Crise au Parti québécois

La perte de conscience nationale

ce ne sont pas de «petites rénovations» démocratiques déjà proposées depuis plus de 40 ans qui viendront modifier cette réalité

Pacte électoral - gauche et souverainiste


Trop souvent, lorsque l'on tente d'expliquer la crise que traverse le Parti québécois, on cherche à réduire le débat à un affrontement entre ceux que Pauline Marois qualifie de pressés et les pragmatiques qui attendent les conditions gagnantes. Or, ce qui ébranle actuellement l'ensemble du mouvement souverainiste dépasse largement la question circonstancielle du leadership et des différentes tendances qui s'affrontent à l'intérieur des forces indépendantistes.
En fait, c'est le nationalisme québécois tout entier qui traverse actuellement une grave crise «existentielle» et cette crise, qui touche particulièrement le Parti québécois, ne pourra être résolue par des initiatives cherchant à redonner des lettres de noblesse aux charges publiques, comme le suggèrent le rapport Drainville ou les propositions euphoriques de Pierre Curzi.
En vérité, la tempête qui secoue les souverainistes est le résultat d'un amalgame de conjonctures complexes qui, isolément, n'expliquent que partiellement la réalité. Cependant, prises dans leur ensemble, elles donnent la pleine mesure d'une tourmente qui n'a certes pas fini d'alimenter le débat public.
Les explications du déclin
Le déclin du nationalisme québécois a donné lieu à plusieurs analyses depuis 1995. Pour certains, dont le professeur Jean-Herman Guay, le PQ vogue d'une crise à l'autre en partie parce que les Québécois n'ont plus de raisons objectives de se révolter. Les luttes nationalistes traditionnelles basées sur l'affranchissement des francophones de la domination anglo-saxonne seraient aujourd'hui dépassées. Les Québécois, maîtres chez eux depuis le début des années 1960, ne sentiraient plus le même besoin de poursuivre les luttes des générations précédentes. Les «raisins de la colère» n'étant plus là, le mouvement souverainiste en subit logiquement les conséquences en se marginalisant à petit feu.
Pour d'autres, le déclin de la question nationale s'explique par la volonté des gouvernements de diluer la culture majoritaire des francophones du Québec dans le multiculturalisme. Érigé en doctrine d'État tant sur la scène provinciale que fédérale, le multiculturalisme en vient à présenter la culture majoritaire comme une culture parmi tant d'autres, empêchant ainsi les questions nationalistes de s'exprimer et provoquant par le fait même une forme de «dénationalisation» des enjeux identitaires. Il s'agirait donc, dans cette perspective, de rétablir le rapport à la culture majoritaire en réaffirmant les caractéristiques de la nation québécoise.
Un nationalisme de crises
S'il est sans doute vrai que les luttes nationalistes ont aujourd'hui changé et que la culture québécoise est diluée dans la construction de l'espace identitaire canadien, il ne faut surtout pas oublier que le nationalisme québécois est aussi le résultat d'une succession de conflits qui ont servi à alimenter les partis politiques dans leurs projets de société. Cette construction nationaliste de l'affrontement nous rappelle que le monde politique est aussi le résultat d'une confrontation à l'intérieur du système politique, confrontation qui conditionne, en quelque sorte, l'environnement politique.
Par exemple, le nationalisme canadien-français, puis québécois, a toujours été alimenté par ces différentes crises. Que ce soit l'affaire Louis Riel, les écoles francophones de l'Ontario, le débat entourant les conscriptions, les batailles pour l'affichage de la langue française et la longue période des luttes constitutionnelles entre 1970 et 1992, les partis politiques ont toujours pu compter sur la crise pour mobiliser l'électorat. Ce fut le cas autant du Parti libéral de Robert Bourassa que du Parti québécois de René Lévesque. Cette mobilisation par la crise est cependant de moins en moins présente, expliquant entre autres la marginalisation du Bloc québécois à l'occasion des dernières élections fédérales.
Une perte de conscience nationale
Depuis le référendum de 1995, on peut remarquer que la scène politique québécoise n'est plus alimentée par les tensions nationales. Tirant des leçons de cette période tumultueuse, la classe politique fédéraliste a compris que la crise servait de puissant levier aux ambitions nationalistes des Québécois. En refusant systématiquement d'entrer sur ce terrain fertile, les partis fédéralistes coupent l'un des fondements les plus profonds du nationalisme québécois: le sens de l'histoire.
En effet, pour le citoyen de la décennie 2010, le rapatriement de 1982 n'est que le lointain souvenir d'une bataille menée par une autre génération. Il en va de même pour les accords de Meech et de Charlottetown. Les revendications nationales prennent donc de plus en plus une dimension abstraite qui ne trouve plus d'encrage dans la société québécoise. Ne pouvant plus compter sur le sentiment de révolte, noyé dans l'ensemble multiculturel canadien et sans un conflit pour ranimer la flamme nationaliste, les Québécois perdent peut-être peu à peu cette conscience nationale qui permettait au mouvement souverainiste d'incarner les ambitions d'une société.
Cette perte de conscience est-elle symptomatique d'une amnésie permanente ou temporaire? Difficile à prévoir, le monde politique étant par nature instable et imprévisible. Entre-temps, les Québécois continuent d'oublier le sens de l'histoire, provoquant du même souffle la tourmente qui secoue actuellement le PQ. Chose certaine, ce ne sont pas de «petites rénovations» démocratiques déjà proposées depuis plus de 40 ans qui viendront modifier cette réalité.
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Antonin-Xavier Fournier, professeur de science politique au Cégep de Sherbrooke


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