La démocratie passive, muette et insignifiante

Revivrons-nous au Québec les travers des récentes élections fédérales ?

IDÉES - la polis


La démocratie est un régime politique qui valorise la parole de ceux qui
veulent changer les choses. Elle présuppose que les élus doivent rendre des
comptes et que les citoyens soient assez attentifs au bien commun pour
sanctionner les politiciens qui trompent son idéal. Perfectible, elle se
renforce par la responsabilisation, le respect des élus et des citoyens, et
un intérêt marqué pour les affaires publiques. Mentir, plagier une
allocution ou salir les adversaires par des publicités négatives mène à
l’impolitique. Quand on examine le résultat des récentes élections à l’aune
de ces facteurs, on peut s’interroger sur notre démocratie. Est-ce que la
campagne qui s’annonce au Québec, débutant par le maraudage, les cas de
transfuges et les mensonges utiles, reproduira les symptômes des dernières
élections fédérales ? Un regard critique sur notre dernière expérience
électorale devrait permettre de dénoncer les insignifiances d’une
démocratie sans grande légitimité.
Les mauvais souvenirs d’une campagne insignifiante
Lors de la campagne fédérale, nous avons pu observer un net recul du taux
de participation. Comment expliquer cette désaffection ? Certains citoyens,
surtout les jeunes, ne s’intéressent à la politique qu’à distance.
Plusieurs d’entre eux vivent leur vie dans le virtuel et semblent se dire
qu’il est préférable de suivre la campagne par Internet, via les blogues
par exemple. Cette distanciation peut avoir pour effet pervers de les
garder à la maison le jour du scrutin. Ce nouveau phénomène, on le
comprendra, a de quoi inquiéter les politiciens qui donnent leur vie à la
politique réelle, qui veulent faire sortir le vote sur le terrain et qui
investissent la démocratie.
Il se peut également que nos élus contribuent eux-mêmes à alimenter le
cynisme de l’électorat. Les citoyens ne sont plus dupes de la mise en scène
qui préside à l’élection des candidats. Ils ont vu que certains élus ou non
élus confondaient privilège et responsabilité, qu’ils faisaient passer leur
ambition personnelle avant leur mandat et que les médias participaient
directement à l’élection. C’est pourquoi ils hésitent à leur confier un
mandat majoritaire. La réélection d’un gouvernement minoritaire à Ottawa,
il y en a un à Québec, témoigne d’une plus forte exigence de reddition des
comptes et représente un défi supplémentaire pour notre démocratie.
Mais force est aussi de constater que l’élection d’un gouvernement
minoritaire rend difficile la représentation des villes et des régions. On
se demande, par exemple, qui représentera le Québec chez les conservateurs
? Pourra-t-on d’ailleurs trouver un responsable crédible pour Montréal ?
Poser ces questions revient à critiquer un modèle qui semble fonctionner au
ralenti. Non pas parce qu’il est inacceptable ou que le vote proportionnel
serait une panacée, mais parce qu’il crée l’insatisfaction et la
désaffection. Réalisée au coût de plusieurs millions de dollars, la
dernière élection n’a pas donné les résultats escomptés : elle a laissé un
goût si amer dans la population que les Québécois dépriment à la seule idée
de retourner aux urnes.
Pour les citoyens les plus sensibles, il se peut que l’un des revers du
modèle actuel soit que les politiciens font trop appel aux techniques de
mise en marché et, surtout, aux focus groups pour faire passer leur
message. Cette façon de réduire la politique aux chiffres met en péril
l’idéal démocratique, car elle crée un amalgame entre choix politique et
choix de consommation. Les choix politiques, pourtant, ne doivent pas
