"La conquête des esprits" ou comment les Étatsuniens tentent de dominer le monde

Par Charles-Xavier Durand

17. Actualité archives 2007

Le dernier livre de Paul-Marie Coûteaux, « Être et parler français », a
de multiples mérites, entre autres celui de mentionner en référence
un ouvrage complètement ignoré dès sa parution et intitulé : « La
conquête des esprits ». Tel est l’objectif explicitement formulé par
Yves Eudes, dès 1982, du formidable appareil d’exportation culturel
étasunien, dirigé vers l’ensemble des pays du monde.
Révélant le rôle stratégique de l’arme culturelle dans l’affirmation d’une
volonté d’hégémonie planétaire, ce livre présente pour la première fois une
étude détaillée des divers organismes qui en sont l’instrument, de leurs
mécanismes et de leurs stratégies, infiniment plus discrets et méconnus
que ceux des appareils économiques et militaires.
On découvre ainsi comment l’apparition simultanée, dans de nombreux
pays, de certains thèmes de débats publics ou de modes intellectuelles ne
doit rien au hasard et beaucoup à l’action subtile et multiforme de l’US
International Communication Agency, des Peace Corps ou de la CIA...
Le barrage du silence imposé par les médias eut pour résultat que,
aujourd’hui, le livre d’Eudes demeure inconnu de ceux qui, pourtant,
bénéficieraient le plus de sa lecture. En France, cela comprend l’ensemble
du dispositif des SCAC (Services de coopération et d’action culturelle), les
acteurs de la francophonie institutionnelle ainsi que le ministère de la
culture. Toutefois, se limiter à une liste aussi restreinte serait méconnaître
le rôle profond de la culture sur l’éducation, l’économie et le potentiel
scientifique d’un pays.
J’ai pu commander ce livre, dans son édition originale aux pages jaunies,
de la librairie en ligne chapitre.com. A sa lecture, très vite, on se rend
compte que son auteur a bénéficié de l’aide puissante d’un informateur,
très certainement situé au centre du dispositif étasunien d’exportation
linguistique et culturelle. L’information fournie par Eudes est d’une telle
richesse et d’une telle précision qu’elle est impossible à réunir pour un
journaliste, se fût-il transformé en Sherlock Holmes pour la circonstance.
L’identité de cet informateur est bien entendu passée sous silence mais
son existence ne fait aucun doute.
Alors que les vertus de l’action culturelle et linguistique sont souvent
dénigrées et minimisées en France, l’inconscience et la
méconnaissance règnent à propos des moyens titanesques dont se
sont dotés les États-Unis dans ce secteur qui, pour des raisons
évidentes, ne reçoivent bien évidemment pas l’attention des médias.
La raison de fond de l’intérêt des États-Unis pour l’exportation culturelle,
Eudes écrit, est que la classe dominante étasunienne est habitée, au
moins depuis la Seconde Guerre mondiale, d’un projet cohérent et
explicite d’hégémonie planétaire. Or, les États-Unis savent pertinemment
que toute conquête durable suppose à terme l’obtention de l’allégeance
spontanée des populations ciblées ou, au moins, de ses élites locales. Le
meilleur moyen d’y parvenir a toujours été l’intégration, l’assimilation, c’està-
dire le transfert des valeurs, des principes, des modes de vie et des
formes d’expression des nouveaux maîtres vers les nouveaux sujets.
Même si elle n’est pas acquise dès la naissance, l’appartenance au
groupe fondée sur la pratique d’une culture et d’une langue communes fait
naître des liens intimes, irrationnels, intériorisés et infiniment plus fiables à
long terme que la coopération fondée sur l’intérêt économique ou sur
l’acceptation rationnelle de principes explicites de fonctionnement.
On comprend ainsi que l’effort de colonisation entrepris à diverses
époques par diverses puissances s’est appuyé sur le missionariat et la
diffusion de la religion qui l’accompagnait. La diffusion de l’Islam suit ou
précède de près la conquête arabe qui permet également la diffusion de
sa langue. Très vite, des pays comme la Syrie, ancienne province
romaine, deviennent effectivement arabes. Tout autant que la diffusion de
la religion, la diffusion de la langue est faite brutalement par les Espagnols
en Amérique latine qui, de plus, l’accélérèrent encore par un métissage
massif avec les populations autochtones. Les croyances religieuses, et
encore plus une langue commune, entraînent des convergences
importantes de conception qui sont la base des connivences recherchées
entre le peuple dominé et celui qui aspire à dominer.
L’exportation culturelle (dont la religion n’est qu’un des éléments) sous
toutes ses formes, apparaît dès lors comme un instrument à part entière
pour la conquête, le maintien et l’extension d’une hégémonie.
Toutefois, ce que l’Européen a, en général du mal à voir, c’est que,
pour les Étasuniens qui président à ce mouvement, il s’agit là
d’accomplir la destinée universelle de leur pays. Qu’il soit allemand,
français ou espagnol, l’Européen pense que cela serait contraire au
pragmatisme qu’il prête aisément à un peuple qu’il croit préoccupé
exclusivement par des questions économiques et commerciales. Il ne peut
donc prendre au sérieux une telle prétention et en nie généralement
l’existence. Pourtant, depuis le début du soulèvement pour l’indépendance
des treize colonies, les États-Unis ont un message à livrer à l’humanité
entière. C’est leur volonté mais c’est surtout leur droit et l’une des missions
les plus sacrées que leur a déléguée la Providence. L’exportation de la
culture et de l’idéologie du « Nouveau monde » est enracinée au plus
profond de ce que l’on pourrait appeler la « religion civile » des Étasuniens
qui, depuis deux siècles, assure la cohésion et la confiance en soi de ce
peuple. Elle constitue l’un des grands volets fondamentaux du
messianisme du pays. Les grands principes érigés en dogmes absolus par
les Pères fondateurs de la nation justifient et transcendent
l’interventionnisme étasunien dans le domaine idéologique plus encore
que dans les autres. C’est par excellence dans ce domaine où
l’intervention hors des frontières est expressément souhaitée et proclamée
officiellement comme juste et nécéssaire depuis la naissance des États-
Unis comme nation indépendante.
Comme Yves Eudes le souligne dans son livre, le lien profond entre
l’exportation culturelle et la pensée étasunienne est donc explicite et
permanent car, pour ses habitants, les États-Unis ne sont pas et ne
doivent pas devenir une nation comme les autres. Que ce soit avant la
victoire de 1783 comme jusqu’à notre époque, il n’est pas un homme
d’Etat étasunien, pas un penseur de ce pays qui n’insiste avec une
véhémence et une outrance extraordinaires sur la rupture absolue, le
recommencement de l’histoire que constitue la sécession avec
l’Angleterre. Allant jusqu’à nier l’héritage biologique et culturel légué par
l’ancienne métropole, tous proclament que les États-Unis sont une entité
unique et incomparable doté d’institutions parfaites et éternelles. Les
exagérations et les outrances que l’on note régulièrement dans les
discours des divers présidents sur l’état de l’union (State of the Union
Address) ou dans d’autres occasions ne dénotent pas un phénomène
passager mais un démarquage résolu et perpétuel du pays par rapport à
tous les autres. Les Étasuniens se nomment eux-mêmes Américains,
comme s’ils incarnaient à eux-seuls toutes les réalités des parties nord et
sud du continent dont ils n’occupent pourtant pas plus qu’un cinquième, en
surface inférieure à celle du Canada et à peine plus importante que celle
du Brésil. Les Étasuniens ne sont pas fiers d’eux-mêmes au sens où les
Chinois le sont de leur civilisation plurimillénaire. Ils incarnent la Nouvelle
Jérusalem et sont le nouveau peuple élu de Dieu avec tout ce que cela
peut impliquer en droits auto-proclamés et auto-attribués d’intervention et
d’ingérence partout sur la planète. Beaucoup de Français et
d’Européens, même parmi les politiciens au plus haut niveau ne sont
absolument pas conscients de ces facteurs qui sous-tendent
pourtant la politique étrangère des États-Unis alors qu’il suffit de se
renseigner, d’observer et surtout d’écouter les discours de la classe
dirigeante de ce pays. Les composantes messianique et universaliste de
l’idéologie étasunienne sont totalement ignorées, ce qui a bien
évidemment pour résultat des erreurs d’appréciation colossales dans tous
les domaines. Les États-Unis aspirent à la direction spirituelle de la Terre,
et même des autres planètes du système solaire ou même de l’univers
tout entier, si c’était possible...
