Je lis ces temps-ci des histoires de fraudes boursières, de magouilles et de spéculations; je constate les déboires du président Obama qui tente de réformer le monde de la finance, les tergiversations de la zone euro, l'échec d'une taxe internationale sur les banques, le scepticisme qui entoure la portée des sommets du G8 et du G20, la corruption insidieuse de nos gouvernements, l'argent que reçoit un politicien pour venir occuper une fonction publique — et j'en passe. Je ne peux m'empêcher d'y discerner, derrière les beaux prétextes, tant de victoires de la cupidité, l'aveuglement et la perversion du pouvoir. Soit des événements qu'on nous fait avaler sans trop de considération.
Nos dirigeants, nos institutions, notre élite sont-ils généralement guidés par des idéaux philanthropiques de progrès et de bien-être commun, ou régis par de petites aspirations bornées et vénales? La paupérisation de la classe moyenne s'accentue, les cerveaux s'assèchent de leurs idéaux, les pouvoirs tergiversent.
Fossé qui se creuse
Il a été clamé moult fois, particulièrement ces dernières années, que l'économie, l'industrie et les intérêts boursiers (représentés par les lobbys et les multinationales) — c'est-à-dire l'argent des riches — mènent le monde. En fait, le fossé s'est creusé entre riches et pauvres depuis quelques décennies, après s'être atténué dans la foulée des réformes de la Grande Dépression, puis dans l'ère de prospérité qui a suivi la Seconde Guerre.
Tandis que le taux d'impôt marginal diminue globalement, la hausse réelle du revenu du huitième des individus les mieux payés au Canada a été de 28 % entre 1975 et 2000, alors que la hausse pour l'ensemble des travailleurs n'a été que de 13 %. Et ce pourcentage croît de façon exponentielle à mesure qu'on s'approche des fractions supérieures. En 2008, selon Statistique Canada, le revenu des travailleurs les moins bien payés a diminué de 20 % au pays, alors que celui des plus riches a augmenté de 16 %.
Où s'en sont-ils allés, ces plafonds fiscaux qui atteignaient en Amérique du Nord les 60, voire 70 % dans les années 1960? C'était auparavant davantage encore! Aujourd'hui, au Québec, la province se dote plutôt d'une franchise fixe pour les soins de santé qui ne tient pas compte du revenu.
Les cerveaux les plus brillants, dit-on, s'agglutinent à Wall Street et s'ingénient à «inventer» des façons aussi innovatrices qu'ésotériques de s'enrichir sans produire. C'est donc dire qu'une part de l'intelligence se réfugie dans les finances et travaille à rendre encore plus fort et plus influent un secteur qui idéalise le profit, si égoïste soit-il. La politique se transforme en question de financement, d'appuis économiques, de faveurs intéressées et de connivences — on n'accède pas au poste de président, même démocrate, ni de ministre, ni à quelque position d'importance sans alliés à satisfaire.
Détournement
Les transformations progressistes, pour si peu qu'elles soient nuisibles aux gros intérêts, fléchissent; pensons à la réforme américaine du système de santé, mise à mal, entre autres, par les assureurs de l'industrie pharmaceutique. Les petits scandales sont monnaie courante chez les politiques et dans la fonction publique, au Québec, au Canada et ailleurs.
Tranquillement, on s'aperçoit que nombre de dirigeants ont occupé de hautes fonctions au sein d'entreprises avant d'être élus pour légiférer ou régir leur ancien secteur d'activités. Sinon, c'est après avoir favorisé ou piloté des changements complaisants qu'ils se voient offrir des postes lucratifs dans l'industrie.
Il faut admettre qu'au pays, sous le pérenne régime conservateur, occupé à acheter des avions de combat et des lacs artificiels, le Québec reste une enclave socialisante. Il est difficile, pourtant, d'ignorer le mouvement qui se détourne du sentiment public: un espèce de lent retour vers ce qu'on dénonça durant la Grande Noirceur. Où sont les figures passionnées et les valeurs politiques intellectuelles que nous avait révélées la Révolution tranquille?
À se fier à la raison et l'Histoire, il y aura toujours une élite. Reste à savoir quelle nature elle aura. Les membres des professions libérales, intellectuelles, qui la constituèrent ne sont plus que de simples techniciens. L'éducation, qui semble prôner la médiocrité au détriment de l'esprit critique et de la curiosité intellectuelle, porte peut-être une petite partie du blâme. Ou du moins elle en serait un indice.
Il semble que l'élite se définisse aujourd'hui un peu plus par l'argent. Elle semble penser à court terme, pour son compte, en se préoccupant relativement peu d'altruisme, de progrès ou d'environnement. D'où un gouvernement qui vogue sur la controverse, qui gouverne pour une faible majorité et pour se faire élire.
La solution n'est pas dite évidente, l'idéal est utopique, mais le problème n'en est pas moins patent. Récemment, c'était les convulsions d'une crise financière mondiale que je lisais, en y voyant le catalyseur de réformes. Le marasme a remué le monde, symptôme flagrant d'une perte de contrôle. Pourtant, après avoir ébranlé de façon très relative les esprits des dirigeants et réveillé une population comme endormie, la crise sera-t-elle rapidement reléguée à l'état de souvenir effacé?
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