Pascale Breton La Presse - En créant de nouveaux programmes ou en construisant des pavillons additionnels, les universités quittent leur territoire traditionnel pour étendre leurs tentacules dans de nouvelles régions.
Certains y voient une façon de se rapprocher des étudiants pour augmenter le taux de fréquentation dans les universités. D'autres craignent un simple déplacement des clientèles.
Chose certaine, la délocalisation des universités est une tendance qui se confirme depuis quelques années. Contestant la hausse des droits de scolarité, qui servira en partie à rehausser le financement des universités, les organisations étudiantes ont dénoncé à maintes reprises le fait que, selon elles, les universités investissent trop dans le béton et pas assez dans l'embauche de professeurs.
Sans remettre totalement en question les nouvelles constructions, d'autres s'interrogent sur la qualité de la formation qui est offerte dans les campus satellites ou dans les nombreux programmes qui fleurissent un peu partout au Québec.
Dans son plus récent avis, qui portait sur l'assurance qualité dans l'enseignement universitaire et qui a été publié à la fin du mois de février, le Conseil supérieur de l'éducation (CSE) sonne l'alarme.
Le nombre de lieux de formation est en croissance, mais la création d'antennes universitaires n'est soumise à aucune évaluation externe, peut-on lire dans le document.
«L'expérience étudiante» préoccupe le CSE qui se questionne pour savoir si toutes les conditions sont réunies dans ces programmes délocalisés pour offrir la même qualité de formation.
«On recommande aux acteurs de convenir d'un mécanisme d'évaluation», explique Lucie Bouchard, secrétaire générale de l'organisme.
Une recommandation qui s'adresse au ministère de l'Éducation et aux universités, par l'entremise de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ).
La question de la délocalisation mérite d'être étudiée en profondeur, souligne Manuel Crespo, professeur titulaire à l'Université de Montréal et fellow associé au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). Tant les coûts que l'efficacité et la pertinence des formations offertes devraient être évalués.
En décembre, une étude du CIRANO, dont M. Crespo est coauteur, a porté sur l'offre de programmes des universités à l'extérieur de leurs campus principaux.
Après avoir constaté la tendance qui se dessine, les auteurs ont notamment recommandé au gouvernement de décréter un moratoire, le temps de réfléchir davantage sur le développement des universités.
«Il faut se demander si cette offre plus costaude favorise l'accessibilité et le taux de participation aux études supérieures ou bien si c'est une redistribution de la clientèle existante», indique M. Crespo.
La recommandation a toutefois été rejetée par la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp.
Elle a maintenant en main le second volet de l'étude - laquelle n'est pas encore diffusée - portant sur l'expérience des étudiants qui reçoivent une formation délocalisée.
Dans toutes les régions
La quasi-totalité des universités québécoises est touchée par le phénomène. On compte 17 campus principaux et 18 campus satellites.
L'Université de Montréal s'est installée à Laval, l'Université de Sherbrooke a construit un campus à Longueuil tandis que l'Université du Québec à Trois-Rivières souhaite s'implanter à Drummondville.
Près de la moitié de la clientèle (temps plein) de l'Université du Québec à Rimouski étudie par ailleurs au campus de Lévis, tandis que près du quart des étudiants de l'Université du Québec en Outaouais se trouvent à Saint-Jérôme, indiquent les plus récentes données de la CREPUQ.
Plusieurs de ces campus ont des créneaux particuliers. C'est le cas de l'École nationale d'administration publique (ENAP). D'autres voient le jour à la demande du gouvernement, notamment en santé.
Mais il reste que plusieurs des programmes concernent les sciences sociales et l'administration. Des universités se retrouvent à offrir des programmes similaires à quelques kilomètres les unes des autres.
Le manque d'espace pour faire face à la hausse de la clientèle justifie ces constructions, estime le directeur général de la CREPUQ, Daniel Zizian.
Pour hausser leur taux de fréquentation, les universités doivent se rapprocher des clientèles en région. «En faisant cela, on augmente l'accessibilité sans augmenter les coûts», explique-t-il.
Indemnités de départ et gouvernance
Au-delà de la délocalisation, plusieurs problèmes de gouvernance ont éclaté au cours des dernières années. Ils suscitent des questions quant à la bonne gestion des universités.
Le cas le plus récent est celui de l'Université Concordia, qui a versé plus de 3,1 millions de dollars en salaire et en indemnités de départ à trois cadres qui ont quitté l'institution en cours de mandat.
La situation a pris une telle ampleur que la ministre Line Beauchamp a imposé une pénalité financière de 2 millions à Concordia. L'Université a d'ailleurs fait son mea-culpa en disant qu'un cabinet de vérification privé allait réviser ses pratiques.
En matière d'immobilier, le gouffre financier et les déboires survenus avec l'îlot Voyageur, à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), ont entraîné un resserrement des règles de financement de la part du gouvernement en ce qui a trait aux nouvelles constructions.
Fait-on face à une crise de confiance? «Oui, il y a eu des erreurs. Non, les universités ne sont pas mal gérées», répond le directeur général de la CREPUQ, Daniel Zizian.
«On ne peut pas gérer un budget d'au-delà de 5 milliards de dollars [pour l'ensemble des universités québécoises] par année sans qu'il y ait à l'occasion des erreurs ou des aspects qui doivent être améliorés.»
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