Le ministre Gaétan Barrette est peut-être le politicien québécois qui ressemble le plus à Stephen Harper. Comme l’ancien premier ministre du Canada, il passe de la parole aux actes sans broncher alors qu’il écrase un après l’autre les contrepoids du parlementarisme, de l’administration publique et même de la science. Ils en retirent une grande popularité parce qu’ils maîtrisent l’art des communications, mais au passage, ils brisent un à un les attributs de la démocratie parlementaire.
La semaine dernière, Gaétan Barrette est monté sur un nouveau cheval de bataille. Pour la troisième fois, il lance une grande transformation du réseau de la santé et des services sociaux. La charge est considérable: M. Barrette propose cette fois de transformer la manière dont nous finançons nos hôpitaux. C’est ce qu’il nomme « financement axé sur le patient » ou « financement à l’activité (FPA) ».
Dit comme ça, ça semble tout gentil. On dirait presque que ça va de soi. On se demande même pourquoi le financement n’est-il pas depuis longtemps « axé sur le patient » ?
La guerre, c’est la paix
C’est que notre ministre de la Santé et des Services sociaux est une bête de communications. Il sait bien qu’il serait maladroit de présenter la réforme pour ce qu’elle est : une mise en concurrence des hôpitaux. M. Barrette le nie. Poudre aux yeux.
La transformation du financement à l’activité est plus profonde encore que celles, déjà majeures, qui ont été lancées avec l’adoption des PL-10 et PL-20.
Et comme s’il trouvait que le défi n’était pas à la hauteur de sa personne, le ministre Barrette a fait d’une pierre deux coups en annonçant non seulement un nouveau mode de budgétisation mais qu’en plus son projet pilote reposerait sur la contribution de trois cliniques privées, dont Rockland MD, une vieille connaissance.
En conférence de presse, le ministre Barrette a cherché à esquiver les accusations de privatisation. Il même poussé l’audace jusqu’à affirmer qu’en finançant des cliniques privées, il les transformait pour ainsi dire en établissements publics ! Cet homme ne connaît aucune limite. La guerre, c’est la paix.
Gaétan Barrette a déclaré :
« La concurrence dans le réseau public est impossible. La concurrence est une notion d'entreprise privée, de marché. Et la concurrence se mesure à deux éléments : le premier, la part de marché — dans le réseau public, il n'y a pas de part de marché à gagner, c'est un quasi-monopole — et évidemment le profit. Il n'y a pas de profit dans le réseau public, ça n'existe pas. »
Avec le financement à l’activité, les établissements doivent attirer des patients (comme si c’était des clients) et obtenir ainsi l’argent qui vient avec. Il n’y pas de profit dans le financement à l’activité mais c’est en reproduisant la logique de la profitabilité qu’on espère rendre les hôpitaux plus efficace. Alors que l’on cherche à améliorer depuis des années la collaboration dans le réseau de la santé, c’est à l’inverse la foi dans la logique de marché qui motive l’introduction du financement à l’activité dans les systèmes de santé.
De fait – correction – le financement à l’activité à la sauce Barrette prévoit bel et bien du profit, dans un premier temps, alors que les médecins qui possèdent les trois cliniques privées choisies pour développer le nouveau mode de budgétisation pourront bénéficier de marges de profit de 10%... ! Non, vraiment, cet homme ne connaît aucune limite.
Rappelle-toi Monique
Il y a tout plein d’effets pervers qui viennent avec l’adoption du financement à l’activité pour des établissements de santé. C’est pourquoi nous avons déjà recommandé d’adopter un principe de précaution à cet effet. En l’absence d’une démonstration scientifique des apports du FPA, le seul choix responsable est de s’abstenir.
Nous aurons largement l’occasion d’y revenir dans les prochaines semaines. Pour cette entrée en matière, terminons avec deux précisions sur la nature des changements proposés :
D’une part, contrairement aux propos de Gaétan Barrette, la concurrence est bel et bien possible dans un réseau public et s’il en doute, il n’a qu’à poser la question à Monique Jérôme-Forget qui a passé six ans dans le gouvernement libéral de Jean Charest, dont trois comme ministre des Finances. Mme Jérôme-Forget, une partisane des « marchés internes », prône depuis belle lurette l’introduction de la concurrence au sein des ministères et organismes de l’État. C’est d’ailleurs elle, alors au Conseil du Trésor, qui a commandé le rapport Castonguay de 2008 qui proposa le premier la mise en place du financement à l’activité au Québec.
D’autre part, la semaine dernière, Francine Pelletier écrivait une chronique fort pertinente sur les transformations du réseau de la santé et des services sociaux au Québec menées par le ministre Barrette. Mais elle a fait une erreur. Les changements en cours ne sont pas une « révolution » mais bien une « contre-révolution ». Ce à quoi Gaétan Barrette sera parvenu s’il complète son tour du chapeau, c’est tuer une fois pour toute l’esprit de la Révolution tranquille au cœur de l’un de ses plus grands héritages, un réseau de santé public et démocratique qui devait être contrôlé localement par les citoyen·ne·s et qui ne sera plus bientôt qu’une espèce de grande entreprise où les divisions se font la compétition entre elles.
Le Dr Gaétan Barrette ressortira-t-il de cette nouvelle offensive avec une couronne de lauriers voire même comme un successeur possible au Dr Philippe Couillard ? Rien n’est moins sûr puisque cette fois, la bouchée sera très grosse.
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