RÉGINALD « REGGIE » CHARTRAND 1932-2014

La dernière bagarre d’un «chevalier de l’indépendance»

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La légende indépendantiste en deuil

Le boxeur et militant indépendantiste Réginald « Reggie » Chartrand est décédé au soir du 8 mars à Montréal. Vedette des débuts du mouvement indépendantiste dans les années 1960, voué à la défense du socialisme au Québec, ce personnage coloré était peu à peu passé à une relative marginalité après s’être voué à des causes antiféministes et à des prises de position conservatrices.
Né en 1932 à Clarence Creek, près d’Ottawa, il grandit dans la ville minière de Timmins, où son père est bûcheron. Reggie Chartrand quitte l’école sans avoir terminé sa huitième année.
Au cours des années 1950, il s’engage dans 37 combats de boxe professionnels. Après avoir rempli des salles, il sera videur dans des bars. Puis il enseigne son métier de pugiliste à Montréal. Le local de son école deviendra le coeur vivant des Chevaliers de l’indépendance, un groupe musclé fondé en 1964 autour d’une idée de la chevalerie plus ou moins définie au nom d’un Québec français. Facilement reconnaissables à leur blason, les membres du groupe se font très présents dans les diverses manifestations des années 1960 et du début des années 1970.
Manifestations contre la reine et la confédération, sit-in et occupations diverses, visite du général de Gaulle, émeutes de Saint-Léonard, il ne se ménage jamais. Reggie Chartrand est régulièrement roué de coups et arrêté. Sensible au discours anticolonialiste, il est peut-être le militant indépendantiste de la première heure qui a subi le plus de coups, non sans en donner aussi, prenant volontiers sur lui des volées de matraque qu’il épargne ainsi à d’autres.
Par exemple, lors de l’émeute du 24 juin 1968, où il y aura 292 arrestations et 123 blessés, Reggie Chartrand est violemment battu. Des images le montrent victime d’un assaut massif des policiers contre lui. Il est envoyé une fois de plus en prison. Pour quelques heures, il partage alors une cellule avec Pierre Bourgault qui témoignera l’avoir vu très affaibli, brisé, souffrant, pleurant.
Socialiste
À la revue de gauche Parti pris, il précise en décembre 1964 son attirance envers le socialisme. « Je sais qu’à Ville Mont-Royal, Westmount ou Outremont, il y a des chiens qui mangent deux livres de steak par jour, alors que dans la même ville, dans l’est de Montréal, Saint-Henri, Ville Jacques-Cartier, il y a des familles qui n’ont même pas deux livres de steak à manger par semaine. » Il est certain que « l’humanité a perdu des siècles avec le régime capitaliste, en ce sens que nous avons trop travaillé chacun pour soi, au lieu de s’entraider. » Son action n’est pas seulement en faveur de l’indépendance politique, mais aussi de l’avènement d’une société plus juste. « Les capitalistes ont tordu et mal interprété le mot socialiste pour mieux nous exploiter. »
À l’élection de 1966, il est candidat du RIN dans Verdun, quartier populaire de Montréal.
Avec l’entrée en scène du Parti québécois en 1968 et la mise en place de campagnes électorales plus traditionnelles par les partisans de la souveraineté-association, l’ère des éclaireurs cède la place à des professionnels de la représentation politique où Reggie Chartrand ne trouve plus aussi facilement sa place. En 1972, il publie aux éditions Parti Pris ses mémoires intitulés La dernière bataille.
À la veille du référendum de 1980, grâce à des images tournées par le cinéaste Gilles Groulx et reprises par Denys Arcand, on le voit remonter sur ring pour vaincre, sans grande gloire, dans un très court combat, un boxeur amateur sympathisant de l’option du Non. La boxe a toujours pris chez lui valeur d’allégorie de la lutte de libération nationale, comme dans les luttes d’émancipation des Noirs américains.
Antiféminisme
Dès le début des années 1970, Reggie Chartrand a du mal à accepter que les femmes puissent penser aussi d’autres luttes que celles en faveur de l’indépendance nationale. Dès 1971, dans ses mémoires, il s’inquiétait de la montée du féminisme, avouant ne pas trop en comprendre les ressorts.
En 1984, il signe un pamphlet antiféministe intitulé Dieu est un homme parce qu’il est bon et fort et seconde ouvertement les mouvements anti-avortement.
Reggie Chartrand Il est fier de présenter en août 1987 un nouveau parti politique baptisé Action Québec. À titre de chef, il se dit favorable à la division des écoles selon une ligne religieuse défendue dans l’enseignement. Action Québec est farouchement opposé à la régulation des naissances et considère que l’application d’une morale sévère est une façon prometteuse de contrer le sida. Il regrette le temps de Maurice Duplessis où « les femmes étaient à leur vraie place, au foyer, à élever les enfants ».
En 1983, il avait soutenu la candidature de Joe Clark contre celle de Bryan Mulroney au Parti conservateur du Canada, convaincu que celui-là plus que celui-ci serait plus disposé à négocier avec un Québec souverain. Dans la seconde moitié de sa vie, les idées de Reggie Chartrand apparaissent incliner plus largement vers une droite conservatrice qu’au plus fort de son action politique dans les années 1960. Une étude de sa pensée et de son action reste encore à produire.
En 2010, considérablement amoindri, Reggie Chartrand fait une de ses dernières apparitions publiques au lancement d’un documentaire que lui consacre Jules Falardeau. À l’aide de documents d’archives, Reggie Chartrand, patriote québécois, un film de 45 minutes, aborde son militantisme en faveur de l’indépendance du Québec. En 2011, Reggie Chartrand a reçu la médaille Bene Merenti de Patria de la Société Saint-Jean-Baptiste.


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