La mairesse

Montréal - élection 2009

Quand Camille Laurin a annoncé son retour en politique, le 8 novembre 1991, The Gazette avait simplement titré: «He's back.» C'était comme si le monstre du Loch Ness avait brusquement surgi des eaux noires du lac Saint-Louis, face aux luxueuses résidences du West Island.
Jeudi, c'était au tour de son réputé chroniqueur municipal, Henry Aubin, de s'écrier «She's ba-a-a-ck!», she étant Louise Harel, dont les fusions forcées ont laissé à la communauté anglo-montréalaise un aussi mauvais souvenir que le Bill 101.
La perspective que l'ancienne ministre péquiste devienne mairesse de Montréal est une véritable abomination aux yeux de mon distingué collègue, qui avait jadis mené une intense campagne contre sa réforme. On peut présumer que cette opinion est partagée par la majorité des lecteurs de The Gazette et de la communauté anglophone.
Ce n'est évidemment pas la première fois que la rumeur envoie Mme Harel à la mairie. En août 1997, elle faisait déjà partie d'un groupe de personnalités qui auraient toutes été en mesure de détrôner Pierre Bourque, selon un sondage SOM. L'entrée en scène de Lucien Bouchard laissait cependant entrevoir la possibilité d'un troisième référendum, gagnant celui-là, et il était hors de question pour elle de demeurer sur la touche.
Si elles avaient été durables, les fusions (dont elle est à l'origine) auraient sans doute ruiné à jamais ses chances d'accéder à la mairie, en augmentant la proportion d'électeurs non francophones qui n'auraient jamais voté pour cette «pure et dure».
Paradoxalement, les défusions décrétées par le gouvernement Charest, qu'elle a combattues avec toute son énergie, augmentent ses chances de l'emporter. Selon le sondage Angus-Reid dont La Presse a publié les résultats il y a deux semaines, elle battrait le maire Tremblay de 19 points (45-26). Certes, il y a très loin d'un sondage aux urnes, et monter une organisation en cinq mois est un défi colossal, mais c'est maintenant ou jamais.
Hier, un lecteur du Devoir écrivait qu'un vote pour Louise Harel serait un vote pour Gérald Tremblay, puisque les voix de l'opposition seraient divisées, mais le même sondage indiquait que, à défaut d'un autre choix que celui qui s'offre actuellement aux électeurs, M. Tremblay se dirige vers une troisième victoire.
***
Les souverainistes ont toujours rêvé de voir un des leurs s'installer à l'hôtel de ville. Il n'est pas nécessaire d'être un grand stratège pour imaginer les avantages que cela présenterait dans l'éventualité d'un référendum ou simplement d'une élection.
Même si Jean Doré avait été attaché de presse de René Lévesque et que Pierre Bourque avait présidé l'association péquiste de L'Assomption, ces antécédents n'étaient pas matière à débat. En 2006, certains avaient pensé à Pauline Marois, mais l'affaire n'était pas allée très loin.
Bien sûr, M. Tremblay est fédéraliste, mais il n'a rien d'un fanatique. Plusieurs souverainistes n'ont eu aucun problème à travailler à ses côtés. Même s'il était toujours député libéral à l'Assemblée nationale lors du référendum, M. Tremblay faisait partie de ceux que le gouvernement Parizeau envisageait de nommer au sein du comité qui serait chargé de surveiller le bon déroulement des négociations avec le Canada anglais, si le oui l'emportait.
En revanche, Mme Harel a toujours été perçue comme une souverainiste radicale. Dans l'hypothèse d'un autre référendum, elle ne demeurerait certainement pas neutre. Sa candidature provoquerait inévitablement une polarisation de l'électorat encore jamais vue à Montréal.
Être souverainiste n'est cependant pas un gage d'incompétence. Jean-Paul L'Allier s'était rangé ouvertement dans le camp du oui, même si la population de Québec était très partagée. Cela ne l'a pas empêché de redynamiser sa ville de façon remarquable.
***
Soit, les fusions ont été réalisées de façon brutale, mais il est tout aussi évident que la structure actuelle rend la métropole ingouvernable, et on ne peut pas espérer que M. Tremblay revienne sur le compromis boiteux qu'il a lui-même proposé.
Pour autant qu'elle ne soit pas animée par un sentiment de vengeance, Mme Harel serait la plus apte à rétablir un meilleur équilibre. On ne répétera jamais assez que les manières doucereuses de Mme Harel cachent une politicienne rusée, pour ne pas dire machiavélique, qui trouve toujours le moyen d'arriver à ses fins.
Bien entendu, les anglophones vont faire bloc contre elle. Non seulement son anglais est pitoyable, mais elle n'a jamais caché que sa réforme avait aussi des motivations linguistiques. Dans son esprit comme dans celui de nombreux francophones, la présence de riches enclaves anglophones sur l'île avait des relents de colonialisme.
Ceux qui s'inquiètent de l'anglicisation de Montréal seraient cependant rassurés de voir arriver à l'hôtel de ville une femme qui a toujours été déterminée à faire en sorte que la métropole conserve et renforce son caractère français.
Ses convictions de gauche en irriteraient sans doute plusieurs, mais il n'est pas évident que la meilleure façon d'assurer une bonne qualité de vie aux Montréalais soit de laisser le champ libre aux développeurs.
***
mdavid@ledevoir.com


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->