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes, agnostiques, athées et autres, d'être traités par l'État dans un climat d'égalité et de respect, et d'être servis par des employés qui sont un fidèle reflet de cette égalité, de cette absence de parti pris.
Le projet de Charte de 2013 aurait contribué à consacrer l'égalité des citoyens et l'égalité hommes-femmes au sein d'un État qui a l'obligation de représenter et servir tous les citoyens sans distinction. Les principes qu'il défendait et les objectifs qu'il visait méritaient alors, et méritent encore aujourd'hui, le respect. La patente à Drainville… Vraiment!
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Quelques liens...
* Assez, c'est assez! Blogue du 28 août 2013 bit.ly/17lMWqT
* Médias, Charte des valeurs et opinion publique. Blogue du 12 septembre 2013 bit.ly/18eNmDH
* Un commentaire intéressant, mais… Blogue du 17 octobre 2013 bit.ly/1aTqMxt
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