Il y a vraiment du délire dans la manière dont on a réagi à gauche et à droite à l’utilisation de la « clause nonobstant » par le gouvernement Legault dans le projet de loi sur la laïcité de l’État (PL 21).
Des adversaires de cette loi ont carrément parlé de « suspension des droits » sur un ton grave, comme si le gouvernement venait de proposer une loi des mesures de guerre où aucun droit n’est plus reconnu.
Ça vous rappelle quelque chose ? (Permettez une parenthèse : en 1970, Pierre Elliott Trudeau a adopté ce type de loi matraque afin de mâter le FLQ, arrêtant près de 500 personnes sans mandat, lesquelles sont restées emprisonnées pendant des semaines, voire des mois. On attend d’ailleurs toujours les excuses du champion de la contrition, Justin, le fils.)
Or, non, la disposition de dérogation n’est pas vraiment ce type de « suspension des droits ». Et elle n’a pas été conçue comme ça non plus.
Chrétien l’a dit
Encore récemment, comme le rappelait ma collègue chroniqueuse Josée Legault, l’ancien premier ministre Jean Chrétien, un des principaux artisans du coup de force constitutionnel de 1982, rappelait ceci : « J’y étais favorable [à la clause dérogatoire] parce que je pensais qu’on en avait besoin. On ne peut pas se reposer uniquement sur les tribunaux. [...] C’est pourquoi je suis heureux qu’on ait une clause dérogatoire. Lorsqu’ils les écrivent, les juges savent que les gouvernements peuvent refuser un de leurs jugements. »
Citation très riche. Elle rappelle un élément crucial de notre régime politique : la souveraineté du Parlement.
Avant l’avènement des chartes, c’est le Parlement, grâce au jeu politique entre le gouvernement et les oppositions, qui avait pour responsabilité de protéger les droits, les garantir, les définir.
L’adoption des chartes a donné une responsabilité gigantesque aux tribunaux. Un juge en chef, Antonio Lamer, a déjà dit que c’était l’équivalent, dans le système politico-
juridique au Canada, de la découverte de Pasteur en science.
La « clause dérogatoire » visait au fond à rendre possible un dialogue entre le Parlement et les tribunaux sur la définition des droits ; sur ce qu’ils doivent signifier dans la réalité de tous les jours.
Liberté d’expression
Par exemple, tout le monde est d’accord avec le principe de la liberté d’expression. Mais en 1988, des avocats ont convaincu les juges de la Cour suprême que l’affichage unilingue français au Québec, imposé par la loi 101, contrevenait à cette garantie.
Le gouvernement Bourassa a refusé cette interprétation, a maintenu l’unilinguisme grâce à la fameuse « clause dérogatoire ». Il a alors perdu trois ministres qui démissionnèrent avec fracas. Clifford Lincoln, en démissionnant, martela « rights are rights are rights », comme s’il était une sorte de Martin Luther King.
Pierre Bourgault fit remarquer à l’époque que la liberté d’expression, ce n’était pas de pouvoir écrire « flower » sur son magasin, mais d’être en mesure de critiquer le pouvoir.
À une conception contestable de ce droit, défendue par l’institution fédérale qu’est la Cour suprême, le gouvernement Bourassa était tout à fait justifié d’adopter une loi qui dérogeait à cette interprétation ; une dérogation qui devait être reconduite dans cinq ans et qui ne le fut pas. Un compromis a été adopté.
Aucun droit n’est absolu. Et il y en a plusieurs interprétations. La notion de liberté religieuse, aux yeux du gouvernement Legault, ne comprend pas, pour certains agents de l’État, le droit de porter des signes religieux.
Voilà en substance ce qu’il nous dit dans le PL 21. Une fois adoptée, pendant cinq ans elle aura effet « indépendamment » de certains articles des chartes.
La liberté de religion n’est pas anéantie. Les croyants ne seront pas persécutés par l’État. Le gouvernement de la nation québécoise, reconnue comme telle par le Parlement du Canada, utilise son droit de déroger aux interprétations passées de la liberté de religion de la Cour suprême.
Arrêtons de délirer.
La citation de la semaine
« Il faut être capable de ne pas avoir de dérapage [...], de ne pas être arrogant [...], créer le moins de division possible. »
– François Legault, premier ministre, lançant un appel au calme au sujet de la laïcité
Le carnet de la semaine
Cochon ou chat ?
Plusieurs se sont posé la question mercredi lorsque le libéral André Fortin a lancé en chambre : « La ministre se rend-elle compte que ce qu’elle a fait, c’est acheter un cochon dans un sac ? » M. Fortin raffole de l’expression : il l’avait déjà utilisée le 28 mai 2014. Jean Lapierre, pour qui Fortin a travaillé, l’avait popularisée en 2004. Selon le site Expressio.fr cependant, c’est une traduction de « To buy a pig in a poke ». En français, on dit « acheter — ou vendre — chat en poche », c’est-à-dire sans voir la marchandise.
Lafrenière à visage humain
L’ancien policier et maintenant député de la CAQ Ian Lafrenière a, lors d’une interpellation sur les relations internationales, déclaré : « Le Québec prône une solidarité à visage humain, un esprit de proximité, d’humanité et d’ouverture ». On connaissait depuis 1968 le « socialisme à visage humain » grâce au Tchèque Alexander Dubček. Cela impliquait que les autres socialismes, à Moscou ou Pékin, avaient quelque chose d’inhumain. Quant à la solidarité, n’est-elle pas toujours « humaine » ?
QS promet un « barrage »
Mardi, j’ai sursauté lorsque ce titre est apparu sur ma télé, sous Manon Massé de QS en point de presse. Rapidement, j’ai compris qu’il était question d’un « barrage parlementaire » que le petit parti déploierait si le gouvernement Legault ne se donnait pas un plan climatique crédible. Ce qui a fait sourire dans les rangs des autres partis. On m’a informé qu’en temps et lieu, on rappellerait entre autres que l’ex-candidate QS dans Rimouski, Carol-Ann Kack, plaidait pour le prolongement de l’autoroute 20 et que ce serait toujours la position de l’association QS locale.