Il y a eu d'abord l'«affaire Shane Doan», puis la crise au comité des langues officielles, suivi du rapport très dur du commissaire Graham Fraser sur le bilinguisme de façade du gouvernement Harper. Sale printemps pour les francophones dans ce beau grand pays supposément bilingue.
Le malaise, toutefois, n'est pas que linguistique. Il est politique. Et il est profond. Il touche, encore une fois, à quelque chose de plus fondamental: la relation entre le Québec et le reste du pays ou, si vous préférez, les deux bonnes vieilles solitudes.
Il fut un temps, pas si lointain, ou une bonne partie du Canada anglais, intrigué, se demandait de bonne foi: «What does Québec want?» Aujourd'hui, ce serait plutôt: «Mais qu'est-ce qu'ils veulent encore, ces emmerdeurs de Québécois?»
Conséquence directe, sans doute, de l'affaissement du mouvement souverainiste et donc de la menace de séparation: on ne se gêne pas trop au Parlement fédéral et dans les médias anglophones du pays pour verser dans une certaine condescendance face au Québec. Un certain mépris, même. Un mépris ordinaire, comme si cela allait de soi.
Dernier exemple en date: le débat autour de la refonte de la carte électorale fédérale, une refonte qui fera augmenter en 2014 le nombre de circonscriptions en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique. Jusque-là, tout va bien. Les trois provinces en question connaissent une forte croissance démographique, ce qui, on le sait, n'est pas le cas du Québec. Les récriminations des trois partis de l'Assemblée nationale et du Bloc québécois à Ottawa ne tiennent mathématiquement pas la route (rappelons au surplus que la Constitution garantit au Québec un plancher de 75 sièges), ce que The Globe and Mail a fait remarquer dans un édito la semaine dernière.
Les calculs de pourcentages du Globe sont justes, pas de problème. C'est le ton qui est détestable: «Quebec's interests are well protected, and would be further advanced if Quebeckers opted to elect MPs who had a chance of governing instead of perpetually complaining that they were being humiliated by the rest of Canada», lit-on dans cet édito.
Donc, nous dit le journal de Toronto, les intérêts du Québec sont déjà bien défendus et le seraient encore davantage si les Québécois élisaient des députés qui peuvent accéder au gouvernement plutôt que de se plaindre constamment d'être humiliés par le reste du Canada.
Remarquez le raccourci intellectuel: des députés souverainistes ÉLUS par les Québécois qui revendiquent plus de pouvoir pour le Québec ne sont que des chialeux qui ne servent à rien parce qu'ils ne peuvent faire partie du gouvernement, selon le Globe.
Se pourrait-il que les Québécois élisent des bloquistes non pas parce qu'ils souffrent du syndrome de persécution, mais parce que les partis fédéralistes n'arrivent pas à les rejoindre?
Et for the record, comme on dit à Toronto, faut-il rappeler à nos amis du Globe que le Québec a déjà voté massivement du «bon bord», en 1980, notamment, quand il a élu 74 libéraux sur 75? Cela lui a donné le rapatriement unilatéral de la Constitution.
De méprisante, l'attitude d'une bonne partie du Canada anglais et de tous ses médias est devenue carrément hargneuse avec l'«affaire Shane Doan», au début du mois.
Le Canada anglais, pas du tout ému qu'une vedette de la Ligue nationale de hockey soit soupçonnée d'avoir traité un juge de ligne de «fucking Frenchman», s'est plutôt enflammé parce que des députés du Québec, dont des libéraux, ont osé remettre en question le choix de ce joueur au poste de capitaine d'Équipe Canada.
Et pour bien tourner le fer dans la plaie, le premier ministre Harper a passé un petit coup de fil au joueur en question pour le féliciter d'avoir compté trois buts dans un match en Russie. (Au fait, il n'a rien de plus important à faire, le premier ministre, que d'appeler un joueur qui compte trois buts dans un match de hockey sans importance?)
Le front linguistique était déjà passablement chargé, voilà que le nouveau commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, a produit la semaine dernière un rapport qu'il aurait pu intituler Le bilinguisme de façade du gouvernement Harper.
En fait, M. Fraser a mis le doigt sur un bobo que tous les journalistes francophones ont remarqué depuis des mois: Stephen Harper a beau commencer ses points de presse et ses discours en français, ses ministres sont en majorité unilingues anglophones (dont les ministres du Patrimoine et des Relations intergouvernementales - faut le faire!), ses conseillers aussi et la machine gouvernementale n'a probablement jamais été aussi anglophone, notamment chez les sous-ministres.
Le plus comique (mieux vaut en rire), c'est que bien des collègues journalistes anglophones s'offusquent du fait que le premier ministre s'adresse à eux d'abord en français. Les mêmes qui éteignent leur magnéto quand un politicien répond en français et qui viennent nous demander de traduire ses propos quand ils sentent qu'ils viennent de manquer quelque chose d'important.
Pour ajouter encore au climat antifrancophone de ce mois de mai, le gouvernement Harper a aussi décidé de paralyser le comité des langues officielles juste au moment, quelle coïncidence, où les députés devaient se pencher sur l'abolition par les conservateurs du Programme de contestation judiciaire.
Autre coïncidence, sans doute, des membres influents du gouvernement Harper, notamment John Baird, Tony Clement ou Jim Flaherty, étaient ministres du gouvernement Harris, qui a tout fait pour fermer l'hôpital Montfort. Sans le Programme de contestation judiciaire, la minorité francophone d'Ottawa n'aurait jamais pu se battre jusqu'en Cour suprême pour sauver Montfort.
Graham Fraser a bien raison: le premier ministre Harper a une attitude exemplaire parce qu'il commence ses discours en français. C'est tout le reste qui cloche.
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca
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