Une enquête en six parties, dont voici le premier acte, comme les appelle l’auteur. Vous trouverez des liens sur les volets suivants de l’enquête dans le prologue.
Note : le titre fait allusion au célèbre livre d’Edward Herman et Noam Chomsky sur la propagande médiatique, « La fabrication du consentement ».
Par Cory Morningstar
Paru sur Wrong Kind of Green sous le titre The manufacturing of Greta Thunberg – For consent : The political economy of the non-profit industrial complex
Mis en forme avec Forrest Palmer, du collectif Wrong Kind of Green
« Ce qui est exaspérant dans les manipulations du complexe industriel à but non lucratif, c’est qu’ils récoltent la bonne volonté des gens, surtout des jeunes. Ils s’adressent à ceux qui n’ont pas reçu les compétences et les connaissances nécessaires pour penser par eux-mêmes, dans le but de servir des institutions conçues par et pour la classe dirigeante. Le capitalisme fonctionne systématiquement et structurellement comme une cage pour animaux domestiques. Ces organisations et leurs projets, qui opèrent sous de faux slogans humanistes afin de soutenir la hiérarchie de l’argent et de la violence deviennent rapidement certains des éléments les plus cruciaux de la cage invisible des grandes entreprises, du colonialisme et du militarisme ». – Hiroyuki Hamada, artiste
1958 : « Bianca Passarge, 17 ans, de Hambourg, se déguise en chat, avec une queue en fourrure et danse sur des bouteilles de vin. Sa performance est basée sur un rêve et elle s’est entraînée huit heures par jour afin de parfaire sa danse. »
La Fabrication de Greta Thunberg – pour consentement a été écrit en six actes.
Dans l’ACTE I, je révèle que Greta Thunberg, l’enfant prodige actuelle et le visage du mouvement de la jeunesse en lutte contre le changement climatique, sert de conseillère spéciale jeunesse et siège au conseil d’administration de We Don’t Have Time (Nous n’avons pas le temps), une start-up tech en plein essor. J’explore ensuite les ambitions de l’entreprise tech We Don’t Have Time.
Dans l’ACTE II, j’illustre la façon dont les jeunes d’aujourd’hui sont les agneaux sacrificiels de l’élite dirigeante. De plus, dans cet acte, je présente les membres du conseil d’administration et les conseillers de We Don’t Have Time. J’explore le leadership du nouveau projet We Don’t Have Time et les partenariats entre des entités environnementales privées bien établies : le projet Climate Reality d’Al Gore [vice-président des USA sous Bill Clinton, NdT], 350.org, Avaaz, Global Utmaning (Global Challenge), la Banque mondiale et le Forum économique mondial (Forum de Davos, acronyme anglais WEF).
Dans l’ACTE III, j’expose la façon dont Al Gore et les capitalistes les plus puissants de la planète se tiennent derrière les mouvements de jeunesse montés aujourd’hui et pourquoi. J’explore les liens entre We Don’t Have Time/Thunberg et Our Revolution, l’Institut Sanders, This Is Zero Hour, le Sunrise Movement et le Green New Deal [« New Deal vert », un « package » de réformes pro-climat et anti-inégalités proposé par le Parti démocrate des USA. Le nom fait référence au New Deal de Roosevelt, NdT].
J’évoque également la célèbre famille de Thunberg. En particulier, la célèbre mère de Greta Thunberg, Malena Ernman (Héros de l’environnement de l’année du WWF, 2017) et le lancement de son livre, en août 2018. J’explore ensuite la généreuse attention médiatique accordée à Thunberg en mai et avril 2018 par SvD, l’un des plus grands journaux suédois.
Dans l’ACTE IV, j’examine la campagne qui se déroule actuellement, avec son but de « conduire le public en mode d’urgence ». Plus important, je résume qui et quoi ce mode est destiné à servir.
