[ ->1617]Monsieur Pratte a raison. On connaît mal notre histoire (« La Fontaine assassiné » (La Presse, 25 août 2006). La période des rébellions (1837-1841) est une fontaine d'enseignements extraordinaire que Patrimoine Canada et la SRC ne se déshonoreraient pas à exploiter, question de montrer au bon peuple d'où proviennent ses institutions. Comme dans les cas ordinaires d'amnésie, de mémoire tronquée ou de souvenirs écrans, l'exercice d'anamnèse collective comporterait d'indéniables vertus thérapeutiques.
Dans l'argumentation que l'éditorialiste développe, un point est incontestable : La Fontaine est bel et bien le prototype du politicien québécois œuvrant sur la scène fédérale auquel se sont conformés les Cartier, Laurier, Saint-Laurent, Trudeau et Mulroney. Stéphane Dion ne doit pas aspirer à autre chose dans ses équipées nocturnes. Le fondement le plus solide du charisme ne prend-il pas appui sur les productions les plus échevelées de notre cerveau ? Quoi qu'il en soit, André Pratte frappe à la mauvaise porte quand il s'en prend à l'indifférence du gouvernement Charest. C'est à Ottawa qu'il revient de faire preuve de leadership en débloquant des budgets.
Parlant de mémoire tronquée, dans son éditorial, parmi les objectifs « pour lesquels s'étaient battus les Patriotes », André Pratte omet de spécifier celui qui en constitue la clef de voûte : donner à toute majorité élue à la Chambre d'Assemblée de Québec le pouvoir effectif. Oubli freudien sans doute. Dans le programme des Patriotes, il n'a jamais été question de fusionner de force le Québec à l'Ontario, ni le Québec à quelque autorité fédérale que ce soit. Il aurait fallu dire aussi que les marchands anglo-écossais de Montréal étaient prêts à tout (l'annexion aux États-Unis comprise) sauf se laisser gouverner par une large majorité de descendants français. La simple éventualité de nommer Papineau au Conseil législatif les révulsait d'horreur. Ce sont eux les véritables bâtisseurs du Canada moderne. Ils ont établi les paramètres à l'intérieur desquels nous nous battons encore. Détail significatif, un des premiers gestes qu'ils poseront en novembre 1837 sera de réquisitionner la Chambre d'assemblée pour en faire une caserne de l'armée. Voilà tout le respect qu'ils avaient envers le processus démocratique.
Dire par ailleurs que La Fontaine a permis au Canada français de se relever des rébellions est une approximation extrêmement lâche. Les Québécois ont pris 100 ans avant de commencer à « se relever » de l'état d'infériorité où ils été plongés : Duplessis, Lesage, Johnson, Lévesque y ont œuvré. On n'attend rien d'autre du chef de l'État provincial qu'il achève le travail d'émancipation.
Deux remarques en terminant. Au chapitre des « maudits anglais », je crains que monsieur Pratte ne soit malheureusement obligé de verser au dossier un poème écrit par son héros pendant le voyage qu'il fit en Europe au début de 1838 :
« Un Canadien, battu par la tempête,
_ Au S. Laurent adressait ses adieux :
_ Au roi des mers il exposait sa tête,
_ Et tristement voguait sous d'autres cieux.