exprimer une préférence ou la justification d’un style de vie, mais le
moyen de réaliser un idéal commun.
Enfin l’engouement suscité par le débat des chefs montre, a contrario, que
les citoyens demeurent avides de contenu. La polémique entourant la
présence de Elisabeth May n’a pas favorisé l’idéal démocratique.
D’ailleurs, que dire du fait que cette nouvelle invitée soit incapable de
s’exprimer dans la langue du quart des Canadiens ? Le débat, malgré sa
nouvelle formule, n’a pas réussi à sauver une campagne terne et
insignifiante, à tel point que les Canadiens ont préféré regarder le
long-métrage politique qui se déroulait au sud de leur frontière entre
McCain et Obama. Quand on fait ce triste constat, il ne reste plus qu’à se
demander s’il est encore possible d’innover afin de sauver l’esprit
démocratique à l’aube d’une nouvelle élection.
Comment assurer le choc des idées ?
Si c’est la parole qui assure le pouvoir, celui du Québec est peut-être en
péril. Dans nos débats traditionnels figés, contrôlés par le consortium des
télédiffuseurs, la parole se perd derrière l’image projetée par les
médias-informateurs et le politicien ne rejoint plus personne. Est-il
encore possible d’améliorer la formule du débat des chefs afin de la rendre
plus conforme à l’idée démocratique ? Une nouvelle formule, testée au
fédéral, a eu le mérite de contraindre les politiciens à s’écouter
davantage. Un pas dans la bonne direction serait fait si, désormais, on
écoutait la population. Dans cette optique, n'est-il pas possible de
revoir le débat des chefs ? Voyons voir…
Une nouvelle formule-débat plus participative
Il importe d’assurer d’abord la présence des principaux chefs de partis,
non pas trois, mais cinq ou six, afin de bien représenter les tendances et
forces en présence. Il n’est pas impossible, on le sait, de parler entouré
de cinq personnes, il faut simplement savoir comment faire.
Il serait aussi souhaitable d’organiser ce débat devant public. Ainsi,
pourrions-nous sentir le public réagir au discours et répondre aux
politiciens. Dans ce contexte, il serait plus facile de voir la rhétorique,
la gardienne de la démocratie, à l’œuvre mais aussi la participation
citoyenne. Mais pour éviter un public trop favorable à l’un des chefs, la
sagesse veut que l’on tire au sort, on le faisait déjà en Grèce, les
membres du public qui assisteront au débat. Un modérateur, qualifié mais
non choisi par les chefs, assurerait le respect des règles (ordre, temps de
parole, etc.).
Le mieux, enfin, est peut-être de laisser les chefs préparer un discours
d’ouverture et de leur proposer des discussions libres sur des grands
thèmes afin de voir comment ils se comporteront face aux autres chefs, mais
aussi face à la foule. Le meilleur chef, ce ne sera pas le plus beau, le
plus riche ou le plus préparé, mais ce sera celui ou celle qui, au moment
opportun, réussira à convaincre la foule aux moyens de ses mots et de ses
gestes. En ce sens, le débat opposant Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy
durant la présidentielle française devrait nous inciter à revoir notre
formule et redonner à tous le goût du débat d’idées. Car pour gagner le
pouvoir en démocratie, il faut faire entendre son programme à ses
électeurs. Si nous désirons mieux comprendre et accepter les limites mêmes
de notre régime politique, nous devons nous poser aujourd’hui la question
suivante : à quand donc un vrai débat des chefs devant public qui
renouerait avec les citoyens et serait aussi intéressant à écouter qu’à
regarder ?
Dominic DESROCHES
Martin PROVENCHER
Les auteurs sont professeurs aux Collèges Ahuntsic et Rosemont
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Dominic Desroches115 articles