Dans l‘ACTE V, j’examine de plus près le Green New Deal. J’explore le think tank Data for Progress (Données pour le progrès) et le ciblage de la jeunesse féminine comme clé « fémographique ». Je connecte l’architecte principal et les auteurs des données du « Green New Deal » à l’ONG World Resources Institute. De là, je vous guide à travers l’imbrication de la Business & Sustainable Development Commission (Commission pour le business et le développement durable) et de la New Climate Economy (initiative Nouvelle Économie du Climat) – un projet du World Resources Institute. Je révèle le point commun entre ces entités et l’attribution de valeurs monétaires à la nature, représenté par la Natural Capital Coalition (Coalition pour le capital naturel) et le complexe industriel à but non lucratif considéré en tant qu’entité. [Complexe industriel à but non lucratif : l’auteur reprend l’expression « Complexe militaro-industriel » et l’applique au réseau mondial des ONG à but non lucratif, NdT]. Enfin, je révèle comment tout cela a abouti à la mise en œuvre de paiements pour des services liés à l’écosystème (c’est la financiarisation et la privatisation de la nature, à l’échelle mondiale) qui « devrait être adoptée lors de la quinzième réunion à Pékin en 2020 ».
Dans l’acte final, l’ACTE VI [Crescendo], je termine la série en révélant que les fondations mêmes qui ont financé le « mouvement » du climat au cours de la dernière décennie sont aujourd’hui partenaires du Climate Finance Partnership et cherchent à siphonner 100 billions de dollars de fonds de pension. Je révèle l’identité des individus et des groupes à la tête de cette matrice, ceux qui contrôlent à la fois le média et le message. Je remonte un peu dans le temps pour décrire brièvement les dix années d’ingénierie sociale stratégique qui nous ont menés jusqu’à ce précipice.
Je vois la relation entre le WWF, l’Institut de Stockholm et le World Resources Institute comme des instruments-clés dans la création de la financiarisation de la nature. J’examine également les premières campagnes publiques pour la financiarisation de la nature (le « capital naturel ») qui sont peu à peu introduites dans le domaine public par le WWF. Je réfléchis à la façon dont les ONG mainstream tentent de préserver leur influence et de manipuler encore davantage la population en se cachant derrière les groupes d’Extinction Rebellion organisés aux États-Unis et dans le monde entier.
Une fois l’écran de fumée dissipé, le vague, voire la quasi-inexistence des demandes, qui rappellent les « exigences » de TckTckTck en 2009, pourront être pleinement compris.
Certains de ces sujets, ainsi que d’autres, feront l’objet de publications ultérieures et seront discutés plus en détail au fur et à mesure des addenda qui viendront s’ajouter à l’important volume de recherches. Il s’agit notamment de passer de l’autre côté du miroir et d’explorer à quoi ressemblera le véritable « Green New Deal » de la Quatrième Révolution industrielle. Il sera également question du pouvoir de la célébrité – et de la façon dont elle est devenue un outil-clé, à la fois pour le capital et pour s’assurer de la passivité conformiste des populations.
Note : Cette série contient des informations et des citations traduites du suédois via Google Translate.
ACTE PREMIER
« Comment est-il possible pour vous d’être si facilement piégé par quelque chose d’aussi simple qu’une histoire, parce que vous êtes piégé ? Eh bien, tout se résume à une chose essentielle : l’investissement émotionnel. « Plus on s’investit émotionnellement dans sa vie, moins on est critique et moins on observe objectivement. » – David JP Phillips, membre du conseil d’administration de We Don’t Have Time, « The Magical Science of Storytelling ».
Greta Thunberg, We Don’t Have Time, Facebook, 26 Octobre 2018
Août 2018, Finance Monthly, le co-fondateur de We Don’t Have Time Ingmar Rentzhog
We Don’t Have Time (Nous n’avons pas le temps)
Alors que cette phrase évidente est en train de rapidement devenir la citation à la mode en tant que mantra collectif pour aborder le désastre environnemental en cours, il est vrai que nous n’avons pas le temps. Nous n’avons pas le temps d’arrêter les guerres impérialistes – les guerres étant de loin ce qui contribue le plus au changement climatique et à la dégradation de l’environnement – mais nous devons le faire. Bien sûr, c’est un exploit impossible sous le poids écrasant du système capitaliste, d’une économie américaine fondée sur la guerre et de la pression pour une quatrième révolution industrielle soutenue par les énergies renouvelables. Pourtant, le dérangement que cela nous causerait n’est que peu de chose au regard de la nécessité de faire face à une situation particulière. Ce qui n’est jamais dit sur la soi-disant « révolution des énergies propres », c’est que son existence dépend entièrement de l’impérialisme « vert » – ce dernier terme étant synonyme de sang versé.