C’est donc dans ce cadre de références mentales que les maîtres de
la politique étrangère étasunienne ont reconnu, depuis au moins la
fin de la Seconde Guerre mondiale, l’importance stratégique
FONDAMENTALE des transferts culturels. Or, Yves Eudes écrit : « En
matière de communication comme en matière de guerre ou de finance, les
forces aveugles telles que les lois du marché ne sont pas les seules à régir
les différentes étapes de l’accession au rang de superpuissance. Une telle
entreprise suppose une volonté d’intervention délibérée et un système de
coordination au plus haut niveau. La conquête linguistique et culturelle
repose donc pour une bonne part sur l’intervention de l’Etat fédéral, auquel
un rôle essentiel a toujours été réservé dans le processus global
d’expansion internationale, quel que soit le secteur envisagé ».
Cependant, dans le cas de la conquête linguistique et culturelle, la logique
d’action est très éloignée de la logique marchande qui fait fonctionner le
reste du système, car elle n’obéit pas à la loi du profit, à moins qu’il ne
s’agisse d’un profit à très long terme, ce qui est bien évidemment le but
recherché.
Dans le tiers monde, un autre phénomène doit être pris en compte, c’est la
dépendance séculaire et délibérée des classes dominantes locales vis-à6
vis d’un centre externe de pouvoir et de créativité. Beaucoup d’États
actuels du tiers monde subissent depuis les origines de l’aventure
coloniale européenne un flux unilatéral et continu d’importation massive de
la culture occidentale. Se définissant dès leur naissance comme un
appendice des classes dominantes métropolitaines, les élites
« périphériques » sont toujours allées chercher, de manière systématique
hors de leur propre société, la quasi-totalité de leurs valeurs, de leurs
normes sociales, de leur pensée philosophique, scientifique, politique, et
même une grande partie de leur inspiration artistique et littéraire. Très
souvent, même les mouvements d’indépendance qui se sont érigés contre
les puissances coloniales ont été nourris par la pensée des intellectuels
métropolitains qui ne pouvaient accepter pour un quelconque peuple ce
qu’ils n’auraient jamais accepté pour eux-mêmes. L’assujettissement à
une puissance coloniale externe était beaucoup plus supportable par le
petit peuple, plié à un pouvoir autochtone souvent nettement plus dur, que
pour les élites habituées à penser selon des schémas occidentaux
incompatibles avec leur statut dans l’organisation coloniale.
Ainsi, lors du reflux de l’Europe, les États-Unis n’ont souvent eu qu’à
se glisser à la place des anciens maîtres sans avoir à lutter pour
s’imposer car les classes supérieures se sont lancées avec
volontarisme dans la pratique experte de la culture américaine. C’est
particulièrement vrai dans les anciennes colonies britanniques où les élites
locales n’ont pas eu à faire de réajustement linguistique.
Si l’existence du mécanisme d’exportation linguistique et culturel étasunien
est, à l’origine, motivé par un certain nombre de raisons idéologiques, il est
bien sûr aussi motivé par des raisons matérielles. Déjà, lorsqu’en 1981,
Yves Eudes rédigea son ouvrage, il écrivit : « Les États-Unis ne peuvent
plus se passer du reste du monde pour maintenir leur prospérité et même
l’existence de leur société dans sa forme actuelle et rien de concret
n’indique qu’ils se résolvent à établir avec l’extérieur des relations plus
équilibrées ». Vingt-cinq ans plus tard, cette dépendance des États-Unis
vis-à-vis du monde extérieur s’est considérablement accrue. Besoins en
matières premières telles que le pétrole, bien sûr, mais aussi besoins
massifs en produits manufacturés que l’économie du pays ne produit plus.
Cela toutefois n’est pas là le problème le plus crucial qui est celui d’une
croissance financée exclusivement par les dettes massives que le pays a
contractées, depuis 1971, et que les spécialistes s’accordent pour déclarer
qu’elles ne pourront jamais être remboursées. Ce système ne perdure
que parce qu’il se situe actuellement dans une logique impériale qui
a fait du dollar la devise de référence internationale et qui impose
cette monnaie pour la plupart des échanges commerciaux à grande
échelle. Dans une certaine mesure, le commerce mondial est devenu un
jeu dans lequel les États-Unis produisent des billets verts tandis que le
reste du monde produit des biens que le dollar peut acheter. Seul, le
maintien d’une hégémonie politique sur le reste de la planète peut retarder
l’éclatement d’un tel système qui surviendra forcément des déséquilibres
qu’il engendre. Ces déséquilibres engendrent à leur tour des ennemis qu’il
faut neutraliser ou mettre hors d’atteinte de perturber la logique impériale.
Or, la mise sous tutelle permanente de territoires, c’est-à-dire par la force
des armées, est une solution lourde, de moins en moins fiable, parfois
dangereuse et tout simplement désuette. Le micro-militarisme théâtral à
l’oeuvre en Afghanistan et surtout en Irak montre clairement ses limites
quand il s’exerce sur une population déterminée à chasser l’occupant et à
miner ses intérêts pour plus d’une génération à venir...
S’il faut, pour les États-Unis, maintenir l’empire à tout prix, il devient de
plus en plus nécessaire de masquer les véritables raisons derrière les
énergies qui sont déployées pour atteindre ce but tout en prenant des
mesures pour transférer les moyens de manipulation au niveau des
esprits. Le dispositif prévu à cet effet s’insère jusqu’à s’y fondre dans les
réseaux locaux de communication et d’enseignement. En confortant leur
hégémonie idéologique sur l’ensemble des couches aisées de
nombreuses nations, en s’ingérant dans le dispositif éducatif des nouvelles
générations, le but est bien sûr de développer une influence sur non
seulement les comportements mais aussi sur la production intellectuelle.
En INFLECHISSANT cette production intellectuelle générale, on peut ainsi
facilement éliminer d’une compétition indésirable d’éventuels prétendants
à la suprématie intellectuelle et, surtout, garder la main sur les aspects
tangibles de ce que la suprématie intellectuelle engendre en tant
qu’innovations d’utilisation pratique.
Bien entendu, c’est la pénétration initiale qui est la plus ardue et aléatoire,
Cependant, sauf exception dont l’Iran de 1979 constitue un bel exemple,
les progrès de la culture expansionniste rencontrent chaque jour une
résistance moindre, les cultures réceptrices devenant en principe de plus
en plus poreuses et malléables. Le même effort a donc un impact sans
cesse croissant.
L’INTERDÉPENDANCE COMME MYTHE
Les concepts intermédiaires qui sont mis en oeuvre sont variés et
complexes mais il en est deux qui dominent largement la production
contemporaine et qui sont d’ailleurs connexes.
La première de ces idées-forces, celle qui sert de cadre à toute
argumentation du néo-idéalisme conquérant, c’est l’interdépendance de
tous les peuples de la terre dans le monde contemporain. Ce concept
s’introduit partout et est amplement relayé par les journalistes et les
politiques. Désormais, tous les problèmes semblent n’avoir de solution que
si la planète entière s’y implique. Moins innocent qu’il n’y paraît, ce
concept rentre bien sûr en conflit avec celui d’Etat-nation, et justifie a priori
les ingérences extérieures. Vue sous cet angle, l’interdépendance est le
concept indispensable qui sert de support à une invasion culturelle et
linguistique extérieure.
