A peine mis en place le gouvernement du Premier ministre socialiste wallon a déjà pris un train de mesures rabotant considérablement les pensions, notamment celles des agents des services publics et limitant l'accès à la pré-retraite (l'âge de la retraite est fixée à 65 ans, mais dans divers secteurs, on peut prendre sa pension avant cet âge, notamment dans l'enseignement ou dans les entreprises privées : lorsqu'elles ferment ou lorsqu'il y a une restructuration, certains ouvriers et employés sont mis à la pré-retraite, formule moins dure et plus avantageuse que le fait de chômer).
Gouvernement Di Rupo : la droite brutale
Tous les observateurs, même à droite, ont été frappés par la brutalité avec laquelle le premier gouvernement présidé par un socialiste wallon depuis presque 40 ans, appliquait ces mesures. La réaction n'a pas tardé et une grève générale a éclaté dans les services publics ce jeudi, paralysant une grande partie des activités du pays. Et cela même depuis mercredi dans la partie de la Wallonie où je vis.
Il faut dire aussi que les médias publics ont fait grève également mais qu'on y entend dire que les mesures sont prises en vue d' «harmoniser» le régime des retraites. Ce n'est pas tout à fait faux puisque le régime des retraites pour les agents des services publics présentait quelques avantages par rapport aux retraites des travailleurs du privé. Mais on «harmonise» comme toujours dans ces cas-là, vers le bas, pas vers le haut. Et ces mesures ne seront pas d'application immédiate pour toutes les personnes concernées. Il n'empêche! Le gouvernement a même l'intention de supprimer les pensions de survie versées aux veuves qui ne travaillent pas. Elles conserveraient quelques années le droit à la retraite puis devraient s'inscrire au chômage.
La chute de la civilisation en Europe
Même si cette mesure n'a pas été votée (et même si elle ne s'appliquera pas aux personnes de plus de trente ans - ce sont nos enfants qui casqueront, après nous les mouches?), il y a dans tout cela les signes d'un système aux abois. Qui use parfois d'un étrange vocabulaire selon lequel les meilleures années seraient derrière nous et que nous entrerions dans une période de vaches maigres. Or, je l'avoue, ce discours je l'entends depuis la Noël 1973. Cette année-là avait eu lieu ce que l'on a appelé le premier choc pétrolier. Je me souviens très bien que la radio disait que nous allions vivre le dernier Noël d'abondance avant longtemps. Cette année, à la veille de Noël, un jeune de Dinant où j'habitais encore se suicidait d'un coup de fusil dans le visage. Une coïncidence mais qui est aussi un signe.
Quelques années plus tard, en 1977, la Wallonie frappée par un déclin structurel était en «croissance négative». Dans les années 1980, le gouvernement en place appliquait un dur programme d'austérité comprenant la diminution en termes réels de très nombreux salaires mais en même temps promettant de vastes subsides aux investisseurs en bourse. La part des revenus des salariés dans le revenu national s'effondrait de 67,4 % en 1981 à 61,1 % en 1985. Par contre les revenus de la propriété passaient de 17,3% à 21,7 %. Et cela dans une période dite d' «austérité pour tous». L'auteur de cet article que je relis, Jos Schoonbroodt, un des meilleurs journalistes wallons, aujourd'hui décédé, concluait que l'on voyait frapper d'austérité les travailleurs avec en face d'eux ceux «qui engrangent les effets du transfert massif des revenus du travail vers ceux de la propriété» (Jos Schoonbroodt, Martens-Gol ou le retour aux sources, in TOUDI annuel, n° 1, 1987). Des analyses successives et bien chiffrées montrent que c'est sur cette pente que dévale depuis près de quarante ans la civilisation européenne. J'use à nouveau d'un texte que j'ai souvent cité mais qui donne utilement une idée chiffrée de la barbarie qui s'annonce.
L'impasse du système actuel
Comment ne prend-on pas mieux conscience que le système actuel mène à une impasse totale? Il faut dire en effet que contrairement à ce que laisse croire la rhétorique de droite, la richesse globale des pays développés ne diminue pas mais augmente. On dit souvent qu'elle double tous les quarante ans. Et il n'est pas niable que le sort de tous s'améliore lentement et presque fatalement en raison des progrès de toutes sortes. Cependant l'amélioration du sort des moins riches (ne parlons pas des pauvres ou des misérables), se développe dans des sociétés de plus en plus inégalitaires. Qui n'hésitent pas une seconde à faire payer les difficultés qu'elles subissent non aux responsables, mais aux gens qui vivent de leur travail comme salariés ou comme travailleurs indépendants. N'en donnons qu'un exemple : en Belgique les cotisations patronales sont rabotées depuis 1998 pour une somme qui représente environ 3 milliards d'€ par an, une politique qui selon tous les spécialistes ne créent pas un seul emploi. Mais le gouvernement du «socialiste» et «wallon» Di Rupo n'a pas songé à mettre cette dépense de l'Etat en cause mais à raboter sérieusement, par contre, les allocations de chômage. Ce qui va sans doute conduire les chômeurs à passer d'un droit à la rémunération à un statut d'assisté dans les CPAS gérés et financés par les communes qui risquent, de ce fait, de subir à leur tour de graves difficultés financières. Il est certain que les finances publiques de l'Etat belge sont en difficulté. Mais comme les finances publiques de tous les Etats européens ou des Etats-Unis. Or, même des économistes de droite estiment que toutes ces économies vont stopper la croissance, c'est-à-dire tarir la seule source de revenus des Etats qui leur permettrait de diminuer leurs dettes. Les politiques d'austérité ne sont pas seulement injustes, elles sont vraiment parfaitement inutiles et non seulement inutiles mais nuisibles. Elles semblent se nourrir, dans l'électorat de certains partis très à droite en Flandre, de la haine que certains milieux vouent à certaines catégories sociales comme les ouvriers ou les employés à faibles revenus les plus rapidement guettés par le chômage ou le déclin de leurs revenus. Et qui sont considérés comme des «assistés» et des «paresseux» parce qu'ils ne «font rien» étant donné que nos sociétés ne leur offre aucune perspective d'emploi.
Ses mensonges
Quant au problème des retraites on en maquille la réalité en prétendant qu'il s'agirait du rapport de plus en plus déséquilibré entre actifs et non-actifs vu le vieillissement de nos sociétés. Alors que, comme le faisait remarquer Le Monde Diplomatique, «En 1960, nous dit-on, il y avait 4 actifs pour 1 retraité ; en 2000, 2 actifs et en 2020, 1,5. C’est vrai. Mais d’ores et déjà, les deux actifs produisent une fois et demi plus que les quatre d’il y a soixante ans (en raison de la productivité du travail). A l’horizon 2020, un actif produira plus que les deux d’aujourd’hui. Donc il y aura autant de richesses disponibles pour les retraités.» (voir Mensonge sur les pensions).
L'économiste Paul Jorion estime que c'est cet écart grandissant entre les revenus, l'incapacité des Etats européens à assurer un minimum d'égalité qui ruinent le système économique actuel, parce que, prétend-il, à force de concentrer les richesses dans le moins de mains possibles, on finit par avoir des riches qui ne savent plus quoi faire de leur argent. Et en effet, il existe des banques et des particuliers qui prêtent à un Etat comme la Suisse - supposé «sûr» - à un taux d'intérêt négatif.
C'est pour ces raisons que Paul Jorion pense que le capitalisme est à l'agonie.
La droite brutale de Di Rupo
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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