Mais ce n’est pas le sujet de cette série.
Cette série traite des nouveaux marchés financiers dans un monde où la croissance économique mondiale stagne. La menace et la réponse subséquente ne tiennent pas tant au changement climatique qu’à l’effondrement du système économique capitaliste. Cette série traite des opportunités de richesse et de croissance sans précédent apportées par la crise du climat, des profits et des mesures que nos élites économiques prendront pour y parvenir – y compris l’exploitation de la jeunesse.
Qu’est-ce que We Dont Have Time ?
Notre but est de devenir l’un des plus grands acteurs sur Internet. » – Ingmar Rentzhog, We Don’t Have Time, 22 décembre 2017, Nordic Business Insider
Le 20 août 2018, un tweet avec une photo d’une « Suédoise » assise sur un trottoir a été diffusé par la société de technologie We Don’t Have Time, fondée par son PDG Ingmar Rentzhog :
Une jeune fille de 15 ans devant le parlement suédois fait la grève de l’école jusqu’au jour des élections dans 3 semaines.
Imaginez à quel point elle doit se sentir seule sur cette photo. Les gens passé par là [sic]. Continuer comme si de rien n’était. Mais la vérité c’est que. On ne peut pas et elle le sait ! »
Le tweet de Rentzhog, via le compte Twitter de We Don’t Have Time, était la toute première mention de la désormais célèbre grève de l’école de Greta Thunberg.
Le tweet de We Don’t Have Time, 20 août 2018
Sur le tweet de Rentzhog sur la fille solitaire, cinq comptes Twitter avaient été tagués : Greta Thunberg, Zero Hour (un mouvement de jeunesse), Jamie Margolin (la fondatrice adolescente de Zero Hour), le Climate Reality Project d’Al Gore et le People’s Climate Strike (qui utilisent la même police et esthétique que 350.org). Ces groupes seront brièvement abordés plus tard dans cette série.
Rentzhog est le fondateur de Laika (une importante société suédoise de conseil en communication qui fournit des services au secteur financier, récemment acquise par FundByMe). Il a été nommé président du think tank Global Utmaning (Global Challenge en anglais) le 24 mai 2018 et siège au conseil de FundedByMe. Rentzhog est membre de l’organisation d’Al Gore, Climate Reality Organization Leaders, où il fait partie du groupe de travail européen sur la politique climatique. Il a reçu une première formation, en mars 2017, de l’ancien vice-président américain Al Gore à Denver, USA, et une autre en juin 2018, à Berlin.
Fondé en 2006, le Climate Reality Project d’Al Gore est partenaire de We Don’t Have Time.
La Fondation We Don’t Have Time a deux administrateurs conseillers spéciaux pour la jeunesse : Greta Thunberg et Jamie Margolin. [Source]
Capture d’écran :
Mårten Thorslund, directeur du marketing et de la durabilité à We Don’t Have Time, a pris plusieurs des toutes premières photos de Greta Thunberg après le lancement de sa grève scolaire, le 20 août 2018. Dans l’exemple suivant, des photos prises par Thorslund accompagnent un article rédigé par David Olsson, directeur Général délégué de We Don’t Have Time, « This 15-year-old Girl Breaks Swedish Law for the Climate » (« Cette jeune fille de 15 ans enfreint la loi suédoise au nom du climat »), publié le 23 août 2018 :
Greta est devenue une championne du climat et a essayé d’influencer ses proches. Son père écrit maintenant des articles et donne des conférences sur la crise climatique, alors que sa mère, une célèbre chanteuse d’opéra suédoise, a cessé de prendre l’avion. Tout ça grâce à Greta.
Et il est clair qu’elle est allée encore plus loin en influençant le débat national sur la crise climatique, deux semaines avant les élections. We Don’t Have Time a parlé de la grève de Greta dès le premier jour et en moins de 24 heures, nos messages sur Facebook et nos tweets ont reçu plus de vingt mille likes, partages et commentaires. Il n’a pas fallu longtemps aux médias nationaux pour s’en rendre compte. Dès la première semaine de grève, au moins six grands quotidiens, ainsi que la télévision nationale suédoise et danoise [1] ont interviewé Greta. Deux chefs de parti suédois sont également passés lui parler. » [Gras ajouté]
L’article poursuit :
Est-ce qu’il se passe quelque chose d’important ici ? Cette unique gamine a immédiatement eu vingt sympathisants qui s’assoient maintenant à côté d’elle. Cette unique gamine a été lé sujet de nombreux reportages dans les journaux nationaux et à la télévision. Cette unique gamine a reçu des milliers de messages de soutien sur les médias sociaux…… Les mouvements de jeunes, comme celui de Jaime [sic] Margolin, #ThisIsZeroHour que #WeDontHaveTime a interviewée plus tôt, parlent avec une urgence nécessaire à laquelle les adultes devraient prêter attention… » [gras dans l’original]
Oui – il y avait, et il y a toujours, quelque chose qui se passe ici.