_ Portant ses pas vers un autre hémisphère,
_ Pour son pays il bravait les autans,
_ Et les ennuis d'une terre étrangère,
_ Et les fureurs d'implacables tyrans. »
Quant aux prétentions de La Fontaine à « exposer sa tête », il serait peut-être plus sage de les mettre en perspective en les confrontant à d'autres points de vue, celui par exemple de Louis Perrault lors de la rencontre des deux hommes à Burlington en juin 1838. Perrault, un patriote exilé au Vermont, était journaliste et imprimeur du Vindicator, un journal républicain de langue anglaise dédié à la cause patriote dont les presses ont été saccagées en toute impunité sous l'œil complaisant des militaires et des magistrats par de jeunes voyous du Doric club, un groupuscule para-maçonnique. Dans une lettre circulaire adressée au docteur O'Callaghan exilé à New York, Perrault écrit notamment :
« L'ami LaFontaine n'a pas changé dans son voyage d'Europe : il est toujours plus fin que les autres, il a toujours un meilleur jugement. Sa fatuité et sa vanité personnelle est de plus en plus insupportable. Il a l'air de faire grand mystère de ce qu'il a découvert auprès de nos amis en Angleterre. À l'entendre, vous [O'Callaghan] auriez eu des correspondances secrètes avec nos amis Roebuck et autres, puisque vous n'auriez pas suivi les avis qui vous étaient donnés de l'autre côté de l'Atlantique. Il regrette de n'être pas allé trois ans plus tôt en Angleterre. Il aurait prévenu les désastres de l'hiver dernier. Il est maintenant bien brave. Les autres ont lancé le peuple dans l'abîme et se seraient sauvés. [...] L'homme est vraiment de plus en plus insupportable : on voit que l'envie de dominer le ronge. Il aurait désiré que je le convinsse qu'il y avait des plans d'organisation, que nos chefs connaissaient le mouvement qui devait s'opérer dans le Haut-Canada. Enfin l'homme n'a pas changé. Mon avis a toujours été que M. Papineau avait tort de faire cas de cet ambitieux. Ses talents et son éducation ne justifient pas ses prétentions. Mais enfin, brisons là-dessus ; j'espère que les moyens qu'il emploie n'en imposeront pas à nos amis, et encore moins au peuple... »
François Deschamps
Monsieur Pratte a raison. On connaît mal notre histoire (« La Fontaine assassiné » (La Presse, 25 août 2006). La période des rébellions (1837-1841) est une fontaine d'enseignements extraordinaire que Patrimoine Canada et la SRC ne se déshonoreraient pas à exploiter, question de montrer au bon peuple d'où proviennent ses institutions. Comme dans les cas ordinaires d'amnésie, de mémoire tronquée ou de souvenirs écrans, l'exercice d'anamnèse collective comporterait d'indéniables vertus thérapeutiques.
Dans l'argumentation que l'éditorialiste développe, un point est incontestable : La Fontaine est bel et bien le prototype du politicien québécois œuvrant sur la scène fédérale auquel se sont conformés les Cartier, Laurier, Saint-Laurent, Trudeau et Mulroney. Stéphane Dion ne doit pas aspirer à autre chose dans ses équipées nocturnes. Le fondement le plus solide du charisme ne prend-il pas appui sur les productions les plus échevelées de notre cerveau ? Quoi qu'il en soit, André Pratte frappe à la mauvaise porte quand il s'en prend à l'indifférence du gouvernement Charest. C'est à Ottawa qu'il revient de faire preuve de leadership en débloquant des budgets.
Parlant de mémoire tronquée, dans son éditorial, parmi les objectifs « pour lesquels s'étaient battus les Patriotes », André Pratte omet de spécifier celui qui en constitue la clef de voûte : donner à toute majorité élue à la Chambre d'Assemblée de Québec le pouvoir effectif. Oubli freudien sans doute. Dans le programme des Patriotes, il n'a jamais été question de fusionner de force le Québec à l'Ontario, ni le Québec à quelque autorité fédérale que ce soit. Il aurait fallu dire aussi que les marchands anglo-écossais de Montréal étaient prêts à tout (l'annexion aux États-Unis comprise) sauf se laisser gouverner par une large majorité de descendants français. La simple éventualité de nommer Papineau au Conseil législatif les révulsait d'horreur. Ce sont eux les véritables bâtisseurs du Canada moderne. Ils ont établi les paramètres à l'intérieur desquels nous nous battons encore. Détail significatif, un des premiers gestes qu'ils poseront en novembre 1837 sera de réquisitionner la Chambre d'assemblée pour en faire une caserne de l'armée. Voilà tout le respect qu'ils avaient envers le processus démocratique.
Dire par ailleurs que La Fontaine a permis au Canada français de se relever des rébellions est une approximation extrêmement lâche. Les Québécois ont pris 100 ans avant de commencer à « se relever » de l'état d'infériorité où ils été plongés : Duplessis, Lesage, Johnson, Lévesque y ont œuvré. On n'attend rien d'autre du chef de l'État provincial qu'il achève le travail d'émancipation.