D’autre part, une certaine forme de ce que l’on pourrait appeler
« l’internationalisme » a vite caractérisé l’élite étasunienne. Né en 1737, en
Angleterre, mais prenant part à la révolution, le philosophe Thomas Paine,
par exemple, déclara : « Sur quelque point de la Terre que ce soit, c’est ici
mon pays ! » La « souveraineté internationale » est dans la ligne du
parlement universel de Benjamin Franklin et la société internationale
intégralement interdépendante est dans le cadre des idées de Paine qui
exprime un désir autant qu’une volonté. Toutefois, il ne s’agit nullement de
prêter les mêmes sentiments aux citoyens de tous les pays mais bien pour
ceux qui se dénomment désormais « Américains » de pouvoir s’installer,
s’ils le désirent, partout sur la planète. Dans la même veine aujourd’hui,
le sénateur Inhofe et Steve King, membre du congrès1, déclarent
que : « sur les 6 000 langues de la planète, il y en a 5 999 de trop ! ».
Ce sentiment semble aujourd’hui partagé par une partie de « l’élite »
européenne, plus particulièrement française, qui fait des émules
parmi les universitaires et autres intellectuels et qui finissent par se
croire, eux-aussi, « citoyens du monde ». Cette utopie, qui vole bien
évidemment en éclats par l’observation, même superficielle, de la diversité
des peuples de la planète, révèle malgré tout une surprenante naïveté et
une ignorance difficilement excusables à une ère de communications
instantanées et de déplacements faciles. C’est à cela que l’on voit le poids
de l’idéologie et du conditionnement même s’ils sont totalement contredits
par l’expérience.
Dès les années 70, le développement énorme des télécommunications fut
planifié et mis en exergue pour justifier l’existence du village planétaire
global. La technique fut ainsi mise au service d’objectifs idéologiques
précis et fut dégagée de toute contingence politique, sociale et
économique, empiétant ainsi un peu plus sur les aspects les plus
pérennes de l’environnement humain. Le discours techniciste nous promet
l’émergence des talents et la mort des oligarchies et des ploutocraties, la
fin des particularismes déclencheurs de conflits, l’accès universel à la
connaissance. Il est à noter que ces promesses remontent bien avant
l’émergence d’Internet comme outil mis à la portée de tous. Cependant, la
technique a un centre géographique : ce sont les États-Unis. Les
perceptions communiquées par la presse dans le domaine de la
technique sont claires. La science et la technique parlent désormais
anglais et sa maîtrise est dès lors indispensable pour parler science et
technique. En France, alors que l’étude des langues étrangère était
facultative dans les années 60 pour les étudiants en science et les futurs
ingénieurs, celle de l’anglais fut imposée avec force dans la décennie 90-
2000 et à tel point que, maintenant, il est désormais impossible pour ces
mêmes étudiants de décrocher leur diplôme en cas de note insuffisante
aux tests d’anglais TOEFL ou TOEIC. Aussi brillant soit-il dans sa
discipline, le nul-en-anglais n’a aucune chance d’exercer le métier
d’ingénieur ou de pouvoir se lancer dans la recherche, quel que soit son
domaine et même si sa profession ne lui fait jamais quitter le sol national.
Tout cela concourt au maintien du mythe de la dépendance du monde vis-à-
vis des États-Unis en science et en technonologie. Les réussites
nationales ou celles des autres nations en la matière sont minimisées ou
passées sous silence. L’histoire des sciences est même quelquefois
partiellement réécrite au profit des contributions anglo-saxonnes, comme
je l’ai montré dans « La mise en place des monopoles du savoir2 ».
Le mythe du caractère indispensable et de la prééminence des techniques
une fois installé, il importe, par voie de conséquence, qu’aucune barrière à
caractère jugé rétrograde ne leur soit opposée. Il en est exactement de
même POUR CE QU’ELLES VEHICULENT. Il faut abattre tous les
obstacles passéistes et caducs dans ce nouvel espace de communication
globale, et encore plus particulièrement dans le cadre de la production
intellectuelle. Dans le but déclaré de détruire les barrières qui filtrent
et dissimulent l’information, les États-Unis insistent donc pour que
tous les États abolissent tout contrôle sur toute information reçue et
envoyée. Bien entendu, cette condition est sine qua non pour la
pénétration linguistique et culturelle étasunienne, ce que personne ne
s’empresse de souligner, bien évidemment. Il faut également tuer
l’idéologie du nationalisme qui associe le mérite d’une trouvaille
quelconque à un pays donné. C’est par l’effacement des cultures
nationales, obstacle à l’intégration heureuse de l’humanité, que le
consensus mondial pourra être réalisé grâce à la « technologie
américaine » utilisée à bon escient.
Sur une trentaine d’années va se mettre en place un nouveau système de
production scientifique, en France, mais aussi dans la plupart des autres
pays d’Europe occidentale. Avant ce réajustement, la production
scientifique, en France, est l’appanage de laboratoires spécialisés en
recherche appliquée et d’individus particuliers dans le cadre de la
recherche universitaire. Tout le monde qui est censé faire de la recherche
est loin d’être productif, ce qui fera d’ailleurs dire à de Gaulle que « des
chercheurs qui cherchent, on en trouve mais, des chercheurs qui trouvent,
on en cherche ! ». Toutefois, dans le système français, seules les
trouvailles significatives sont publiées. Jusqu’à la fin des années 70, les
universitaires français n’essayent pas de déguiser en nouveautés leurs
dernières cogitations. En Russie, dont la production scientifique est
considérable à cette époque, il n’est pas rare qu’un grand enseignantchercheur
universitaire ne publie qu’un article de valeur tous les quinze à
vingt ans ! Quiconque entreprend une bibliographie sérieuse sur un sujet
donné ne peut alors négliger les publications allemandes et russes.
En l’espace d’une trentaine d’années, ce système en vient à être
totalement remplacé par un autre dont la logique est sous-tendue par
l’installation de l’idéologie étasunienne en matière de recherche telle
qu’elle est destinée aux pays de la « périphérie ». Si la recherche
industrielle n’est pas trop affectée par ce changement, la recherche
publique va en être profondément modifiée. A l’université, la recherche
devient une activité essentiellement collective et le choix des sujets de
recherche n’est plus libre. Les chercheurs sont corsetés à l’intérieur
d’entités que l’on appelle « laboratoires » et qui doivent travailler sur un
thème prédéfini agréé par les experts du ministère de l’Éducation
nationale. La recherche de nature théorique n’est plus encouragée et
la communication des résultats doit se faire tout de suite et en
anglais. Le volume de publications que ce système engendre est tel que
les éléments de qualité deviennent rapidement invisibles car ils sont
totalement submergés par une médiocrité généralisée. Les publications ne
sont plus lues et l’évaluation se fait désormais sur la base de la prétendue
réputation des congrès et des revues dans lesquels les communications
ont été faites. Ce système fait la promotion des plus conformistes. Quant
aux chercheurs qui présentent le meilleur potentiel, ils ont soit changé
d’activité soit ils ont émigré aux États-Unis.
Ainsi, la substitution de critères endogènes pour conduire la
recherche publique par des critères définis aux États-Unis mais
destinés aux pays de la périphérie a-t-elle profondément infléchi la qualité
des résultats et affaibli le pays dans la mesure où les meilleurs éléments
potentiels se sont vues imposés un système aliénant qui les a privé de la
liberté indispensable à une recherche vraiment originale et qui a redirigé
les compétences réelles au profit des États-Unis. Cette modification
profonde des règles et cet alignement presque total sur ce que les
chercheurs croient être le modèle étasunien pour leur activité a entraîné
également un alignement sur les thèmes de recherche à la mode, ce qui a
eu pour effet de priver un peu plus la recherche publique française de
l’originalité qu’elle avait jadis.