Cela s’appelle du marketing et du branding.
Hier, je me suis assise toute seule, aujourd’hui il y en a un autre ici aussi. Il n’y en a pas que je connais » – Greta Thunberg, 21 août 2018, journal Nyheter, Suède, traduction Google.
« L’unique gamine a immédiatement reçu vingt sympathisants » – d’un réseau suédois pour le business durable. Ce qui se passe, c’est le lancement d’une campagne mondiale visant à obtenir le consensus nécessaire pour l’Accord de Paris, le New Green Deal et toutes les politiques et législations relatives au climat rédigées par l’élite au pouvoir, pour l’élite au pouvoir. C’est nécessaire pour débloquer des milliards de dollars de financement par le biais d’une demande publique massive.
Ces accords et politiques comprennent le piégeage et le stockage du carbone (CSC), la récupération assistée du pétrole (acronyme anglais EOR), la bioénergie avec piégeage et stockage du carbone (BECCS), la décarbonisation totale à terme, le paiement de services liés à l’écosystème (appelé « capital naturel »), l’énergie nucléaire et la fission, et une multitude d’autres « solutions » hostiles à une planète déjà dévastée. Ce qui se passe, c’est le redémarrage d’une économie capitaliste stagnante, qui a besoin de nouveaux marchés – d’une nouvelle croissance – afin de se sauver. Ce qui est en train d’être créé, c’est un mécanisme pour débloquer environ 90 billions de dollars pour de nouveaux investissements et de nouvelles infrastructures. Ce qui se passe, c’est la création et l’apport d’investissements dans la plus grande expérience de changement comportemental jamais tentée à ce jour, peut-être à l’échelle mondiale. Et quels sont les facteurs qui déterminent les comportements auxquels la société mondiale doit adhérer ? Et plus important encore, qui en décide ? C’est une question pour la forme, car nous connaissons très bien la réponse : les mêmes sauveurs blancs occidentaux et le système économique capitaliste même qu’ils ont mis en place à l’échelle mondiale, et qui a précisément été la cause de notre cauchemar écologique planétaire. Cette crise se poursuit sans faiblir, puisqu’ils s’autoproclament (une fois de plus) sauveurs de l’humanité tout entière – un problème récurrent depuis des siècles.
« Greta Thunberg : Nos vies sont entre nos mains ! Ceci est mon appel à l’aide »
Source: WWF
« Notre objectif est de devenir au moins 100 millions d’utilisateurs. C’est un huitième de tous ceux qui ont grimpé sur les réseaux sociaux. Pas plus tard que le mois dernier, nous avons réussi à atteindre 18 millions de comptes de réseaux sociaux, selon un sondage que Meltwater News a réalisé pour nous. Sur Facebook, nous sommes actuellement sept fois plus nombreux que les autres organisations climatiques du monde. Nous grandissons avec 10 000 nouveaux adeptes du monde entier par jour sur Facebook. » – Interview d’Ingmar Rentzhog avec Miljö & Utveckling, 15 octobre 2018
We Don’t Have Time s’identifie comme un mouvement et une start-up de technologie qui développe actuellement « le plus grand réseau social mondial pour l’action climatique ». Le volet « mouvement » a été lancé le 22 avril 2018. La plate-forme Web est encore en cours de construction, mais son lancement est prévu pour le 22 avril 2019 (qui coïncide avec le Jour de la Terre) [Depuis la publication de cet article, le site a été ouvert, NdT]. « Grâce à notre plate-forme, des millions de membres s’uniront pour faire pression sur les dirigeants, les politiciens et les entreprises afin qu’ils agissent pour le climat. » L’objectif de la start-up d’atteindre rapidement 100 millions d’utilisateurs a jusqu’à présent attiré 435 investisseurs (74,52% des actions de l’entreprise) via la plate-forme web de financement participatif FundedByMe.
