La pêche aux ménés

On attendait de grosses prises, c'est plutôt la pêche aux ménés.

À quoi d'autre faut-il s'attendre quand on pêche dans une piscine?...


Boris Vian, iconoclaste mordant envers les politiciens, chantait qu'en matière d'explosion, la seule chose qui compte, «c'est pas la portée de la bombe, mais bien l'endroit où s'qu'ell' tombe».



En lisant le rapport Grenier rendu public par le directeur général des élections, hier matin, l'ADQ et le PQ devaient espérer que ce cher Boris disait vrai.
Malheureusement pour eux, le souffle de la «bombe» d'Option Canada a autant de puissance qu'un ballon qui se dégonfle. Et son effet devrait être aussi durable dans l'opinion publique.
Devant les délais d'enquête qui s'étiraient sans cesse depuis quelques mois, deux théories couraient à propos du rapport du juge à la retraite Bernard Grenier : c'est long parce qu'il est tombé sur quelque chose de très gros ou, au contraire, c'est long parce qu'il ne trouve pas le pot aux roses.
À l'évidence, c'est la deuxième théorie qui l'emporte. On attendait de grosses prises, c'est plutôt la pêche aux ménés.
Qu'apprend-on ? Pas grand-chose que nous ne savions pas. D'abord, le gouvernement fédéral de Jean Chrétien a dépensé sans compter (au moins 11 millions $) dans le camp du NON, ce que tout le monde savait. Jean Chrétien, ses ministres, ses députés et les fonctionnaires impliqués dans l'opération n'ont jamais nié ce fait. Au contraire, ils en ont toujours été très fiers. Rappelez-vous ce brave Chuck Guité, qui avait expliqué au comité des comptes publics à Ottawa comment il avait loué préventivement tous les panneaux publicitaires disponibles au Québec en prévision du référendum d'octobre 95.
Ensuite, on lit dans le rapport Grenier qu'Ottawa a injecté au moins 539 000 $ pour le NON en infraction à la loi québécoise, chose sue également. Le montant est même largement inférieur à ce que nous entendions de diverses sources.
Enfin, quelques personnes, dont des proches collaborateurs de Jean Charest aujourd'hui, ont touché de l'argent pour des emplois fictifs ou pour faire du bénévolat pour le NON. Grosse surprise ? Pas vraiment. Le monde politique est petit, ce sont toujours les mêmes qui gravitent dans leur camp respectif. Stéphane Bertrand était directeur du Parti libéral du Québec en 1995, il est aujourd'hui chef de cabinet de Jean Charest. Cela ressemble plus à une progression professionnelle normale qu'à une preuve de culpabilité.
D'autant que le juge Grenier absout M. Bertrand et les autres, quoi qu'en pense l'opposition. C'est toujours la même chose avec les commissions d'enquête : si vous acceptez le rapport final, vous devez aussi accepter ses conclusions, que vous soyez d'accord ou non.
Il est vrai que le rapport du juge à la retraite manque singulièrement de dents, notamment en refusant de nommer tous les acteurs impliqués et en gardant sous scellés des témoignages clés de son enquête.
Cela dit, ce rapport a le mérite d'en dévoiler un peu plus sur le fonctionnement des campagnes (électorales ou référendaires), sur les retours d'ascenseurs, sur le «détournement» de fonds vers des agences de publicité et des maisons de sondages. (Au fait, on a bien hâte de voir les conclusions de Daniel Paillé, qui a été engagé par le gouvernement Harper pour fouiller les contrats de sondages de l'ex-gouvernement libéral. Ça promet.)
La question, en cette période de tempête politique à Québec, est de savoir si le rapport Grenier aura un impact immédiat sur la survie du gouvernement Charest. Ce serait étonnant, à en juger par la faiblesse des attaques de l'ADQ et du PQ, hier.
L'opposition aurait bien aimé qu'Option Canada soit pour Jean Charest ce que le programme des commandites a été pour Paul Martin. Autrement dit, que l'on dise que Jean Charest était forcément au courant parce qu'il était vice-président du comité du NON, comme on disait que Paul Martin devait forcément connaître les détails des commandites parce qu'il était ministre des Finances.
Hier matin, Mario Dumont et Diane Lemieux ont lancé la période de questions avec le rapport Grenier, mais ils ont vite manqué de munitions. Si le chef de l'ADQ n'a pas été capable de faire lever le gâteau avec un rapport si attendu, c'est probablement parce qu'il n'y a pas trouvé les bons ingrédients. Clairement, l'ADQ ne fera pas beaucoup de millage avec ce rapport.
Du côté du Parti québécois, toutefois, Diane Lemieux a mis le doigt sur un bon point : Jean Charest devrait au moins réaffirmer, comme il l'a déjà fait, que toute violation des lois québécoises est inacceptable, même au nom de la survie du Canada.
À Ottawa, le gouvernement Harper redoutait depuis quelques jours la publication du rapport Grenier, craignant qu'il donne un nouveau souffle au Bloc québécois. Gilles Duceppe, en effet, a sauté sur l'affaire, faisant un lien avec le scandale des commandites et réclamant une enquête publique fédérale.
Que le Bloc rêve de se trouver un nouveau Gomery, c'est compréhensible, mais ce que M. Duceppe propose, c'est de sortir une masse pour écraser une mouche morte.
Qu'est-ce que l'on apprendrait avec une enquête publique ? Que le gouvernement fédéral a jeté des millions dans la marmite référendaire ? Que le gouvernement fédéral a donné des congés payés à ses employés pour qu'ils participent au love-in ? Que les compagnies aériennes ont vendu des billets d'avion à rabais aux Canadiens de partout pour qu'ils assistent eux aussi à l'événement ? Tout ça est connu depuis plus de 10 ans.
Cela ne rend pas les infractions à la loi québécoise plus acceptables, mais que cherche le Bloc avec une enquête publique ? Faire la lumière ou entretenir à des fins électorales la thèse du référendum volé.
Thèse douteuse, d'ailleurs. Parmi ceux qui ont couvert de très près la campagne référendaire de 95, nous sommes nombreux à croire que le fédéral n'a pas volé le référendum avec ses gros sabots. Au contraire, c'est à force de trop en mettre qu'il a failli l'échapper.
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca


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