La dérive prévisible de l’école à charte du Technopôle Angus

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L'école à charte, une fausse bonne idée

Le président de la Société de développement Angus, Christian Yaccarini, a déposé récemment à la Commission scolaire de Montréal, un projet d’école primaire « novateur » issu d’une consultation, intitulée « Repenser l’école », réunissant des enseignants, des avocats, des architectes, des parents d’élèves, des représentants du ministère de l’Éducation et de la CSDM. La consultation était organisée par Credo, une firme de conseil en impact social, présidée par Christian Bélair, ex-PDG du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec.


L’école primaire projetée serait intégrée dans le nouveau quartier résidentiel et commercial au Technopôle Angus. Christian Yaccarini a présenté son projet d’école avec un emplacement et une proposition architecturale, mais également un projet éducatif, détaché de la commission scolaire et bénéficiant d’une autonomie totale. Il veut pouvoir embaucher le personnel et la direction à sa convenance et que la gestion relève d’un conseil d’administration, sur le modèle des écoles privées.


Le projet est soutenu par Camil Bouchard, nouvellement nommé conseiller en éducation du Parti Québécois, qui a agi à titre de consultant pour le compte du promoteur. Il nie que le projet équivaut à une privatisation, mais la Fédération des établissements d’enseignent privés du Québec suit avec intérêt le dossier et soutient que, si le gouvernement décide de modifier la Loi de l’instruction publique pour permettre à des écoles autonomes d’être financées à 100% avec des fonds publics, « il pourrait y avoir certaines écoles privées qui seraient intéressées par ce nouveau modèle ».

 


Une école à charte


Les syndicats d’enseignement ont vu, avec raison, dans ce projet d’école autonome une réplique des écoles à charte aux États-Unis. Il est intéressant de rappeler que, tout comme le projet de M. Yaccarini, le promoteur des écoles à charte états-uniennes était animé des meilleures intentions du monde.


Son instigateur était Albert Shanker, président de l’American Federation of Teachers – un syndicat d’enseignants – de 1974 à 1997. En 1988, il avait eu l’idée qu’un groupe de profs puisse, avec l’accord de leurs collègues, ouvrir une petite école spécialement conçue pour les décrocheurs. Une école qui travaillerait main dans la main avec l’école publique pour motiver les décrocheurs potentiels au moyen de programmes spéciaux.


Mais, en 1993, lorsque M. Shanker s’est rendu compte que des organismes à but lucratif s’étaient emparés de son idée pour promouvoir leur programme de privatisation, il a condamné l’idée même des écoles à charte, nous apprend Mme  Diane Ravitch dans un article de la New York Review of Books, intitulé The Myth of Charter Schools (Le Mythe des écoles à charte) ( 11 novembre 2010).


Mme Ravitch a été sous-ministre de l’Éducation sous l’administration de George W. Bush. Elle est  l’auteure de The Death and Life of the Great American School System, dans lequel elle explique sa volte-face complète à l’égard du programme de réformes qu’elle avait parrainé sous l’administration Bush avant de démissionner.

 


L’exemple du Dr Julien


Pour comprendre où mène la logique du modèle proposé par Christian Yaccarini et Camil Bouchard, on peut se référer aux Centres de pédiatrie sociale du Dr Gilles Julien. Au départ, l’idée était excellente : développer la pédiatrie sociale en communauté en implantant de nouveaux modes d’interventions auprès des enfants en situation de grande vulnérabilité et de leurs familles. Et il avait bénéficié de l’appui financier de la Fondation Chagnon.


Avec l’aide de Radio-Canada, il a créé la Guignolée des médias, qui lui a permis, année après année, de récolter des fonds substantiels. Selon le rapport financier de sa Fondation, la guignolée a rapporté en 2017 la jolie somme de 1 751 127 $. Mais ce n’était pas suffisant. Le Dr Julien a profité de sa notoriété et de son accès aux médias pour réclamer un financement public pour ses activités privées.  Au mois de juillet 2010, il avait menacé de réduire ses activités si le ministre de la Santé Yves Bolduc ne lui octroyait pas immédiatement un million de dollars. Le ministre avait obtempéré dans les 24 heures. Puis, le gouvernement a compris comment l’initiative du Dr Julien pouvait s’inscrire dans son plan de privatisation des services publics.


En 2015, le gouvernement Couillard a accepté de verser 22 millions $ à sa Fondation pour les quatre années suivantes afin de permettre le développement de son réseau dans l’ensemble du Québec. En 2018, Québec a annoncé le versement d’une somme supplémentaire de 23 millions d’ici 2023 pour l’implantation et le développement de 42 centres de pédiatrie sociale. Le ministre des Finances, Carlos Leitao, a même laissé miroiter une contribution pouvant atteindre 60 millions $.


Plutôt que d’intégrer les activités du Dr Julien dans le réseau public des CLSC, nous sommes devant un réseau privé, financé par des fonds publics et la charité privée (Guignolée des médias et différentes fondations) et géré par un conseil d’administration sur lequel nous retrouvons des représentants de la Banque de Montréal, KPMG, Walter Capital Partners et Telus !


Après avoir reçu sa subvention, le Dr Julien s’était empressé de pavoiser et de renvoyer l’ascenseur. Dans une entrevue au journal La Presse (25 juin 2015), il se vantait d’avoir échappé aux mesures d’austérité budgétaire (« J’ai été le seul gagnant du dernier budget ! ») et endossait la suppression décrétée par le gouvernement des petits déjeuners dans les écoles des milieux défavorisés (« Est-ce à l’État de nourrir les enfants à l’école? »). Il s’en était également pris aux CPE, qu’il avait qualifiés d’« éléphants blancs », avant d’être rappelé à l’ordre par… Camil Bouchard !


Au Québec, nous avons déjà un réseau scolaire à trois vitesses, avec les écoles privées (financées à 75% à même des fonds publics), les projets particuliers sélectifs dans les écoles publiques et les classes ordinaires. Il serait particulièrement mal venu d’ouvrir la porte à l’établissement d’un quatrième réseau, avec des écoles à charte.