La start-up a l’intention d’offrir des partenariats, de la publicité numérique et des services liés au changement climatique, au développement durable et à l’économie circulaire verte en pleine croissance à « un large public de consommateurs et d’ambassadeurs engagés ».
We Don’t Have Time est principalement active sur trois marchés : les réseaux sociaux, la publicité numérique et la compensation carbone. [« Rien qu’aux États-Unis, le marché de la compensation carbone est estimé à plus de 82 milliards de dollars, dont 191 millions de dollars pour la compensation volontaire. On s’attend à ce que le marché augmente à l’avenir, en 2019, on estime que 15 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre seront associées à divers coûts de compensation. »] Comme l’entreprise est une organisation de niche, les réseaux sociaux sont en mesure de fournir des services adaptés à ses utilisateurs. La start-up a utilisé cette opportunité en offrant à ses utilisateurs la possibilité d’acheter des compensations carbone par le biais de la certification du réseau social. Cette option s’applique aussi bien à l’utilisateur individuel de la plate-forme qu’à l’ensemble des organisations/entreprises présentes sur la plate-forme.
L’une des nombreuses mesures incitatives mentionnées dans la section sur l’investissement de la start-up est que les utilisateurs sont encouragés à « communiquer conjointement et puissamment avec des acteurs influents ». Ce sont Greta Thunberg et Jamie Margolin, qui ont toutes deux un avenir lucratif dans le domaine de l’image de marque des industries et des produits « durables », si elles souhaitent poursuivre dans cette voie en utilisant leur célébrité actuelle pour leur profit personnel (c’est une caractéristique du mouvement actuel des ONG). [Lecture complémentaire : L’engouement croissant pour un discours sur le climat favorable aux capitalisme, en anglais].
L’entreprise de technologie mise sur la création d’une base massive de membres « utilisateurs conscients » qui permettront « des collaborations commerciales rentables, par exemple, de la publicité » :
Les décideurs – hommes politiques, entreprises, organisations, États – obtiennent une note climatique basée sur leur capacité à se montrer à la hauteur de l’initiative des utilisateurs. Les connaissances et les opinions se rassemblent en un seul endroit et les utilisateurs font pression sur les décideurs pour qu’ils accélèrent le changement. »
Les principales sources de revenus proviennent d’acteurs commerciaux qui ont reçu une note élevée en matière de climat et qui font confiance à la base de membres de We Don’t Have Times [2]… Le modèle de revenus ressemblera à la plate-forme sociale de TripAdvisor.com, qui avec ses 390 millions d’utilisateurs génère annuellement plus de 1 milliard de dollars en bonne rentabilité…Nous allons travailler avec des partenaires stratégiques comme les leaders de Climate Reality, des organisations climatiques, des blogueurs, des influenceurs et des experts de premier plan dans ce domaine« . Vidéo promotionnelle We Don’t Have Time, publiée le 6 avril 2018 [Durée : 1m:38s]
Un « état de visibilité consciente et permanente assure le fonctionnement automatique de la puissance. » – Michel Foucault, « Surveiller et punir »
Comparable à d’autres projets de réseaux sociaux où les « likes », les « followers » et des quantités insondables de métadonnées déterminent le succès financier, le fait que l’entreprise soit virtuelle permet des marges bénéficiaires élevées. Le rendement du capital investi, que l’on pourrait mieux décrire comme étant l’assentiment général et l’attractivité par la voie de la visibilité, sera obtenu au moyen de dividendes futurs. En prévision de ce succès prévu, l’entreprise de technologie prévoit d’entrer en bourse dans un avenir proche. (Pensez à Facebook et Instagram.) L’élément le plus important pour le succès de cette start-up (comme ses prédécesseurs) est d’atteindre une base massive de membres. C’est pourquoi, selon l’entreprise, elle « travaillera activement avec les personnes d’influence et créera du contenu pour diverses campagnes liées au hashtag #WeDontHaveTime ».
