Si Stephen Harper avait été au pouvoir en 1997, il n’aurait sans doute pas nommé le juge Michel Bastarache à la Cour suprême du Canada. À l’époque, le Parti réformiste et le Bloc québécois avaient protesté contre le choix du premier ministre, Jean Chrétien, notamment parce que l’avocat Bastarache avait fait campagne pour l’adoption de l’accord constitutionnel de Charlottetown lors du référendum fédéral de 1992.
Avant de joindre les rangs de la magistrature, au milieu des années 1990, Michel Bastarache avait longtemps milité pour l’expansion des droits linguistiques de la minorité acadienne. C’est une cause qui a toujours touché une corde sensible chez Jean Chrétien. L’idée d’installer un de ses plus ardents défenseurs au plus haut tribunal du pays a indubitablement contribué à faire pencher la balance en faveur de la nomination du juge Bastarache.Onze ans plus tard, le départ à la retraite du même juge a suscité de nouveaux débats. La représentation régionale est un élément fondamental de la composition de la Cour suprême. Le juge Bastarache venait du Nouveau-Brunswick. En toute logique, son successeur allait presque certainement être choisi parmi les juristes de l’une des trois autres provinces de l’Atlantique.
Depuis son entrée dans la Confédération, Terre-Neuve-et-Labrador n’a jamais été représentée à la Cour suprême. Dans les milieux juridiques terre-neuviens, beaucoup estimaient que l’ancien premier ministre Clyde Wells était tout désigné pour ouvrir la voie. Après s’être retiré de la politique, en 1996, Clyde Wells avait renoué avec le droit. Au moment du choix du remplaçant de Michel Bastarache, à l’automne 2008, il était le juge en chef de sa province et un candidat logique pour la Cour suprême.
Mais on imagine mal que l’idée d’installer l’ex-politicien provincial le plus identifié au torpillage de Meech aurait passé la rampe au Québec ou encore dans la mouvance de Brian Mulroney au sein du Parti conservateur fédéral. Toujours est-il que si le nom de Clyde Wells a été proposé par ses pairs juristes, le gouvernement Harper ne l’a pas retenu.
D’ailleurs, au même moment, un concert de voix s’est élevé pour faire valoir que le successeur d’un juge aussi lié à la dualité linguistique canadienne que Michel Bastarache devait être bilingue. À la Chambre des communes, les trois partis d’opposition se sont entendus pour dire que l’atteinte d’un certain niveau de bilinguisme devrait être une exigence incontournable pour accéder à la Cour suprême.
Un projet de loi privé, piloté par le député néo-démocrate acadien Yvon Godin, a résulté de ce débat. Il est actuellement à l’étude au Sénat. Mais il n’a pas l’appui du gouvernement conservateur. Sans se rendre aux arguments de l’opposition, le premier ministre Harper a néanmoins choisi un candidat bilingue, le juge Thomas Cromwell, de la Nouvelle-Écosse, pour succéder à Michel Bastarache.
Tout cela pour dire que la nomination d’un juge à la Cour suprême ne tient pas strictement à l’éclat du parcours juridique du candidat. Les premiers ministres fédéraux n’ont pas hésité à choisir des juges, à compétences égales, en fonction d’objectifs qui collaient à leur vision sociale ou politique.
Ainsi, la nomination de Bertha Wilson, première femme à accéder à la magistrature de la Cour suprême, en 1982, n’a pas été le fruit d’un jeu de roulette juridique, mais plutôt un geste délibéré, fait par Pierre Trudeau. Une vingtaine d’années plus tard, Jean Chrétien a martelé le même clou en désignant Beverley McLachlin comme première femme juge en chef du plus haut tribunal du pays.
Au cours de son second mandat, l’ancien premier ministre libéral a confié la question, délicate, du droit à la sécession du Québec à la Cour suprême. Pendant la même période, il a beaucoup francisé la Cour en privilégiant les candidatures bilingues. On peut croire qu’un des objectifs de cette approche a consisté à vouloir consolider la légitimité de la Cour suprême au Québec à un moment névralgique de son histoire.
À Ottawa, la nomination d’un juge au plus haut tribunal du pays demeure un des gestes les plus politiques que puisse accomplir un premier ministre. Ce dernier est d’ailleurs traditionnellement considéré comme l’architecte en chef de la Cour suprême. Il serait surprenant que le juge Bastarache — dont les convictions n’ont pas été étrangères à son ascension sur la scène juridique — conclue, au terme des travaux de sa commission sur le processus d’accession à la magistrature du Québec, que le choix de futurs juges québécois devrait relever de la seule inspiration de fonctionnaires anonymes.
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