Deux remarques en terminant. Au chapitre des « maudits anglais », je crains que monsieur Pratte ne soit malheureusement obligé de verser au dossier un poème écrit par son héros pendant le voyage qu'il fit en Europe au début de 1838 :
« Un Canadien, battu par la tempête,
_ Au S. Laurent adressait ses adieux :
_ Au roi des mers il exposait sa tête,
_ Et tristement voguait sous d'autres cieux.
_ Portant ses pas vers un autre hémisphère,
_ Pour son pays il bravait les autans,
_ Et les ennuis d'une terre étrangère,
_ Et les fureurs d'implacables tyrans. »
Quant aux prétentions de La Fontaine à « exposer sa tête », il serait peut-être plus sage de les mettre en perspective en les confrontant à d'autres points de vue, celui par exemple de Louis Perrault lors de la rencontre des deux hommes à Burlington en juin 1838. Perrault, un patriote exilé au Vermont, était journaliste et imprimeur du Vindicator, un journal républicain de langue anglaise dédié à la cause patriote dont les presses ont été saccagées en toute impunité sous l'œil complaisant des militaires et des magistrats par de jeunes voyous du Doric club, un groupuscule para-maçonnique. Dans une lettre circulaire adressée au docteur O'Callaghan exilé à New York, Perrault écrit notamment :
« L'ami LaFontaine n'a pas changé dans son voyage d'Europe : il est toujours plus fin que les autres, il a toujours un meilleur jugement. Sa fatuité et sa vanité personnelle est de plus en plus insupportable. Il a l'air de faire grand mystère de ce qu'il a découvert auprès de nos amis en Angleterre. À l'entendre, vous [O'Callaghan] auriez eu des correspondances secrètes avec nos amis Roebuck et autres, puisque vous n'auriez pas suivi les avis qui vous étaient donnés de l'autre côté de l'Atlantique. Il regrette de n'être pas allé trois ans plus tôt en Angleterre. Il aurait prévenu les désastres de l'hiver dernier. Il est maintenant bien brave. Les autres ont lancé le peuple dans l'abîme et se seraient sauvés. [...] L'homme est vraiment de plus en plus insupportable : on voit que l'envie de dominer le ronge. Il aurait désiré que je le convinsse qu'il y avait des plans d'organisation, que nos chefs connaissaient le mouvement qui devait s'opérer dans le Haut-Canada. Enfin l'homme n'a pas changé. Mon avis a toujours été que M. Papineau avait tort de faire cas de cet ambitieux. Ses talents et son éducation ne justifient pas ses prétentions. Mais enfin, brisons là-dessus ; j'espère que les moyens qu'il emploie n'en imposeront pas à nos amis, et encore moins au peuple... »
François Deschamps
Monsieur Pratte a raison. On connaît mal notre histoire (« La Fontaine assassiné » (La Presse, 25 août 2006). La période des rébellions (1837-1841) est une fontaine d'enseignements extraordinaire que Patrimoine Canada et la SRC ne se déshonoreraient pas à exploiter, question de montrer au bon peuple d'où proviennent ses institutions. Comme dans les cas ordinaires d'amnésie, de mémoire tronquée ou de souvenirs écrans, l'exercice d'anamnèse collective comporterait d'indéniables vertus thérapeutiques.
Dans l'argumentation que l'éditorialiste développe, un point est incontestable : La Fontaine est bel et bien le prototype du politicien québécois œuvrant sur la scène fédérale auquel se sont conformés les Cartier, Laurier, Saint-Laurent, Trudeau et Mulroney. Stéphane Dion ne doit pas aspirer à autre chose dans ses équipées nocturnes. Le fondement le plus solide du charisme ne prend-il pas appui sur les productions les plus échevelées de notre cerveau ? Quoi qu'il en soit, André Pratte frappe à la mauvaise porte quand il s'en prend à l'indifférence du gouvernement Charest. C'est à Ottawa qu'il revient de faire preuve de leadership en débloquant des budgets.
