La fronde d'Amir

Aux yeux de plusieurs, QS n'est peut-être qu'un ramassis de rêveurs, mais les rêveurs peuvent aussi réveiller les gens.

L'affaire de la CDP - le cas Henri-Paul Rousseau

Même ceux qui sont agacés par la rhétorique anti-capitaliste primaire de Québec solidaire ont dû sourire intérieurement en entendant Amir Khadir enguirlander Henri-Paul Rousseau et dénoncer la «culture de la cupidité» de «ces nouveaux monarques qui se croient tout permis, et au-dessus de tout jugement».
Des 125 députés de l'Assemblée nationale, M. Khadir était le seul qui pouvait se permettre une admonestation aussi cinglante, mais il a simplement dit tout haut ce que bien d'autres se contentent de penser. Son collègue libéral de Montmorency, Raymond Bernier, a brièvement protesté pour la forme, mais il ne semblait pas très indigné.
Il est vrai que les députés n'ont pas conservé un très bon souvenir de leur rencontre de novembre 2007 avec M. Rousseau, qui les avait assurés que les PCAA étaient des titres d'une sûreté absolue. Il est toujours désagréable d'avoir l'impression de s'être fait rouler dans la farine.
L'ancien p.-d.g. de la Caisse est un homme imposant et un excellent communicateur, mais une trop grande assurance peut facilement passer pour de l'arrogance. Mardi, les membres de la commission parlementaire qui se penche sur les résultats désastreux obtenus par la Caisse de dépôt en 2008 étaient manifestement insatisfaits des réponses obtenues.
Le député libéral de Chapleau, Marc Carrière, qui est tout à fait représentatif de l'électeur moyen, a eu beau lui poser et lui reposer la question, M. Rousseau n'a pas expliqué pourquoi la Caisse de dépôt en avait acheté 210 fois plus que sa grande rivale ontarienne, Teacher's.
Invité à commenter sur les ondes de RDI, l'ancien président de la Banque Laurentienne, Pierre Goyette, qui a déjà siégé au conseil d'administration de la Caisse, s'est dit «abasourdi» par les «âneries» qu'il avait entendues.
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Depuis l'effondrement des marchés financiers, les anciens dirigeants de la Caisse de dépôt inspirent à bien des Québécois les mêmes sentiments d'amertume que les Américains éprouvent pour les banquiers qui ont quitté leur poste les poches pleines après avoir mené leur entreprise à la faillite.
Il serait absurde et injuste de mettre Henri-Paul Rousseau dans le même sac que les Bernard Madoff, Eward Liddy, John Thain et autres caïds de Wall Street, mais on a les boucs émissaires qu'on peut.
En mars dernier, un sondage de Léger Marketing avait permis de mesurer l'effondrement de la confiance envers les banquiers, les économistes et les hauts fonctionnaires. M. Rousseau a le tort d'être les trois à la fois.
Quand Amir Khadir l'a accusé d'avoir manqué de courage en démissionnant dans la tourmente, il a traduit la colère de nombreux contribuables, qui trouvent indécente son indemnité de 400 000 $, sans parler de sa confortable pension, alors qu'il a investi leurs cotisations à la Régie des rentes dans des PCAA qui sont aujourd'hui invendables.
Le Goliath de la finance ne s'est pas effondré, mais il a été ébranlé par la fronde de cet improbable David. Il a eu beau plaider qu'il avait renoncé à des millions pour servir l'intérêt public, personne ne pleurera sur son sort.
Qui plus est, entre toutes les institutions qui auraient pu l'accueillir, il a choisi celle qui est devenue le symbole du pouvoir occulte de l'argent au Québec, Power Corporation. Cela relève presque de la provocation.
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Quand M. Khadir a été élu député de Mercier, le 8 décembre dernier, certains se frottaient les mains à l'idée que cet électron libre, incapable de résister à la tentation de se lancer sur le premier micro venu, allait se ridiculiser par des interventions farfelues.
Il a semblé vouloir leur donner raison quelques jours plus tard en lançant sa chaussure contre une effigie de George W. Bush, à l'occasion d'une manifestation devant le consulat américain à Montréal. Cinq mois plus tard, il faut bien reconnaître qu'il a apporté une bouffée d'air frais à l'Assemblée nationale.
«Ceux et celles qui m'ont élu, qui ont fait en sorte que Québec solidaire trouve sa place à l'Assemblée nationale, s'attendent à ce que nous soyons assez libres de nos opinions», avait expliqué M. Khadir au lendemain de l'incident du soulier.
C'est précisément ce qu'il a fait mardi. Et, aussi bien dans le cas de M. Rousseau que dans celui de M. Bush, il peut légitimement prétendre avoir fait écho à l'opinion d'une partie de la population qui déborde largement l'électorat de Québec solidaire.
C'est encore lui qui avait comparé le Québec à une république de bananes, quand le vérificateur général du Québec avait pointé du doigt le gouvernement Charest, qui abandonnait le sous-sol aux compagnies minières sans exiger de redevances.
Il est également le seul à plaider ouvertement pour une complète transparence dans l'utilisation des indemnités et des allocations de dépenses versées aux députés de l'Assemblée nationale, qui totalisent 24,5 millions, mais qui échappent à tout examen public.
Aux yeux de plusieurs, QS n'est peut-être qu'un ramassis de rêveurs, mais les rêveurs peuvent aussi réveiller les gens.
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mdavid@ledevoir.com


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