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 novembre 2008

    Bonjours M.Desroche et Provencher.
    Le fait de faire voter les québécois le 8 décembre, qui sont contre à %70, nous montre que Jean Charest tente justement de se jouer de la démocratie d'une façon scandaleuse. Vincent Marissal de la Presse soutient que la faible taux de participation aidera les libéraux, c'est tout dire que Gesca favorise cette élection à la limite de la fraude électorale. Profiter du bon rendement du Club de hockey Canadien, cacher le déficit de la Caisse de dépôt, la période des fêtes et des party de bureau, le temps froid refroidit les ardeurs des protestataires sur les routes, ect... Une tempête de neige la journée des élections serait inestimable pour la clique de Paul Desmarais où seuls les Montréalais du West-Island iraient voter nous rapprocheraient plus du Zimbabwe électoralement parlant que des Territoires du Nord-ouest.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 novembre 2008

    Je répondrai rapidement aux premiers commentaires en mon nom personnel seulement.

    Un des problèmes majeurs de la démocratie, c'est qu'il ne revient pas à l'État de forcer la participation citoyenne, mais plutôt aux citoyens eux-mêmes de s'impliquer et de concrétiser les idéaux démocratiques. Autrement dit, le régime démocratique présuppose que l'on se déplace pour lui, on peut même octroyer le misthos (rétribution financière) le cas échéant. Rien ne dit qu'il doive se déplacer pour vous...
    Une précision juste à mon sens : il faut plus d'émissions (si la télévision est un pasage obligé) de candidats et moins d'anciens politiciens qui entendent décider, sans s'en rendre compte, pour la population.
    La démocratie n'est pas séparable de l'éthique. Les intellectuels doivent se pencher sur les limites d'une démocratie en crise. Être spectateur de la vie politique, ce n'est pas écrire un article de 1100 mots, avec un collègue, à son sujet.
    Concernant le commentaire de Simon Couillard, que dire ? Il parle de lui-même, encore. Ne trouvant pas la signification du texte, il risque fort de manquer de pertinence. Vu la hauteur du propos, son développement et son style, peut-être mérite-t-il un sympathique argument analogique indirect : on pourrait demander si Simon Couillard n'est pas parent avec Julie...

  • Simon Couillard Répondre

    31 octobre 2008

    une réflexion tiède, objective et formaliste sur nos procédés délibératifs et la participation citoyenne. Encore.
    L'intellectuel-éthicien comme spectateur objectif de notre vie politique : il en manquait justement...
    Bonne chance avec ça. C'est très chic. Souhaitons que votre voix ne demeure pas imperceptible, vue la cacophonie ambiante et la réalité implacable du pouvoir.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    31 octobre 2008

    N'est-ce pas, Monsieur D.D., que L.P. touche quelque chose? S'inspirer de la fexibilité électorale aux É.U. ?
    On nous apprend, ces jours-ci, que nos voisins peuvent voter un peu partout, incluant dans les pharmacies, près des gichets automatiques, etc... (genre casinos omniprésents...)
    De tels accommodements pour étudiants peuvent-ils se faire aussi rapidement que ceux pour les femmes en tchador ?...

  • Archives de Vigile Répondre

    31 octobre 2008

    Vos idées pour une démocratie active sont très intéressantes et méritent d'être étudiées pour réalisation future. Que pensez- vous d'autres suggestions comme celle-ci?
    On fait tant avec des boîtes de scrutin mobiles au besoin pour aider les aînés à voter, ne pourrait-on pas faire la même chose pour les jeunes aux études par exemple avec des boîtes qui passeraient de polyvalentes en cegep et à l'université pour favoriser le vote des secondaires 5 et plus après un cours général sur le sens de la démocratie et les programmes des divers partis.
    Il faudrait que les candidats puissent tous passer à la télé dans leur région deux ou trois fois et non pas seulement les chefs et les porte-paroles officiels afin que les électeurs puissent les juger. Moins d'émissions des EX et plus d'émissions des CANDIDATS. Le débat des chefs, une heure, suffirait.
    Qu'en pensez-vous? Avec l'informatique on peut tout structurer aujourd'hui?

  • Archives de Vigile Répondre

    31 octobre 2008

    Je suis tout à fait d'accord avec votre propos. Mais les choses étant ce qu'elles sont, je ne pense pas que nous puissions avoir beaucoup d'influence pour apporter des changements à la formule actuelle parce qu'elle fait la fortune de ceux qui l'organisent.