Diffusée dimanche 13 décembre par la BBC, la "confession" de Tony Blair, selon laquelle même s'il avait su que Saddam Hussein n'avait plus d'armes de destruction massive à sa disposition il aurait "développé d'autres arguments" pour justifier l'invasion de l'Irak en 2003, a déclenché, au Royaume-Uni et ailleurs, une tempête médiatique.
Giovanni Di Stefano, qui fut l'un des avocats de l'ancien dictateur irakien, a adressé dès dimanche au conseiller juridique du gouvernement britannique une "demande de consentement à poursuivre" l'ancien premier ministre devant les tribunaux. Motif : Tony Blair, dont beaucoup pensent qu'il savait pertinemment, au moins dans les semaines qui ont précédé l'invasion, que l'Irak n'avait plus ni nucléaire, ni armes biologiques ou chimiques, ni d'ailleurs aucune fusée ou missile pour transporter les charges, aurait "violé la Convention de Genève de 1957 " en engageant son pays dans une guerre "non justifiée par nécessité militaire et menée de manière illégale ".
L'aveu de M. Blair qui, trois jours encore avant le début de l'invasion le 19 mars 2003, affirmait aux députés des Communes que Saddam Hussein pouvait encore "éviter la guerre ", et même rester au pouvoir, s'il démontrait sa bonne foi en matière de désarmement, "confirme " selon l'avocat italien, "que la véritable motivation de l'attaque contre l'Irak était d'en changer le régime". La charte des Nations unies interdit ce genre de pratique et ne justifie la guerre contre un Etat indépendant qu'en cas de légitime défense ou de menace claire sur des intérêts nationaux. On sait aujourd'hui que tel n'était pas le cas.
Tony Blair, pourtant, "a commencé à évoquer publiquement un changement de régime à Bagdad en avril 2002, au lendemain d'un déjeuner privé chez Georges W. Bush au Texas". Cette information a été révélée le 30 novembre par Sir David Manning, l'ancien conseiller en politique étrangère du premier ministre, devant la commission Chilcot qui examine depuis trois semaines les conditions dans lesquelles le royaume est entré en guerre. La commission devrait entendre l'ancien premier ministre en janvier. Sir Christopher Meyer, qui était alors l'ambassadeur de Sa Majesté à Washington, déplorera pour sa part qu'à partir de ce moment-là les préparatifs militaires pour la guerre "prennent le pas sur la diplomatie alors que cela aurait dû être le contraire."
En juin 2002, après que l'administration Bush eut finalement dévoilé, en privé, à ses alliés britanniques, son intention d'entrer en guerre, Tony Blair donne l'ordre à ses officiers supérieurs de dresser, "discrètement ", des plans d'invasion. Trois mois plus tard, en septembre, le gouvernement rend public un rapport de ses différents services secrets concluant que Saddam Hussein "pourrait " encore avoir un programme d'armes de destruction massive. Dans la préface plus "politique" de ce document, Tony Blair lui-même se montre plus affirmatif et écrit que le dictateur irakien pourrait "les déployer en 45 minutes." Ces mots feront beaucoup pour effrayer et convaincre les élus britanniques d'approuver, six mois plus tard, l'entrée en guerre de leur pays.
Comment George Bush, qui évoquait un changement de régime irakien dès "janvier 2001" selon Sir John Sawers, l'actuel patron du MI 6, les services de renseignements extérieurs, a-t-il convaincu le premier ministre britannique qui, avant la tragédie du 11-Septembre, ne voulait pas en entendre parler de la nécessité de renverser le régime par la force, "avec ou sans l'approbation" des Nations unies ? "Flagornerie vis-à-vis de l'Amérique", comme l'a dit, lundi, le procureur Ken Macdonald qui fut un haut fonctionnaire de l'administration travailliste ?
"La région allait changer, explique Tony Blair dans son interview à la BBC, et je ne voyais pas comment elle allait pouvoir changer dans la bonne direction avec lui (Saddam) au pouvoir." Des mauvaises langues londoniennes affirment que le premier ministre était "obsédé par l'idée de bâtir une relation forte et exclusive avec le président des Etats-Unis. Il ne voulait pas, ont écrit des éditorialistes, laisser le moindre espace disponible à ses opposants conservateurs". La petite phrase de M. Blair à la BBC tendrait à prouver qu'il a en fait été convaincu par le programme des néoconservateurs qui entouraient alors M. Bush et qui rêvaient de créer un "Grand Moyen-Orient " dans une direction plus démocratique et plus favorable à Israël. La commission Chilcot poursuivra ses audiences jusqu'en février 2010.
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Patrice Claude
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