Rares sont les lois dont on célèbre les anniversaires. La Charte de la langue française, de par son impact social, politique et économique et de par sa symbolique, fait exception.
Pour en comprendre la portée, il faut rappeler que le Québec d’avant la Révolution tranquille accusait un retard considérable, que les leviers du pouvoir étaient contrôlés par la classe dominante anglophone et que les Canadiens français étaient parmi les plus sous-scolarisés du monde occidental.
Le « Maîtres chez nous » de Jean Lesage traduisait bien ce bouillonnement d’idées et cette volonté d’un peuple désireux de s’approprier les outils de son développement, d’assumer son destin et sa spécificité. Dès lors, la langue devenait un enjeu central de l’identité québécoise.
Mais l’hostilité linguistique entre les francophones et les anglophones est un contentieux de plus de deux siècles. La première controverse à avoir monopolisé l’Assemblée législative du Bas-Canada, il y a 225 ans, portait précisément sur le débat des langues, immortalisé par la magnifique toile de Charles Huot qui trône au Salon bleu du parlement.
Et même quand l’Assemblée avait opté, après d’âpres discours, le 21 janvier 1793, pour l’utilisation du français à égalité avec l’anglais, le pouvoir colonial de Londres avait imposé l’anglais comme seule langue officielle du Parlement, au grand mépris de la démocratie.
La poudrière linguistique
Depuis, tous les partis politiques qui ont tenté le moindrement de faire reconnaître les droits linguistiques de la majorité francophone sur son propre territoire ont eu à en payer le prix.
Une entreprise somme toute périlleuse qui a révélé, chaque fois, le fossé profond qui sépare la majorité francophone de sa minorité anglo-québécoise. C’est ainsi que l’Union nationale de Jean-Jacques Bertrand s’est cassé les dents, en 1969, sur le projet de loi no 63, Loi pour promouvoir la langue française au Québec.
Le gouvernement libéral s’est placé, à son tour, entre le marteau et l’enclume avec l’adoption, en 1974, du projet de loi no 22, Loi sur la langue officielle que le premier ministre, Robert Bourassa, justifiera ainsi : « Je crois qu’il était temps pour un gouvernement responsable, même si le geste peut causer […] une certaine inquiétude chez les minorités au Québec, il était tout à fait légitime pour le gouvernement que je dirige, d’énoncer ainsi son intention de faire du français la seule langue officielle. » (juillet 1974)
C’était l’époque où les chefs du PLQ vibraient aux cordes sensibles des Québécois et avaient le courage de défendre leurs convictions, car, comme fédéralistes, ils plaçaient toujours les intérêts supérieurs du Québec avant toute chose.
La Charte de la langue française s’inscrit donc dans la suite logique de ce combat sans cesse renouvelé, mené par un peuple résilient qui avait le sens de l’histoire et le souci de pérenniser sa culture et son identité.
Avec l’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976, c’était l’apocalypse pour les anglophones, qui appréhendaient son projet de loi faisant du français la langue officielle du Québec à l’exclusion de toutes les autres.
C’est dans ce contexte abrasif que Camille Laurin déposera, à l’Assemblée nationale, le 1er avril 1977, le livre blanc sur la politique québécoise de la langue française, qui en définit tous les contours.
De par sa portée initiale, la Charte de la langue française était et demeure une véritable révolution en matière de politique publique. Pierre Elliott Trudeau y verra « une loi de fous », en référence à son auteur, le psychiatre Camille Laurin, que les médias anglophones érigeront en épouvantail, l’accusant même d’être raciste, voire nazi.
Les deux Lévesque
Malgré l’hostilité ouverte, ce qui frappe en relisant le Journal des débats de l’époque, c’est le degré de sérénité du premier ministre René Lévesque et du chef intérimaire de l’opposition officielle, Gérard D. Lévesque, qui se sont bien gardés de jeter de l’huile sur le feu.
Difficile de ne pas faire de parallèle avec la hargne qui se dégage du dialogue de sourds qui se déroule sous nos yeux autour de l’immigration où, à la moindre interrogation, le premier ministre Philippe Couillard brandit l’anathème du racisme et de l’islamophobie et accuse ses adversaires politiques de souffler sur les braises de l’intolérance.
Au contraire, les deux Lévesque donnaient l’exemple. Leurs débats étaient vigoureux, mais courtois, sans jamais tomber dans la dérive des attaques personnelles.
D’entrée de jeu, René Lévesque a placé la barre haut, en déclarant, lors de la présentation du projet de loi no 101 : « Je n’ai, ni de près ni de loin, l’intention, ni le goût de transformer cette intervention en charge partisane. »
Gérard D. Lévesque répliqua en rappelant « qu’il nous faudra toujours faire preuve de la plus grande prudence dès qu’il s’agira pour nous de savoir si nous voulons toujours que la langue et la culture françaises demeurent l’expression la plus authentique bien que non exclusive de la réalité québécoise ».
Il a résumé sa position en six points : « une législation inutile […] excessive […], hypocrite, séparatiste […] possiblement anticonstitutionnelle » et engendrant des « coûts économiques incalculables ».
S’il était encore en vie, il reconnaîtrait aujourd’hui qu’il avait tort d’être aussi catégorique. La preuve est que le PLQ a fini par appuyer la loi 101 et que Robert Bourassa a dû recourir, en 1988, à la disposition de dérogation (« clause nonobstant ») pour la défendre et empêcher que certaines de ses dispositions soient invalidées par les tribunaux.
De plus, même chez certains Anglo-Québécois, on admet maintenant que l’apocalypse n’a pas eu lieu et que la loi 101 a permis d’atteindre un certain équilibre linguistique.
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