UNE ÉLITE TRANSANATIONALE APATRIDE
Les idéologues étasuniens qui forment la base intellectuelle du formidable
appareil d’exportation linguistique et culturel insistent sur la nécéssaire
émergence d’une élite transanationale apatride, composée d’hommes
d’affaires, de savants, de spécialistes, d’experts en tous genres et de
hauts fonctionnaires, cosmopolites, parlant bien entendu l’anglais, qui
gèreraient en commun les intérêts de l’humanité dans un esprit d’où toute
rivalité serait bannie. Nous en avons déjà plus que des ébauches avec le
club de Davos, la Trilatérale et le Bilderberg. Bien entendu, il s’agit là de
renouer directement avec le schéma classique de l’organisation
impériale informelle où la FICTION DES SOUVERAINETES pouvait être
maintenue car les élites locales s’identifiaient au maximum avec les
classes supérieures de la métropole et entretenaient la dépendance de
leur pays en agissant comme une classe relais plutôt qu’une classe
dominante.
L’ÉTENDUE DE LA TÂCHE
Les stratèges étasusiens établissent l’action culturelle comme
principe fondamental de la politique étrangère. Ils veulent amener toute
la classe politique à la prise de conscience de l’importance de ce type
d’action. Selon Eudes, « l’Amérique doit etre sans cesse présente sur le
front international de l’idéologie, de l’information, de la culture ; elle doit y
déployer des offensives à la mesure de sa puissance et de ses objectifs ;
et surtout, elle doit vaincre ! Jamais l’Amérique ne sera le leader
incontesté du monde si elle ne parvient pas à conquérir l’esprit des
hommes, et à convaincre les nations étrangères du bien-fondé de
son entreprise. La victoire sur ce plan conditionne les victoires dans
tous les autres domaines. Les cultures qui façonneront le monde de
demain seront celles qui pourront projeter leur image, exercer une
influence prédominante et un contrôle à longue portée, selon un texte qui
émane d’un groupe de recherches de l’Ecole du Pentagone... Le texte
précise : Si nous voulons que nos valeurs et notre style de vie triomphent,
nous sommes forcés d’entrer en compétition avec d’autres cultures et
d’autres centres de pouvoir et, pour ce faire, l’Amérique devra imposer les
méthodes de ses entreprises, ses techniques bancaires et commerciales,
et aussi ses systèmes et ses concepts juridiques, sa philosophie politique,
sa façon de communiquer, ses idées sur la mobilité et même dans le
domaine de l’art... » On mesure ici l’ampleur des objectifs étasuniens,
cachés ailleurs sous les euphémismes officiels qui ambitionnent de
« raconter au monde l’histoire de l’Amérique ». Il est évident qu’une telle
véhémence est voisine de celle que la foi religieuse inspire et qui donne à
ses missionaires une extraordinaire énergie d’action.
LES ACTIONS PRIVILÉGIÉES
Elles se divisent essentiellement en trois groupes : les programmes
d’information, les échanges de personnes et l’aide, plus particulièrement
dans le tiers monde.
Les programmes d’information ont essentiellement pour but d’influencer
les attitudes publiques des autres nations. Ils sont directs ou indirects.
Comme l’a bien montré Jean-Michel Valantin dans son livre
intitulé : « Hollywood, le Pentagone et Washington3 », la production
cinématographique, les court-métrages, les séries et feuilletons télévisés
ont une importante fonction d’information et de formatage des esprits que
ce soit sur la scène intérieure ou à l’exportation. Il est particulièrement
important pour le monde extérieur d’identifier les États-Unis comme une
nation forte, démocratique, dynamique, loin devant les autres par ses
prouesses techniques, scientifiques et aussi militaires. Il faut convaincre le
monde extérieur que seuls les États-Unis sont qualifiés pour prendre la
direction de la plupart des organisations mondiales et internationales.
C’est ainsi que, dans le cinéma mais aussi ailleurs, le substrat réel de
l’information est souvent complété par le rêve éveillé qui s’y mêle dans un
enchevêtrement tel que la fiction est souvent prise pour la réalité. Même
des scientifiques sont souvent bluffés. C’est ainsi que des scientifiques
européens de renom en arrivent à craindre les recherches étasuniennes
sur les « trous noirs » qui, en pouvant aboutir à la création artificielle de
trous noirs, pourraient accidentalement aboutir à la destruction de l’univers
connu4. Des membres de la Commission européenne ont publiquement
mis en garde les instances de l’UE contre les conséquences du projet de
recherche HAARP allant jusqu’à prétendre que les États-Unis étaient sur
le point de créer l’arme absolue5. Beaucoup plus près des sources
d’information du citoyen moyen, les prétentions de la recherche
génomique et des nanotechnologies sont plus proches de la science fiction
que d’une réalité scientifique palpable6. Pourtant, ce sont ces images qui
représentent des distorsions considérables par rapport à la réalité qui sont
prises en compte et, en premier, par la fraction de la société que l’on
pourrait qualifier « d’élite ». De telles prétentions, qui défient pourtant le
bon sens, commun et scientifique, les plus élémentaires, montrent à quel
point ces élites ont été conditionnées pour accepter les élucubrations
étasuniennes les plus farfelues. A la réalité s’est substituée une « réalité
virtuelle » médiatisée par les Étasuniens et dont l’effet est d’inférioriser et
d’infantiliser les autres peuples en rehaussant les sciences et techniques
étasuniennes à un niveau qu’il est à jamais impossible d’égaler.
Les échanges de personnes, quant à eux, ont pour but d’attirer les
jeunes pour les former aux États-Unis. Il s’agit des apports culturels qui
doivent être réalisés par les États-Unis alors que les Étasuniens échangés
n’ont pas pour consigne d’apprendre mais souvent d’enseigner.
L’éducation primant sur tous les autres facteurs, elle permettra à la cible
de partager des valeurs et une approche communes qui faciliteront la
pénétration étasunienne et la réalisation de ses intérêts. Nehru et sa
famille furent menacés, brutalisés, emprisonnés, mais ils reçurent une
éducation britannique dans les universités anglaises. Malgré toutes ces
expériences, on ne pouvait trouver à leur époque, aux Indes, de meilleurs
amis de l’Angleterre et de ses institutions que Nehru et sa famille. Il s’est
formé entre eux et leurs colonisateurs une intimité et une connivence dont
ils ne peuvent plus se débarrasser. Dans la pratique toutefois, cela dépend
de la durée de la période éducative, du niveau des études entreprises, des
contacts établis. Les International visitor programs n’ont pas pour but
d’attirer n’importe qui mais uniquement ceux qui, une fois rentrés dans leur
pays, se verront confier des postes à responsabilités sérieuses. Des
bourses d’études sont également spontanément offertes aux enfants des
hauts fonctionnaires et ceux des organisations internationales avec
lesquelles les États-Unis doivent travailler. S’il peut être intéressant
d’attirer les jeunes talents et les chercheurs à haut potentiel vers les
laboratoires étasuniens, il est encore plus important de choyer et de former
ceux qui, dans l’avenir, auront un réel pouvoir de décision. C’est ainsi que
les International visitor programs et les scholarship programs
étasuniens sont beaucoup plus étroitement ciblés que ceux de la
Francophonie institutionnelle, souvent empêtrée dans des
considérations humanitaires et saupoudrant ses maigres fonds à travers
un éventail de programmes de qualité et d’utilité douteuses par souci
d’équité. Sur l’autre volet de l’échange, Brzezinski fait remarquer que les
jeunes Étasuniens qui vont faire leurs études à l’étranger enseignent
beaucoup plus qu’ils n’apprennent, qu’ils jouent un rôle très important de
propagateurs de la culture étasunienne. Le fait que l’enseignement des
langues étrangères soit globalement déficient aux États-Unis a pour
résultat que les étudiants étasuniens en séjour d’étude à l’étranger
privilégient l’usage de l’anglais avec leurs contacts qui acceptent
volontiers de se mettre ainsi en position d’infériorité dans leur propre
pays et de jouer le rôle de récepteur d’une culture extérieure dans le cadre
d’un échange asynétrique, sans contrepartie pour eux-mêmes ou le pays
qu’ils représentent. Les excès d’une telle mentalité sont dormais patents
quand, par exemple, on se rend compte qu’une fraction de ceux qui sont
censés diffuser la culture française à l’étranger croient désormais pouvoir
le faire plus efficacement en anglais ! Le nouvellement nommé ministère
des Affaires Bernard Kouchner ne signalait-il pas que l’anglais est « une
chance pour la Francophonie » ? Mais il n’a pas fallu attendre Bernard
Kouchner pour constater que la France finance à l’étranger des
institutions anglophones7 et des programmes de formation d’ingénieurs
d’excellence en anglais8 !
