La mise en oeuvre du Plan B

Comprendre notre intérêt national



Le 15 février dernier, Stéphane Dion prenait la parole à Ottawa devant les représentants des villes et des collectivités canadiennes pour lancer le plan de partenariat qui vise à combler le déficit d'infrastructures au pays. Il ne propose rien de moins qu'un «contrat» entre un gouvernement libéral et la population canadienne sur l'utilisation des excédents budgétaires. Le chef libéral admet que ces excédents ont été l'une des plus grosses pommes de discorde au sein de la fédération.

Le «contrat» proposé aux Canadiens nous ferait passer selon lui de l'ère des conflits à celle de la collaboration. Le plan d'infrastructures est particulièrement éclairant quant à sa vision des rapports de collaboration souhaités puisqu'il fait fi des compétences des provinces.
Il faut se rappeler que Stéphane Dion faisait partie du gouvernement libéral qui, au milieu des années 1990, ne s'était pas inquiété des conséquences des compressions brutales dans les paiements de transfert aux provinces. Pour renflouer ses coffres, le gouvernement central avait privé les provinces de ressources financières vitales, mettant en danger l'accès aux services de santé et l'intégrité des programmes sociaux. Ce sont ces compressions qui ont conduit à l'état de délabrement des infrastructures au Canada, dont parle aujourd'hui avec émotion Stéphane Dion aux membres de la Fédération canadienne des municipalités en ne ménageant aucun qualificatif: ponts en ruine, aqueducs qui fuient de toutes parts, transports en commun déficients.
Derrière ce désengagement du gouvernement central amorcé à la veille du référendum de 1995, il y avait la volonté de mettre les provinces au pas et, à plus long terme, l'objectif d'imposer de nouvelles règles du jeu dès que le contexte financier serait plus favorable. Stéphane Dion veut profiter du fait que les villes sont affamées et qu'elles seront tentées de se ruer sur l'aide qui leur est offerte, sans tenir compte des répercussions que l'approche libérale aura sur le plan constitutionnel.
Le discours de Stéphane Dion s'inscrit dans le sillon de celui de ses prédécesseurs à la tête du Parti libéral du Canada depuis 1968. Cela nous rappelle aussi de façon plus particulière la tentative du gouvernement fédéral de passer par-dessus la tête des gouvernements provinciaux en 1983. Le ministre André Ouellet, alors qu'il avait le portefeuille du ministère des Travaux publics, avait entrouvert cette porte, mais la réplique du gouvernement du Québec avait été cinglante: un non catégorique à l'intervention d'Ottawa dans ses champs de compétence et un avertissement aux municipalités qui accepteraient l'aide fédérale de s'attendre à voir leurs subsides réduits dans la même proportion par le gouvernement québécois.
L'Union sociale canadienne est un autre exemple de l'offensive du gouvernement central pour s'immiscer dans le champ de la santé, domaine relevant constitutionnellement des provinces. Cet accord imposé au Québec en 1999 visait à instaurer, tout comme le présent projet de Stéphane Dion sur les infrastructures, un contrat entre un gouvernement libéral et les Canadiens d'aujourd'hui et de demain. La politique canadienne aurait-elle rompu avec les obligations constitutionnelles établies précédemment? A-t-on tourné le dos aux pratiques fédérales en s'adressant directement «aux Canadiens» pour obtenir la légitimité pour des actions qu'il serait difficile d'obtenir autrement.
Aussi, apprend-on dans ce même discours que les libéraux sous la gouverne de Stéphane Dion consacreraient une partie des surplus à la pureté de l'air, à la salubrité de l'eau et aux transports publics, comme si ces domaines relevaient uniquement du gouvernement central. Pour combler le déficit d'infrastructures au Canada, Stéphane Dion est prêt à creuser le déficit fédératif. En contournant les États membres de la fédération pour s'adresser à l'ensemble des Canadiens, il marginalise la position du Québec et trahit l'esprit fédératif sur lequel le pays a été fondé. Agissant dès lors comme si le Canada était un régime politique unitaire.
Force est de constater que Stéphane Dion a raison de dire que nous faisons face à un déficit d'infrastructures, mais c'est d'un déficit fédératif qu'il est question. La raison du plus fort n'a pas lieu d'exister dans une fédération qui se respecte. Il faut travailler à rétablir le lien de confiance entre les ordres de gouvernement plutôt que de chercher, selon l'expression consacrée, à diviser pour mieux régner. La solution que préconise Stéphane Dion pour répondre aux défis de gouvernance et pour gérer les conflits ne conduit qu'à un appauvrissement des pratiques fédérales. Pour un chef qui veut se présenter sous un jour nouveau, force est de constater qu'il reste fidèle à la tradition Trudeau-Chrétien.
Le chemin proposé par le chef du Parti libéral du Canada est en droite ligne avec le «Plan B» en ce qu'il cherche à assurer l'emprise canadienne sans tenir compte des rôles dévolus à chacun par la constitution. En outre, il remet en question le principe de l'autonomie provinciale et tente d'imposer une vision hégémonique et monochrome de la réalité canadienne. Stéphane Dion ne croyait pas si bien dire lorsqu'il avançait le 29 juillet 2000, dans le cadre d'une conférence tenue sous l'égide de l'Association canadienne de science politique, que nous «devions partager la méfiance de Tocqueville à l'égard de l'uniformité et miser sur la pluralité des expériences». C'est donc de lui qu'il faut se méfier!
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Alain-G. Gagnon, Professeur titulaire au département de science politique de l'Université du Québec à Montréal
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