PROSPECTUS WE DON’T HAVE TIME (PDF)
Le business plan de We Don’t Have Time, en suédois
Le 18 avril 2018, la plate-forme de financement participatif FundedByMe (utilisée par We Don’t Have Time pour attirer des investisseurs) a acquis Laika Consulting d’Ingmar Rentzhog. Voici des extraits du communiqué de presse :
FundedByMe a annoncé aujourd’hui l’acquisition de 100% des actions de la société financière Laika Consulting AB, une agence de communication financière de premier plan. En conséquence, la société double son réseau d’investissement pour atteindre près de 250 000 membres, ce qui en fait la plus importante de la région nordique. Cette acquisition est une étape stratégique pour renforcer la gamme de services financiers de FundedByMe…..
[Ingmar Rentzhog] continuera à travailler sur des projets stratégiques pour FundedByMe et Laika Consulting à temps partiel. De plus, il joue un rôle au sein du conseil d’administration de la société. La majeure partie de son temps, il se concentrera sur le changement climatique par le biais de l’entreprise nouvellement créée, « We Don’t Have Time », en tant que PDG et fondateur ». [gras ajouté][Source][3][3]
L’application logicielle de We Don’t Have Time : la dernière trouvaille de l’idéologie occidentale et entrepreneuriale à portée de tous
En octobre 2016, Netflix a diffusé la troisième saison de Black Mirror, « une anthologie télévisée Twilight Zonesque sur les anxiétés liées aux technologies et les avenirs possibles ». Le premier épisode, « Nosedive » postule une population superficielle et hypocrite dans laquelle « les plate-formes sociales, l’auto-fabrication d’une image publique impeccable et la recherche de validation » seront devenues les soubassements d’une société future. (La troisième saison de Black Mirror s’ouvre sur une vision cruelle des réseaux sociaux). Cet épisode dérangeant ressemble au concept qui sous-tend We Don’t Have Time. La différence étant qu’au lieu d’évaluer exclusivement des gens, nous évaluerons des marques, des produits, des entreprises et tout ce qui a trait au climat.
Acquisition International Magazine Numéro 10, 2018
Les résultats négatifs seront décuplés. Les entreprises ayant les meilleurs publicitaires et les budgets les plus importants seront les gagnantes. Le greenwashing deviendra une méthode publicitaire sans précédent, tout comme l’art du « storytelling » (personne n’a jamais dit que ces « stories » doivent être vraies). Les petites entreprises ou les entreprises locales ayant peu de moyens financiers seront le plus souvent perdantes. Les entrepreneurs migrants, dont les cultures diffèrent des nôtres en Occident – où la « démocratie occidentale » est la seule démocratie considérée comme valable – seront particulièrement touchés.
Le fait que « des préjugés subconscients au sujet de la race ou du sexe sont un problème avéré dans de nombreuses plates-formes financées par dons » [Source] ajoute aux questionnements sur qui profite, au final, de cette entreprise d’un point de vue culturel, social, géographique et ethnique. En fin de compte, cela signifie que pour obtenir tout le soutien nécessaire en tant que plate-forme multimédia, l’intérêt personnel du monde occidental doit être à l’avant-plan, sans se soucier des pays du Sud – sauf pour ce que nous pouvons continuer à leur voler. La vérité dérangeante, c’est que toutes les routes mènent au même objectif collectif (même subconscient) : la préservation de la supériorité raciale blanche.
Rentzhog assure à son auditoire que « notre cœur de métier, cependant, restera, à savoir donner à nos utilisateurs les moyens de faire pression sur les leaders mondiaux pour qu’ils avancent plus vite vers un monde sans émissions et des solutions et politiques durables sur le plan environnemental ». [Acquisition International Magazine Numéro 10, 2018]
Un « monde sans émissions » semble séduisant, mais il n’y a aucun plan de retrait de nos économies fondées sur la croissance. « Des solutions écologiquement durables »… selon qui ? Selon un aîné tribal qui défend les principes de la « septième génération » (la croyance indigène selon laquelle les humains doivent subvenir correctement aux besoins de leurs descendants en s’assurant que leurs actions présentes permettront la survie terrestre de sept générations successives – à ne pas confondre avec l’acquisition de la septième génération d’Unilever) – ou selon la Banque mondiale ? (Nous connaissons tous la réponse à cette question posée pour la forme.)