A travers les programmes d’échanges, les responsables étasuniens
dépassent les stratégies d’influence et de persuasion pour passer à un
vaste projet d’acculturation globale des futurs cadres des pays
ciblés. Dans le tiers monde, « l’aide » consiste en priorité à « l’éducation
et le développement des ressources humaines » en matière d’assistance.
Ce que le gouvernement fédéral veut donner au tiers monde, ce ne sont
pas d’abord les moyens matériels de mettre les pays en valeur, mais des
« connaissances », avec leur composante de simple propagande. C’est
ainsi que la promotion de la libre entreprise a grandement favorisé les
privatisations et le rachat d’un grand nombre de firmes, par les Étasuniens,
en Afrique, en Asie, en Amérique latine, mais aussi en Europe de l’est sitôt
annoncée la dissolution du pacte de Varsovie.
MAIN MISE SUR LES MOYENS DE COMMUNICATION DE MASSE
Profitant au maximum de son écrasante supériorité avant que les exbelligérants
de la Seconde Guerre Mondiale ne se relèvent de leurs ruines
et que le tiers monde n’accroisse son influence internationale, avec une
surprenante rapidité, les États-Unis ont forcé la mise en place des
conditions juridiques adaptées au déploiement sans entraves de tous
les aspects de la culture étasunienne. Le premier volet de l’activité
gouvernementale fut donc d’imposer à tous les alliés des accords
bilatéraux qui ouvrirent largement les frontières aux produits culturels les
plus divers en provenance des États-Unis, sans contrepartie, ce qui
sembla naturel à l’époque, compte tenu de l’inexistence ou de la cessation
d’activité des industries culturelles dans le reste du monde. Des accords
Blum-Byrnes à la diffusion du journal de Mickey en passant par le
renforcement considérable des agences de presse AP et UPI pour en faire
désormais des relais indispensables de la presse internationale, tout en
bloquant l’expansion des agences de presse des pays non agréés pour les
empêcher d’acquérir une stature semblable, comme la Chine.
Parallèlement, en Amérique latine, le quasi-monopole des agences
Reuters et Havas acquis avant guerre fut rapidement éliminé. En 1946, la
nouvelle loi Webbs-Pomere, permit aux industries culturelles étasuniennes
de constituer des cartels d’exportation en dépit du fait qu’ils étaient
totalement contraires à l’esprit des lois anti-trust. Ainsi fut créée la Motion
Picture Export Association of America (MPEAA), qui s’apparente à une
agence semi-gouvernementale, puisque sa direction fut toujours assurée
par un haut fonctionnaire de la Maison-Blanche. Les sociologues qui,
durant la guerre, avaient été chargés de préparer des opérations de
déstabilisation et de guerre psychologique, furent enrôlés au service de
l’Etat pour recentrer leurs activités sur l’accélération de l’influence acquise
par les États-Unis à l’étranger, par la diffusion culturelle et linguistique.
Bien entendu, tout cela ne fit l’objet d’aucune publicité et des moyens
détournés furent privilégiés pour atteindre les buts recherchés. En 1950 fut
créé l’ « International Broadcasting Institute », pur produit de la guerre
froide, qui déploya dans les années d’après-guerre une redoutable activité
pour une prétendue « liberté de la presse » visant à projeter l’influence
étasunienne là où elle n’était pas encore présente, et aussi en luttant
contre les gouvernements dont les orientations politiques étaient jugées
trop « nationalistes » selon Washington.
En outre, le gouvernement étasunien put se mettre en devoir d’exploiter
les grandes organisations internationales nouvellement créées dans
le but d’en faire des instruments de sa politique internationale
d’autant plus que, dans les années d’après-guerre, la participation
financière et organisationnelle des États-Unis était alors absolument
déterminante. Ce fut le cas à l’ONU, à l’OEA9 et à l’UNESCO, pendant
plus de vingt ans, transformant cette dernière organisation en une tribune
pour leur politique internationale, en permettant, en particulier à tous les
experts étasuniens des think tanks une libre circulation partout dans le
monde, leur permettant à loisir d’étudier les systèmes de communication
en place afin de mieux les subvertir par la suite pour le compte des États-
Unis.
LES ORGANISMES D’ORIGINE MILITAIRE
L’héritage militaire donna naissance à plusieurs organismes
impliqués dans la diffusion culturelle et linguistique. C’est en
Amérique latine que se firent les premières expérimentations car il fallait
lutter contre les puissants courants « anti-yankee » qui y sévissaient avant
la Seconde Guerre Mondiale. C’est ainsi que fut créée, en 1938, au sein
du département d’Etat, la Cultural Relation Division. La problématique de
cette division était de réagir aux situations politico-militaires préoccupantes
et de se définir face à deux ennemis désignés, le fascisme importé
d’Europe d’une part et, d’autre part, le nationalisme latino-américain.
L’activité de la division fut donc marquée dès l’origine par un esprit de
compétition effrénée et par la nécessité de travailler en milieu hostile. La
division s’insinua rapidement dans les opérations de divers programmes
non gouvernementaux préexistants, notamment ceux de l’Institute for
International Education qui travaillait déjà en Europe, en Amérique latine et
en Chine, et les réseaux d’écoles missionnaires10. L’offensive
idéologique avait pour but d’accompagner le déploiement de
l’appareil militaire qui commençait à s’organiser.
Le premier trésor de guerre apporté par la guerre aux Étasuniens fut
l’Amérique latine, brusquement coupée de ses sources traditionnelles
d’importation d’information et de culture. Dès 1940, le « bureau du
coordinateur des relations commerciales et culturelles entre les
républiques américaines » est érigé en agence fédérale autonome.
Rebaptisé rapidement « Office du coordinateur pour les affaires
interaméricaines » (CIAA), son premier souci est de rechercher et
d’obtenir, du département du trésor, une exemption de l’imposition des
revenus dépensés en publicités placées dans les médias de masse latinoaméricains
par toutes les sociétés étasuniennes acceptant de passer par
l’entremise de la CIAA. Représentant 40% de leurs revenus en moyenne,
la CIAA put ainsi faire pression sur ces médias de masse pour afficher des
contenus favorables aux intérêts étasuniens. Rapidement, les nouvelles
furent rédigés directement par les Étasuniens et directement transmises
aux rédactions des journaux et magazines sud-américains qui reçurent un
stock quotidien de nouvelles de 30 000 mots, représentant ainsi 75% de
toutes les informations arrivant du monde extérieur.
L’OSS, le nouveau service central de renseignements et l’OWI (Office of
War information) menèrent également d’innombrables campagnes de
propagande « noire », c’est-à-dire qui ne dévoile pas ses origines. Voice of
America (VOA), en fut l’une des ramifications.
