Turid Satermo - Anthropologue d'origine norvégienne et résidante du Québec depuis sept ans, l'auteure a fait toutes ses études en Norvège et termine un doctorat à l'Université de Trondheim.
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La Norvège est souvent citée en exemple dans le débat qui agite en ce moment le Québec sur la gratuité scolaire et l'accessibilité aux études supérieures. Je me réjouissais donc qu'un compatriote, Bjorn Sundby, prenne le temps d'écrire sur le sujet.
Hélas, à la suite de la lecture du texte, il m'est apparu nécéssaire de remettre les pendules à l'heure.
M. Sundby laisse entendre que le service militaire obligatoire est le prix à payer pour le maintien de la gratuité scolaire en Norvège. Or, ce raisonnement ne tient pas la route, loin s'en faut.
D'abord, le recrutement obligatoire ne permet pas à l'État d'économiser, comme l'affirme M. Sundby. D'ailleurs, c'est plutôt le contraire: au sein même de l'armée, des voix s'élèvent pour dénoncer la caducité du service militaire obligatoire: une pratique trop onéreuse et qui ne correspond plus aux besoins réels de la défense nationale. Mentionnons en outre que seulement 15% des jeunes font leur service militaire (les femmes n'y sont pas tenues et 65 % des hommes y échappent).
Depuis 1947, bien avant le pétrole il faut le dire, la gratuité scolaire fait l'objet d'un large consensus qui n'a jamais été remis en question ni à gauche ni à droite.
Quant à l'accessibilité réelle, elle est assurée par un système universel de prêts et bourses, accordés à tous sans égard à la situation financière ou au salaire des parents. Un peu comme au Québec, en plus de renoncer à un salaire, un grand nombre de Norvégiens désirant poursuivre des études supérieures doivent payer les frais inhérents à l'exil vers les centres urbains.
Aujourd'hui, un jeune norvégien qui débute à l'université recevra pour chaque semestre de cinq mois un prêt de 45 000 couronnes (environs 8000$ - le coût de la vie et les salaires étant plus élevés en Norvège), un montant qui libère de la nécessité d'occuper un emploi pendant la session d'étude. Il s'agit d'un prêt aux conditions très favorables et aux modalités de remboursement flexibles, établies selon la capacité de payer. De ces 45 000 couronnes, conditionnellement à la réussite du semestre, 18 160 seront automatiquement converties en bourse. Pour les diplômés qui iront travailler en région éloignée, la part convertie en bourse sera bonifiée.
Finalement, l'étudiant norvégien doit débourser de sa poche un «frais de semestre» de 435 couronnes (75$) qui contribue à fournir à la communauté étudiante des services à prix modiques tels logements, installations sportives et garderies.
J'aimerais dire mon incompréhension de voir la gratuité scolaire -de même que l'accessibilité totale- perçues comme des utopies de gauche au Québec. C'est un choix de société qui relève autant des valeurs de justice et d'équité que du calcul comptable: l'accès libre et facile à l'éducation supérieure enrichit toute société qui se veut réellement démocratique.
L'utopie véritable serait plutôt de croire que l'on puisse se permettre de restreindre l'accès aux universités et se priver ainsi de développer la jeunesse québécoise selon son plein potentiel.
Bonne chance aux étudiants québécois dans leur important combat !
NB: L'auteure réagit à l'opinion [«Le prix de la gratuité en Norvège»->46403], publiée dans La Presse vendredi dernier.
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