Une autre vérité gênante, concernant la prémisse ci-dessus, est qu’il y a une pression croissante sur les gouvernements pour qu’ils augmentent le financement étatique de la recherche et du développement afin de développer et de déployer des technologies de « décarbonisation profonde » comme l’une des principales « solutions » au changement climatique. C’est ce qui a été proposé dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat avec l’initiative « Mission Innovation » de Bill Gates, qui s’est engagé à faire doubler les investissements publics dans les technologies énergétiques.
Nous voulons qu’il en coûte plus cher, en termes de revenus, de soutien public et de réputation, de ne pas travailler à la réduction des émissions et à l’amélioration de la durabilité environnementale, alors qu’au contraire, ceux qui montrent la voie devraient obtenir une reconnaissance pour cela. Notre vision est de créer une course à la durabilité environnementale et à la neutralisation du CO2, en en faisant la priorité centrale des entreprises, des politiciens et des organisations du monde entier. » – Acquisition International Magazine Numéro 10, 2018
Là encore, nous devons examiner de près le langage et la formulation. Qui sont « ceux qui ouvrent la voie » ? Parlaient-ils de citoyens occidentaux qui peuvent faire tenir tous leurs effets personnels dans un sac de sport ? Il faut dire ici que les héros de l’environnement en Occident ne sont PAS les Richard Branson ou Leonardo DiCaprio de ce monde. Les vrais héros de l’environnement, en raison de leur empreinte environnementale quasi inexistante, sont les SDF – malgré le mépris de la société dans son ensemble à leur encontre]. Se réfèrent-ils aux Massaï africains qui, à ce jour, ne laissent littéralement aucune trace ? Ou « ceux qui ouvrent la voie » sont-ils censé être Unilever et Ikea (représentés sur le forum de We Don’t Have Time). C’est une autre question pour la forme à laquelle nous connaissons tous la réponse. Remarquez la mention de la « neutralisation » du CO2 plutôt que d’une réduction drastique des émissions de CO2. Un langage adapté, parce que l’un des principaux piliers de leur business model est la vente de compensations de carbone – une façon de rationaliser le maintien du même style de vie fondé sur le carbone en construisant un fantasme, auquel n’importe qui, du moment qu’il détient une richesse monétaire, peut adhérer.
Comme les systèmes d’évaluation et de notation en ligne sont devenus un élément fondamental pour déterminer la valeur d’une personne, d’un groupe ou d’une société, l’Internet est actuellement la source principale pour déterminer la qualité d’une entité. Un exemple de ce type de système est le site en ligne Trip Advisor, qui utilise les retours des utilisateurs comme mesure d’évaluation d’un hôtel, d’une compagnie aérienne, d’un loueur de voitures, etc. Comme le système d’évaluation de ces conseillers en voyages est le modèle d’évaluations que We Don’t Have Time se propose d’imiter, nous examinerons ce système d’évaluation particulier.
Alors qu’un site Web réputé et bien établi comme Trip Advisor est fondé sur des expériences réelles – les évaluations de We Don’t Have Time sont davantage axées sur des promesses sur une révolution technologique verte future et/ou sur l’efficacité de la publicité pour faire croire à la véracité de ces promesses. En utilisant de faux comptes (pensez Twitter et Facebook), des campagnes stratégiquement orchestrées permettront à l’application de briser des carrières politiques et de diaboliser des gens et des pays en fonction des évaluations (« les bombes climatiques « ). Ces bombes peuvent être lancées contre n’importe quel ennemi qui n’adhère pas aux technologies (recherchées par l’Occident au profit de l’Occident) de cette soi-disant révolution, peu importe si sa raison de prendre ses distances est justifiée ou non.
Le mot « bombe » lui-même sera redéfini. Plutôt que d’associer les bombes au militarisme (un sujet jamais abordé par We Don’t Have Time), le mot bombe finira par être associé avant tout aux évaluations, aux mauvais produits, aux mauvaises idées et aux mauvaises personnes. Tel est le pouvoir du langage et de ses manipulations, lorsqu’ils sont combinés à de l’ingénierie sociale. Ici, l’économie comportementale de la haine peut être instrumentalisée – une nouvelle forme virtuelle de soft power. Le gouvernement sandiniste nicaraguayen, qui n’a pas signé l’Accord de Paris parce qu’il est trop tiède (et ne sert que les intérêts occidentaux), pourrait rapidement devenir un paria sur la scène mondiale, car l’Occident contrôle cette scène. Envers les pays déjà ciblés pour une déstabilisation, l’application de soft power serait appliquée comme la classe dirigeante l’entend.