Tous ces organismes furent mis sur pied grâce à la mobilisation de
milliers de journalistes, d’écrivains, d’artistes, d’universitaires,
d’hommes de la radio et du cinéma qui, au lieu d’être envoyés au front,
reçurent pour mission d’organiser à l’échelle mondiale la stratégie
culturelle et idéologique des États-Unis pour la durée de la guerre et après
puisque, une fois la paix revenue, cet immense appareil pouvait continuer
à être exploité pour les conquêtes économiques et politiques à venir.
Les deux grands vaincus de la guerre, l’Allemagne et le Japon, qui
restèrent plusieurs années sous la juridiction de l’armée, virent leurs
systèmes de communication et d’éducation entièrement refaçonnés par
l’occupant et cela jusqu’en 1949 pour la RFA, jusqu’en 1950 pour
l’Autriche et jusqu’en 1952 pour le Japon. La transformation de ces nations
ennemies en suiveurs dociles de la politique étrangère étasunienne, leur
alignement systématique sur les intérets étasuniens même encore
aujourd’hui, non seulement dans le domaine militaire mais aussi dans le
domaine monétaire (taux d’intérêt, modifications des masses monétaires,
rachat massif de dollars ou de bons du trésor, financement de guerres
extérieures, comme la première guerre du Golfe, par exemple), mise à
l’écart ou marginalisation des pays concurrents des États-Unis, prouvent
bien que les effets des actions entreprises ont été durables11. Le Japon
garde toujours une attitude incroyablement servile vis-à-vis des desiderata
étasuniens. C’est la raison pour laquelle les grandes compagnies de
transport aérien japonaises choisissent toujours Boeing au détriment
d’Airbus, dont les avions utilisent des techniques plus pointues et
entraînant des coûts d’exploitation moindres. C’est bien sûr aussi le cas
avec les marchés de matériels militaires où les États-Unis se taillent la part
du lion au sein de l’OTAN. Cependant, il est important de se rendre
compte qu’il ne s’agit pas, en général, de pressions grossières appliquées
en dernière minute pour infléchir les choix des clients mais que ces
derniers ont été véritablement conditionnés pour donner la préséance aux
Étasuniens qu’ils considèrent nécessairement à un niveau supérieur de
civilisation et de progrès en matière scientifico-technique.
A partir de 47, grâce au vote par le Congrès du Smith-Mundt Act, le
gouvernement fédéral put enrayer le démantèlement partiel attendu du
dispositif que la guerre avait aidé à créer par le regroupement de diverses
agences en créant la CIA, qui allait être sous la tutelle du département
d’État. En 51, le Psychological Strategy Board, une nouvelle dénomination
regroupant les unités de guerre psychologique fut rattaché directement au
Conseil national de sécurité. En 1953, la United States Information Agency
fut créée qui, elle aussi, ne dépendait plus que du Conseil national de
sécurité. Avec la USICA (United States International Communication
Agency) créée par l’administration Carter, existe un réseau dense
d’officines diverses dont la raison d’être est non seulement le
renseignement mais surtout la diffusion d’informations, vraies et
fausses, de façon à influencer les opinions à l’étranger, pour préparer
le terrain de l’hégémonie idéologique, politique et économique.
Cet immense appareil doit, pour justifier son existence sur la scène
nationale, s’inventer des ennemis, virtuels, s’il le faut, pour justifier ses
énormes budgets. Une fois l’Allemagne nazie et le Japon abattus, la
menace communiste remplace immédiatement l’ancien ennemi. L’Union
soviétique dissoute, on part à la recherche d’une menace terroriste,
émanant cette fois du monde musulman avec d’innombrables ramifications
dont la plus connue est sans doute Al Qaïda, dont les journalistes non
alignés, tels que Thierry Meyssan12, pensent qu’elle est une création
étasunienne pure et simple, une fiction à laquelle les innombrables
références faites par la presse internationale ont fini par créer une illusion
de réalité. Entre temps, les objectifs réels, sous jacents, n’ont bien
évidemment pas changés. Les innombrables actions ont été davantage
affinées et ciblées. Il s’agit plus que jamais d’atteindre et d’influencer les
« élites », les leaders d’opinion, les politiciens, les relais de transmission
de l’information, tels que les journalistes de haut niveau et les directeurs
éditoriaux, les cinéastes, les artistes, les professeurs (dont ceux d’anglais
bien sûr, qui reçoivent dans le dispositif une attention toute particulière) et
les représentants des organisations internationales. C’est ceux là qui
comptent. C’est le cas à la Commission européenne bien sûr et au
parlement européen de Strasbourg. Dans son dernier livre : « Les lobbies
à l’assaut de l’Europe13 », Bernard Lecherbonnier décrit le groupe
« kangourou », composé de députés européens qui, systématiquement et
souvent en rupture de la ligne des partis qu’ils représentent, votent en
faveur des intérêts étasuniens lorsque ces derniers peuvent être affectés
par le passage d’une nouvelle loi ou d’une nouvelle directive. Pour cela,
les cibles doivent plus que jamais intérioriser l’idéologie qu’on veut leur
transmettre. Leurs propres discours en seront donc imprégnés et, par le
biais de leur pratique professionnelle quotidienne, le message pourra en
définitive être retransmis à l’ensemble de la société sans frais ni efforts
pour les États-Unis, sous une forme plus ou moins hybride et diluée, mais
iinfiniment plus capable de pénétrer les couches sociales « inférieures »,
enracinées dans leur culture locale. Les produits et les recettes utilisées
sont de moins en moins identifiables. Il s’agit essentiellement de produits à
utilisation directe dans les médias de masse étrangers et, par conséquent,
dont la source n’est plus identifiable. Que l’on songe seulement aux
contenus des programmes diffusés par certaines chaînes de télévision
et de stations de radio ouest-européennes, principalement ciblées vers les
jeunes ou les jeunes cadres et on peut rapidement avoir une idée des
modes de manipulation qui ont été ainsi mis en oeuvre.
LES CRITIQUES
Bien entendu, le système étasunien de gouvernement n’est pas composé
que de manipulateurs d’opinion et de cyniques de la politique
internationale. Les moyens douteux pour conquérir de l’influence mis en
place par les États-Unis ne font pas l’unanimité. Diverses souscommissions
d’enquête, désignées par le Congrès, ont quelquefois
violemment attaqué l’approche du gouvernement. Les méthodes sont ainsi
dénoncées par ceux qui croient que les États-Unis sont responsables pour
la diffusion du bien et de la vérité. Pour eux, les États-Unis doivent montrer
l’exemple et leur déontologie doit être sans tache. Ils dénoncent les
méthodes de manipulation mis en place et les distorsions de perception
qui en résultent, « l’immoralité » et même le « caractère criminel » des
actions mises en oeuvre14. Ces enquêtes n’aboutirent jamais à changer
les choses mais à accélérer le transfert des opérations de manipulation
vers des institutions officiellement privées (ONG) à buts non lucratifs,
financées et dirigées en sous-main par le gouvernement fédéral.
Aujourd’hui, les frontières entre culture, information et éducation ont pour
l’essentiel disparu. En clair, les échanges d’étudiants, de professeurs et de
spécialistes, les manifestations artistiques, l’accueil des personnalités
étrangères, l’enseignement de l’anglais, et même la promotion du tourisme
aux États-Unis sont contrôlés et dirigés par l’appareil de propagande issu
des services d’espionnage et de l’arsenal psychologique de l’armée.
