J’ai lu, vendredi dernier, la lettre de Mme Sofia Alami, « J’ai mal à mon identité québécoise ». Mon objet n’est pas ici de minimiser ses propos : ce qu’elle décrit est extrêmement triste et préoccupant. Plus généralement est inadmissible l’image sans nuance des arabo-musulmans véhiculée par les médias, y compris, il est peut-être bon de le noter, par le cinéma hollywoodien par exemple. Il me semble cependant qu’il faut tenter d’aller un peu en deçà de l’anecdote et faire mieux que de désigner des coupables ou de trouver des boucs émissaires. Le mal dont souffre Mme Alami, nous en souffrons en effet tous, et cette souffrance exige d’être entendue.
Nous avons mal à notre identité — nous avons, ici, mal à notre identité depuis longtemps ; au point que l’on pourrait dire que cette souffrance, le plus souvent tue et qui ressurgit parfois en crispation et en ressentiment, est constitutive de l’identité québécoise. Gaston Miron, entre autres, relevait que nous étions marqués par la conscience malheureuse de notre carence identitaire. Cette souffrance, que certains ont pu croire dépassée par la Révolution tranquille et que d’autres persistent à nier ou à noyer dans le Canada post-national triomphant, nous en avons pourtant hérité d’une histoire coloniale dont les Canayens ont largement fait les frais.
L’identité, relève Mme Alami, est une chose fascinante. Mais il ne suffit pas de le constater. L’identité est fascinante en cela qu’elle est à la fois une nécessité (nous sommes fatalement quelque chose) et un mystère. Savoir qui nous sommes « réellement » n’a rien de simple. Mais on ne peut comprendre une identité, fût-elle la nôtre, sans un regard sur son devenir, sur sa formation dans le temps.
Une différence mal tolérée
Le Québec est certainement un lieu « ouvert et tolérant, riche dans sa diversité [qui] pourrait enrichir les autres nations en prenant une place à part entière à la table des nations ». Mais en affirmant cette ouverture et cette tolérance comme des caractéristiques fondamentales, identitaires, du Québec, on oublie à quel point la différence québécoise en Amérique du Nord est, plus que mal comprise, mal tolérée. « Le Québec n’est pas un pays », affirmait récemment une jeune femme en prime time sur TVA ; des éditorialistes et chroniqueurs anglophones pratiquent un Quebec bashing qui semble devenu tout à fait normal et acceptable ; un maire de l’île de Montréal peut tenir publiquement des propos odieux et remettre, par une motion de son conseil municipal, en cause la légitimité d’un gouvernement démocratiquement élu, et demeurer en poste, sans même s’être excusé…
Il y a, dans ces anecdotes, la manifestation d’un refus de comprendre dont il faudra bien un jour considérer l’impact sur la situation actuelle, un refus qui provient d’abord de l’ignorance (et qui l’engendre), voire du mépris, de l’histoire d’ici.
La situation actuelle, que dénonce avec raison Mme Alami, n’est pas nourrie seulement par un nationalisme de ressentiment. Elle est aussi nourrie par le refus de considérer le Québec comme un pays à part entière : un lieu où nous vivons, traversé par des événements qui l’ont façonné et continuent de le façonner et dont le sens nous concerne au plus intime ; par le refus, finalement, de considérer le Québec comme une différence réelle, c’est-à-dire historiquement existante comme autre chose que la scorie malencontreuse du processus colonial et qui ne pourrait avoir accès à l’existence que selon les diktats imposés par ce processus.
NDLR : Le texte de Mme Sofia Alami publié en Libre opinion le 7 juin a été fort commenté. Mme Alami a souhaité répondre à ceux et celles qui ont commenté son texte, pour poursuivre la discussion. Un deuxième texte est aujourd’hui disonible sur nos plateformes numériques, « Pour une meilleure compréhension mutuelle ».