« Les vendredis pour l’avenir »
Quand on contemple le complexe industriel à but non lucratif, on doit le considérer comme l’armée la plus puissante du monde. Recrutant des milliards d’employés, tous interconnectés, les campagnes d’aujourd’hui, financées par nos oligarques au pouvoir, peuvent devenir virales en l’espace de quelques heures par le simple fait que leurs directions imbriquées travaillent ensemble dans un but commun : inculquer des pensées et opinions uniformes, qui créent progressivement l’idéologie souhaitée. C’est l’art de l’ingénierie sociale. Le conformisme et le contenu émotionnel en tant qu’outils de manipulation ont été et seront toujours les armes les plus puissantes de la boîte à outils des Mad Men. Si 300 000 personnes ont déjà voté en moins de 48 heures avec « le cœur » sur un sujet « tendance », ils doivent avoir raison.
« Personne ne veut être le dernier de la classe. » Ingmar Retzhog, We Don’t Have Time, 22 décembre 2017, Nordic Business Insider
En clair, l’Occident n’est pas en mesure « d’enseigner » au monde le système de valeurs « correct » en matière de durabilité, alors que les plus grands pollueurs de la planète sont transformés en « leaders climatiques » et « héros climatiques ». C’est la réalité qui est inversée. Une réalité que nous sommes conditionnés à accepter. Des institutions telles que les Nations Unies, en tandem avec les médias, font avaler cette folie (qui contredit toute logique) à la population mondiale, servante des classes dirigeantes.
« Nudge » : Acquisition International Magazine Numéro 10, 2018. [Qu’est-ce que le « nudging », explication ici, NdT]
Enfin, cette plate-forme de science comportementale se prête à la poursuite de la dégradation de la pensée critique. Avec pratiquement tout et tous à évaluer toute la journée, qui a le temps d’examiner en profondeur une politique ou un produit donné, quand, après tout, ils paraissent tout simplement incroyable grâce à un marketing sophistiqué couplé à des stratégies de changement de comportement ? Il est essentiel de garder à l’esprit que l’ingénierie sociale – et des profits massifs – sont les principaux objectifs de cette application.
Cory Morningstar est journaliste d’investigation indépendante, écrivain et militante écologiste. Elle se concentre sur l’effondrement écologique mondial et l’analyse politique du complexe industriel à but non lucratif. Elle réside au Canada. Ses écrits récents ont été publiés sur Wrong Kind of Green, The Art of Annihilation et Counterpunch. Ses écrits ont également été publiés par Bolivia Rising and Cambio, une parution officielle de l’État de Bolivie.
Traduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
Notes et références :
[1] TV 2 Danmark Service public danois, SVT Service public suédois, TV 4 News, Metro TV, Dagens Nyheter, Aftonbladet (20 août 2018), Sydsvenskan, Stockholm Direkt, Expressen (20 août 2018), ETC, WWF, Effekt Magazine, GöteborgsPosten, Helsingborgs Dagblad, Helsingborgs Dagbladet, Folkbladet, Uppsala Nya tidning, Vimmerby Tidning, Piteå Tidningen, Borås Tidning, Duggan, VT, NT, Corren, OMNI, le post viral du PDG de We Dont Have Time sur FaceBook qui le mentionne en premier. [Source]
2] Publicité par clics basée sur des entreprises hautement cotées qui veulent attirer du trafic vers leurs sites Web ; Publicité ciblée sur le Web pour les entreprises qui veulent rejoindre des utilisateurs sensibilisés à l’environnement dans différents segments ; Abonnements d’affaires où les entreprises et organisations ont la possibilité d’interagir avec les membres et obtiennent le droit d’utiliser la marque We Don’t Have Time et le classement de l’entreprise dans leur marketing [Source].
3] « Laika Consulting a été l’une des premières entreprises en Suède à travailler avec le financement participatif, lorsque nous avons créé la marque en 2004. J’ai hâte de suivre de près la croissance de l’entreprise. La combinaison de l’expertise de Laika dans les sociétés cotées en bourse et de FundedByMe, avec sa présence internationale et numérique peut créer de nouvelles opportunités de croissance », déclare Ingmar Rentzhog, PDG de Laika. [Source]