LES PRODUITS TÉLÉVISUELS TOUS USAGES
Parmi les innombrables officines et mécanismes mis en place par le
gouvernement fédéral décrits par Yves Eudes, l’IMV (motion Picture and
TV Service) mérite que l’on s’y attarde. L’IMV a la charge de produire, de
commander et surtout de sélectionner et d’adapter les produits
audiovisuels qui seront envoyés aux missions pour le placement dans les
circuits commerciaux des pays étrangers. Au moment où Yves Eudes
rédigeait son livre, l’IMV se tournait de plus en plus vers les Open ended
programs. Il s’agissait de films sans introduction ni conclusion ni
progression interne, qui pouvaient être insérés totalement ou partiellement
dans les émissions réalisées par les télévisions étrangères. Les buts de
propagande étaient généralement desservis de la manière suivante :
illustrations provenant des États-Unis, entretiens avec des personnalités et
des scientifiques étasuniens, sélection d’experts et de spécialistes choisis
par les États-Unis, le tout renforçant de manière directe ou indirecte la
propagande étasunienne et l’idéologie destinée aux « pays de la
périphérie », etc. Cela explique par exemple, à la télévision française,
la surreprésentation de références et d’informations étasuniennes ou
anglo-saxonnes dans tous les domaines. Il s’agit à la fois d’informer et
de fasciner en même temps, mais aussi d’évincer autant que possible
toute nouvelle pouvant remettre en cause la prééminence étasunienne.
C’est ainsi que tout lancement de la navette spatiale reçoit en Occident et
au Japon une couverture médiatique sans conmune mesure avec celle
consacrée aux exploits des Russes dans le même domaine, ou même
celle de l’Agence spatiale européenne dont le noyau est d’origine
française. Par contre, le citoyen moyen ne sait même pas qu’il existe des
programmes spatiaux brésilien et japonais.
Le sport est un autre domaine où les États-Unis sont clairement
surreprésentés et les États-Unis veulent clairement occuper la première
place en matière d’image d’un peuple sportif. Dans l’imaginaire collectif
des pays occidentaux, mais aussi en Asie, les champions de sports
extrêmes ne peuvent être qu’Étasuniens. Le fait que l’Étasunien moyen,
souvent obèse, n’est pas sportif pour un sou, est aux antipodes du jeune
athlète bronzé représenté dans les vidéos et films en provenance des
États-Unis et qui saturent le marché des films d’illustration pourvoyés, non
seulement par les fabriquants de matériel de sport, mais aussi dans la
programmation des télévisions publiques et privées.
SOUTIEN DES DICTATURES
Il faut également mentionner l’existence de vastes programmes fédéraux
destinés à renforcer et restructurer les appareils de répression des alliés
sous-développés des États-Unis. Toutefois, dès que l’existence d’un
mécanisme de ce type est mis en évidence, la tactique de la CIA, aussi
bien que d’autres agences, est de lui donner d’autres formes. Ainsi,
l’observateur extérieur ne peut évoquer des techniques qui sont soit
révolues soit encore très mal connues, qu’il s’agisse d’actions de nature
militaire ou de conquête économico-culturelle. Nous voyons les effets de
l’action étasunienne à Bruxelles mais il est impossible d’en élucider les
mécanismes du fait de l’adaptation dynamique du dispositif mis en place.
Le sabotage économique de concurrents actuels ou potentiels, les
campagnes de dénigrement d’entreprises étrangères dans le même but,
sont aussi dans le champ de la CIA et des organismes cités
précédemment.
L’ÉVALUATION DES RÉSULTATS
L’évaluation des résultats semble indiquer que ce n’est pas forcément
dans les pays traditionnellement considérés comme sous-developpés que
les résultats sont les plus spectaculaires. On peut mesurer l’impact de
conditionnement et de colonisation des esprits en évaluant la dépendance,
imaginaire plus que réelle, des sociétés ciblées par la propagande
étasunienne, directe ou indirecte. Par exemple, dans le domaine
financier et économique, il est normal que les bourses mondiales
réagissent vis-à-vis des fluctuations des facteurs conditionnant les carnets
de commandes des grandes compagnies sur les marchés internationaux.
Cependant, il est clair que ce facteur est relativement mineur lorsqu’on
analyse la corrélation entre l’évolution des indices des bourses
américaines avec ceux des bourses européennes. Au delà des
considérations économiques pures et dures, il est clair que l’impact de
l’évolution des bourses américaines sur les indices européens est amplifié
considérablement au-delà de ses effets purement mécaniques. Il s’agit
clairement plus que d’un couplage économique mais d’un état de
dépendance d’une colonie vis-à-vis de sa métropole. En dépit du fait que
ce sont les immenses zones économiques d’Asie et d’Amérique latine qui
tirent actuellement la croissance mondiale en biens consommables, on
continue de croire que la santé des marchés dépend exclusivement de la
performance des indices étasuniens. Ce phénomène de dépendance,
même imaginaire, n’est pas anodin. Il introduit des distorsions dans
l’activité économique globale, renforce le rôle du dollar, la monnaie du
pays qui est pourtant, et de loin, le plus endetté de la planète, et facilite le
caractère prédatoire des investissements étasuniens en Europe15.
Eudes présente des statistiques dans son livre concernant les étudiants
ayant fait des études aux États-Unis. Il note par exemple que, dans
certains pays émergents, on peut trouver jusqu’à 80% des
professeurs d’université qui ont fait au moins un diplôme d’études
supérieures aux États-Unis. Il note aussi que la proportion de hauts
fonctionnaires dans le même cas approche quelquefois 50%. Il est évident
que de telles conditions infléchissent naturellement la production
intellectuelle mais aussi la gouvernance économique et politique de très
nombreux pays. Toutefois, si les chiffres concernant les pays émergents
semblent être plus faciles à compiler que pour les pays occidentaux non
anglophones, il suffit d’examiner les antécédents des corps enseignants
des facultés scientifiques et des écoles d’ingénieurs en pour se rendre
compte que, de plus en plus, le stage de recherche ou le diplôme d’une
université étasunienne commence à faire partie du parcours indispensable
à l’accréditation de l’enseignant universitaire et du chercheur d’Europe
continentale. Partout en Europe continentale, on conditionne les jeunes
pour qu’ils considèrent l’anglais comme une sorte d’espéranto dont ils
doivent imposer l’usage partout dans le monde. Des centaines de milliers
de jeunes, principalement ceux ayant au moins un diplôme universitaire,
s’imaginent désormais que la langue anglaise constitue une sorte de
“Sésame-ouvre-toi”, non seulement en Europe mais aussi au Brésil, en
Asie ou en Russie. Ils semblent étonnés lorsqu’ils constatent que cette
langue leur donne à peine plus que la possibilité d’y faire du simple
tourisme, l’accès à la véritable communication et aux cultures locales
demeurant bien évidemment fermé !
Peut-être plus grave encore, c’est l’intériorisation des idées
propagées par la propagande étasunienne qui semble faire encore
plus de dégâts. Intimément persuadés que l’idée nationale est néfaste, la
défense des intérêts nationaux par les ressortissants des pays dont ils
sont originaires n’est plus assurée dans les situations où les intérêts
économiques sont en jeu. Le soutien du prestige et du rayonnement de la
nation sont négligés ou ignorés. Par exemple, en se croyant « citoyen du
monde », le citoyen français, qu’il vive et travaille en France ou à
l’étranger, n’a souvent plus le réflexe naturel de prendre en compte les
intérêts de son pays, qu’il n’arrive plus à extrapoler aux siens, même s’il
travaille pour une entité française. On en est d’autant plus étonné
lorsqu’on constate que cette attitude est largement partagée au niveau
de la diplomatie française et même à celui de la Francophonie
institutionnelle, pourtant financée à 85% par les contribuables français !
Des enquêtes menées auprès des jeunes de nombreux pays ont prouvé
que les États-Unis demeurent souvent la destination favorite souhaitée
dans le cadre d’un projet d’études ou d’une expérience initiale à l’étranger,
non seulement en Europe mais dans des pays ayant subi et subissant
quelquefois encore de graves conséquences des actions militaires
étasuniennes comme c’est le cas du Vietnam16 dont les étudiants se
battent pour obtenir les bourses chichement distribuées par les États-Unis
sur l’ensemble du pays.
