Normalement, dans une nation qui assume son identité, les manifestations culturelles étrangères ne posent pas problème et sont plutôt perçues comme venant enrichir le fonds culturel commun. Toutefois, lorsque ce n'est pas le cas, certaines expressions culturelles étrangères comme le port du kirpan ou du voile sont vues comme de la provocation et une menace pour l'identité culturelle d'une majorité et peuvent même provoquer le rejet pur et simple des nouveaux arrivants. Ce qui attise aussi certaines formes de racisme.
C'est alors que les nouveaux venus se regroupent en ghettos. Dans le cas des immigrants de la région de Montréal toutefois, ils préfèrent s'intégrer à la culture d'une majorité autre, celle de la majorité anglo-canadienne plus solide et, disons-le, beaucoup plus accueillante.
Une boîte de Pandore
Rappelons que c'est à la suite de prétendus abus et à la demande générale des Québécois francophones que le gouvernement libéral de Jean Charest a choisi de tenir cette commission sur les accommodements raisonnables. C'était là ouvrir une boîte de Pandore ! Ce gouvernement risque de le regretter bientôt !
Car rappelons que dans la situation politique actuelle, ce ne sont pas tant les immigrants qui ont un problème avec les accommodements que les Québécois francophones eux-mêmes qui, devant toutes les pratiques hétéroclites des différentes communautés qui les environnent, se sentent envahis et craignent de perdre leur identité culturelle. C'est donc une sérieuse crise identitaire québécoise qui est en train de se développer présentement avec cette commission et qui, politiquement, on peut facilement le prévoir, va forcément dégénérer à la faveur de l'idée d'État-nation.
Assez bizarrement, à travers les commentaires faits jusqu'à maintenant à cette commission, une question revient constamment et c'est celle de savoir quels accommodements offre le Canada aux Québécois francophones par rapport à ceux qui sont déjà consentis aux immigrants. C'est, si l'on veut, le monde à l'envers ! Autrement dit, par cette commission, il s'agit avant tout de s'accommoder soi-même plutôt que d'accommoder les autres. Les Québécois dits de souche se demandent s'ils peuvent stopper les manifestations d'identité culturelle d'immigrants qu'ils jugent et dénoncent comme étant excessives par rapport aux leurs.
Redéfinir la culture québécoise
Ce n'est donc pas tant le statut des cultures étrangères que l'on tente présentement de définir à travers cette commission, que le statut de la culture québécoise elle-même. Il s'avère en effet que ce statut n'est toujours pas clairement défini et établi, le Québec n'ayant pas encore adhéré à la constitution canadienne. Voilà là le problème à la source de tous les maux de cette commission : elle vogue dans un No Man's Land !
Désireux de se libérer d'une patate chaude en créant cette commission, le gouvernement Charest se retrouve pris à son propre jeu. Cette commission sur de supposés accommodements raisonnables apparaît de plus en plus sous son vrai jour : cette commande du gouvernement Charest est vide de sens. Cette commission ne va nulle part ! Elle tourne en rond et n'a qu'un rôle thérapeutique auprès des Québécois qui ne font qu'exprimer publiquement leur frustration par rapport à la réalité multiculturelle canadienne. Elle fournit alors aux péquistes tout l'argumentaire nécessaire à une prochaine élection.
Pas d'accommodement en vue
Voyons-y clair : aucun accommodement n'est réellement en vue avec cette commission. C'est même le contraire car dans cet exercice de défoulement collectif, ce sont malheureusement les immigrants qui vont devoir payer. En effet, dans le contexte sectaire que cette commission a créé, ils n'ont qu'à bien se tenir et à rester, comme on dit, low profile; s'ils réclament le moindre accommodement, ils se verront vite rabroués et dénoncés par les Québécois comme mettant en péril l'existence même de la culture québécoise. Tout accommodement, si raisonnable soit-il, sera en effet vu comme un acte de défiance par rapport au peuple québécois.
La meilleure preuve de cela est sans doute l'opposition généralisée chez les Québécois au port du voile pour aller voter. Pourtant, aucune pièce d'identité photographique n'étant de toute façon exigée pour aller voter, le fait d'aller voter voilé ou non-voilé ne change absolument rien et ne met aucunement en péril la sécurité publique. Les Québécois y voient cependant un acte de défiance de premier plan mettant sérieusement en péril leur autorité culturelle...
Cela se comprend : privés d'une identité culturelle reconnue, les Québécois s'en prennent aux minorités culturelles et religieuses et font preuve d'intolérance à leur égard. Le Québec risque alors d'y perdre ses immigrants à la faveur de la majorité anglo-canadienne plus tolérante et accueillante. Il ne fera alors que se refermer davantage sur lui-même et se verra privé d'apports culturels importants.
Rappelons qu'en ce moment, le Québec n'est qu'une province parmi d'autres dans un État multiculturel à majorité anglophone. Dans une situation aussi précaire, nous devrions nous montrer particulièrement accueillants et ouverts envers des immigrants qui acceptent de bonne foi et malgré le contexte linguistique nord-américain de venir chez nous vivre en français.
Finalement, ce serait plutôt à nous-mêmes et à notre manque de courage politique que nous devrions nous en prendre. Car, tant et aussi longtemps qu'on ne réouvrira pas le dossier sur l'avenir constitutionnel du Québec, le statut de la dite nation québécoise restera indéfini. Nous ne saurons toujours pas qui nous sommes et d'incroyables ambiguïtés apparaîtront au niveau culturel.
À vivre continuellement ainsi entre un fédéralisme mal accompli et un séparatisme non assumé, on risque de devoir se taper de multiples commissions bidon du genre...
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Pierre Desjardins
Professeur de philosophie et auteur
Montréal
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