Parlant de mémoire tronquée, dans son éditorial, parmi les objectifs « pour lesquels s'étaient battus les Patriotes », André Pratte omet de spécifier celui qui en constitue la clef de voûte : donner à toute majorité élue à la Chambre d'Assemblée de Québec le pouvoir effectif. Oubli freudien sans doute. Dans le programme des Patriotes, il n'a jamais été question de fusionner de force le Québec à l'Ontario, ni le Québec à quelque autorité fédérale que ce soit. Il aurait fallu dire aussi que les marchands anglo-écossais de Montréal étaient prêts à tout (l'annexion aux États-Unis comprise) sauf se laisser gouverner par une large majorité de descendants français. La simple éventualité de nommer Papineau au Conseil législatif les révulsait d'horreur. Ce sont eux les véritables bâtisseurs du Canada moderne. Ils ont établi les paramètres à l'intérieur desquels nous nous battons encore. Détail significatif, un des premiers gestes qu'ils poseront en novembre 1837 sera de réquisitionner la Chambre d'assemblée pour en faire une caserne de l'armée. Voilà tout le respect qu'ils avaient envers le processus démocratique.
Dire par ailleurs que La Fontaine a permis au Canada français de se relever des rébellions est une approximation extrêmement lâche. Les Québécois ont pris 100 ans avant de commencer à « se relever » de l'état d'infériorité où ils été plongés : Duplessis, Lesage, Johnson, Lévesque y ont œuvré. On n'attend rien d'autre du chef de l'État provincial qu'il achève le travail d'émancipation.
Deux remarques en terminant. Au chapitre des « maudits anglais », je crains que monsieur Pratte ne soit malheureusement obligé de verser au dossier un poème écrit par son héros pendant le voyage qu'il fit en Europe au début de 1838 :
« Un Canadien, battu par la tempête,
_ Au S. Laurent adressait ses adieux :
_ Au roi des mers il exposait sa tête,
_ Et tristement voguait sous d'autres cieux.
_ Portant ses pas vers un autre hémisphère,
_ Pour son pays il bravait les autans,
_ Et les ennuis d'une terre étrangère,
_ Et les fureurs d'implacables tyrans. »
Quant aux prétentions de La Fontaine à « exposer sa tête », il serait peut-être plus sage de les mettre en perspective en les confrontant à d'autres points de vue, celui par exemple de Louis Perrault lors de la rencontre des deux hommes à Burlington en juin 1838. Perrault, un patriote exilé au Vermont, était journaliste et imprimeur du Vindicator, un journal républicain de langue anglaise dédié à la cause patriote dont les presses ont été saccagées en toute impunité sous l'œil complaisant des militaires et des magistrats par de jeunes voyous du Doric club, un groupuscule para-maçonnique. Dans une lettre circulaire adressée au docteur O'Callaghan exilé à New York, Perrault écrit notamment :
« L'ami LaFontaine n'a pas changé dans son voyage d'Europe : il est toujours plus fin que les autres, il a toujours un meilleur jugement. Sa fatuité et sa vanité personnelle est de plus en plus insupportable. Il a l'air de faire grand mystère de ce qu'il a découvert auprès de nos amis en Angleterre. À l'entendre, vous [O'Callaghan] auriez eu des correspondances secrètes avec nos amis Roebuck et autres, puisque vous n'auriez pas suivi les avis qui vous étaient donnés de l'autre côté de l'Atlantique. Il regrette de n'être pas allé trois ans plus tôt en Angleterre. Il aurait prévenu les désastres de l'hiver dernier. Il est maintenant bien brave. Les autres ont lancé le peuple dans l'abîme et se seraient sauvés. [...] L'homme est vraiment de plus en plus insupportable : on voit que l'envie de dominer le ronge. Il aurait désiré que je le convinsse qu'il y avait des plans d'organisation, que nos chefs connaissaient le mouvement qui devait s'opérer dans le Haut-Canada. Enfin l'homme n'a pas changé. Mon avis a toujours été que M. Papineau avait tort de faire cas de cet ambitieux. Ses talents et son éducation ne justifient pas ses prétentions. Mais enfin, brisons là-dessus ; j'espère que les moyens qu'il emploie n'en imposeront pas à nos amis, et encore moins au peuple... »
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