LES LIMITES DU SYSTÈME
Pour autant que ses résultats soient spectaculaires en Europe de l’ouest,
plus encore en Europe de l’est, et aussi ailleurs, il serait erroné de penser
que l’action étasunienne réussisse dans tous les cas. Plus que par le
passé, le système semble d’ailleurs se fissurer plus rapidement au niveau
des pays émergents que celui des pays développés. En 1979, lors de la
révolution iranienne, c’était l’Iran qui envoyait le plus gros contingent
d’étudiants en termes absolus aux États-Unis (36 000 étudiants iraniens y
séjournaient en 1978).
L’Amérique latine paraissait à une époque encore récente irréversiblement
acquise aux intérêts étasuniens. Les élections de Chavez au Vénezuela,
d’Evo Moralès en Bolivie, et de Lula au Brésil17 ont semblé marquer la
fin d’une époque. La facilité avec laquelle les Étasuniens se
débarassèrent de Mohammed Mossadegh semble définitivement
appartenir au passé. Une prise de conscience massive des méthodes
directes et indirectes appliquées par les États-Unis pour tailler un monde
conforme à leurs intérêts, mais au détriment des peuples visés, semble
balayer une fraction non négligeable des pays émergents. Les désastres
économiques subis en Amérique latine et ailleurs par l’entremise du FMI
ont été identifiés et analysés en détail et ont permis de dénoncer les
sabotages commis par les prétendus organismes internationaux d’aide
économique sous domination étasunienne. Ces sabotages ont été rendus
possible par l’intériorisation de l’idéologie étasunienne d’exportation par les
gens au pouvoir des pays qui les ont subis. L’idéologie a été implantée par
à un conditionnement débutant généralement au niveau universitaire et
accompagnant l’apprentissage de l’anglais ainsi que celui des autres
« valeurs » étasuniennes.
Eudes note la rapidité de rotation des personnels des agences chargées
de la diffusion culturelle et linguistique des États-Unis à l’étranger. Au sein
de ces organismes, la connaissance des langues et des cultures ciblées
est faible et les séjours dans un pays donné, qui ne dépassent pas quatre
ans en général, s’avèrent insuffisants pour l’apprentissage complet des
conditions locales. Il en découle nécessairement des erreurs
d’appréciation. Néanmoins, cette politique est délibérée. La pratique des
langues locales est restreinte aux nationaux n’ayant aucun pouvoir de
décision. Aucun employé étasunien n’est censé éprouver des
sympathies pour les cultures et les langues ciblées et dont les
locuteurs sont à asservir.
Les opérations destinées à éloigner le Maghreb de « l’ancienne
puissance coloniale » par le biais des mouvements islamistes ont
globalement abouti à un échec mais cet échec est moins dû à des erreurs
tactiques qu’à la sous-évaluation grossière de l’impact culturel et
linguistique massif résultant du va-et-vient constant des immigrants
maghrébins entre leur pays d’origine et la France.
Dans un contexte où les actions étasuniennes de consolidation de l’empire
rencontrent de plus en plus de résistance, le « micro-militarisme
théâtral », dénoncé par Emmanuel Todd18 a abouti à une prise de
conscience générale des techniques de projection d’influence et de
conquête des esprits et certains observateurs ont même été jusqu’à mettre
en doute l’authenticité des attentats du 11 septembre 2001, qui ont servi
de déclencheur au déploiement d’une activité militaire hostile à l’encontre
de l’Afghanistan et de l’Irak où des opérations de déstabilisation de la
société civile se sont succédées aux opérations militaires.
L’émergence d’une élite transnationale, spirituellement apatride,
constituerait un rapprochement idéologique et culturel continu entre les
classes supérieures périphériques et celles de la métropole (étasunienne)
et pourrait déboucher sur un système qui approfondirait et stabiliserait la
dépendance structurelle des pays périphériques tout en en gommant les
signes extérieurs. Si cette approche a pleinement marché en Europe, il est
clair qu’elle est un échec dans des pays comme l’Iran, le Vénézuela ou la
Chine, ce dernier pays ne semblant jouer que sur une musique qu’il a luimême
écrit, en dépit de certaines apparences contradictoires.
Néanmoins, le projet « d’élites transnationales » est en fait
extrêmement classique, voire archaïque. Il vise à rétablir un système
d’exploitation et de contrôle aussi vieux que le concept même d’empire.
Acheter de l’influence n’est pas en soi un but inavouable mais l’action
étasunienne est essentiellement subreptice et elle a abouti, dans de
nombreux pays, à l’émergence de prétendues élites qui ont abandonné
depuis belle lurette la maîtrise de leur destin national, la défense des
intérêts de leurs concitoyens et qui garantissent la cohésion et la pérennité
d’un système de dépendance. L’action étasunienne a abouti à un
abandon d’une partie des cultures nationales et a profondément
infléchi l’originalité de la production intellectuelle, en particulier dans les
domaines scientifique et artistique. L’action étasunienne depuis la
Seconde Guerre Mondiale n’a pas eu pour but de favoriser la signature de
quelques contrats et de gagner quelques privilèges sur la scène
internationale, mais de mettre en place un immense système impérial
réduisant tout potentiel de concurrence et tout désir d’indépendance des
nations ciblées. En cela, elle est profondément immorale dans ses buts et
dans ses moyens et doit être combattue avec la plus vive détermination.
1 Ces personnages essayent de faire passer une loi qui, une fois pour toutes,
ferait de l’anglais la seule langue officielle des États-Unis, au niveau fédéral.
2 L’Harmattan, 2001.
3 Éditions Autrement Frontières, 2003.
4 voir : les commentaires de Richard Wilson, professor de physique à
l’université Harvard et aussi http://www.risk-evaluation-forum.org/
5 voir : http://conspiration.ca/haarp/arme_ultime.html
6 voir : http://jeanzin.free.fr/index.php?2005/11/28/14-le-bluff-desnanobabioles
7 L’Asian Institute of Technology de Bangkok par exemple.
8 C’est le cas au Vietnam.
9 Organisation des États américains.
10 L’offensive des missionnaires est toujours très active, plus
particulièrement en Amérique latine et dans les enclaves chrétiennes du
proche et du moyen Orient, comme le dénote Zina El Tibi lors de ses
conférences où elle décrit les détails de l’organisation ainsi mise en place et
ses effets.
11 Le refaçonnage prévu à l’origine pour le Japon était de bien plus grande
ampleur dans ses objectifs. Il y eut par exemple une tentative de réforme du
système d’écriture, sous égide étasunienne, qui échoua. L’envoi de milliers
de mssionnaires chrétiens pour convertir massivement la population échoua
également. Aujourd’hui, la proportion de chrétiens au Japon, contrairement à
celui de la Corée du sud, demeure toujours négligeable.
12 Fondateur du Réseau Voltaire.
13 Albin Michel, 2007.
14 Voir en page 129 de l’ouvrage d’Eudes les commentaires de Madame
Abzug, présidente d’une des sous-commissions d’enquête de la chambre des
représentants sur les opérations internationales du gouvernement.
15 Il a été en effet démontré que les rendements des investissements en
Europe faits par les grands fonds de pension étasuniens sont quasiment le
double des rendements obtenus par les Européens aux États-Unis.
16 On estime le nombre de victimes actuelles de l’agent Orange (défoliant massivement
utilisé tout au long de la « piste Ho Chi Minh » durant la guerre du Vietnam) à deux
millions d’enfants et d’adultes.
17 Lula a suscité depuis son élection bien des déconvenues mais il fut élu globalement sur
un programme antagoniste des intérêts étasuniens.
18 Voir son ouvrage intitulé « Après l’empire ».


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