(Photothèque Le Soleil)




Tandis que l'Occident est devant son téléviseur et observe le spectacle des forces du bien aux prises avec les forces du mal, (les méchants Talibans), certains faits méritent d'être rappelés. Car, au-delà de l'émoi, du patriotisme et de l'héroïsme que la guerre en Afghanistan suscite et attise chez nous, il existe d'autres réalités qu'il importe de rappeler et de considérer.
D'abord, souvenons-nous qu'à l'origine, les Occidentaux n'hésitèrent pas à recourir aux théories de l'évolution, et en particulier à celle de Darwin, pour accepter le recours aux armes. Le principe de la sélection naturelle justifiait alors tout naturellement l'avidité et la cupidité des plus forts.
À cette époque, le darwinisme social devint même l'alibi scientifique par lequel les inégalités sociales et le racisme pouvaient être acceptés scientifiquement. L'on put, à partir de considérations éthologico-évolutionnistes, fonder une nouvelle morale basée sur le talent inné de certains peuples soi-disant plus intelligents que d'autres...
Morale d'arrivistes
Or, c'est exactement cette morale d'arrivistes que nous utilisons pour justifier notre guerre sans merci aux Talibans. Sans trop sans rendre compte, nous sombrons tout entier dans la barbarie du capitalisme occidental qu'elle crée ! Par la guerre en Afghanistan, il ne s'agit plus simplement de poursuivre ou de combattre un ennemi là ou il se trouve, mais de se donner le droit extraordinaire de piétiner fièrement et systématiquement le territoire d'un peuple aux allures louches. Au nom du bien, nous serions devenus des prédateurs évolués !
Mais ce n'est qu'à partir de la pauvreté extrême de l'Afghanistan et de ses habitants que l'on pourra comprendre intelligemment ce qui semble pour nous l'inintelligible, c'est-à-dire la stratégie férocement anti-occidentale du régime dictatorial taliban.
Les Talibans ne peuvent ni promettre, ni offrir à leur jeunesse les biens matériels fournis au monde par le capitalisme occidental. Aussi, devant le spectacle de notre opulence, ceux-ci, afin de conserver absolument leur pouvoir, tentent d'isoler le peuple afghan tout en satanisant au maximum l'Occident. Et, en bonus, ce régime proposera une sanctification assurée dans l'au-delà aux jeunes Afghans en échange du sacrifice de leur vie dans la lutte contre les éléments maléfiques occidentaux.
Insupportable asservissement
Aussi, ne nous faisons pas trop d'illusions : se débarrasser des Talibans ou de Ben Laden dans le feu et le sang ne changera rien. En Afghanistan, tout comme d'ailleurs en Irak, il y aura toujours de la subversion parce qu'en soi, l'impérialisme, qu'il soit économique comme celui des Américains ou politique comme celui des forces de l'Otan, est l'expression d'une forme de domination et d'asservissement insupportable pour les populations locales et leurs chefs, quels qu'ils soient, avec l'appui tacite de la population, y résisteront toujours.
Comme toute guerre, cette guerre ne règlera rien. Toutefois, il y a d'autres moyens moins spectaculaires et plus humbles à utiliser pour régler cette situation qui perdure depuis des décennies. D'abord, il faut dialoguer avec les gens de ce pays. Et ce n'est pas aux soldats de le faire. Car c'est d'abord par un désarmement de part et d'autre que tout pourra se faire. Et pour arriver à cela, les Occidentaux devront nécessairement négocier franchement et oser faire des compromis avec les Talibans.
Rappelons que pour tenter de sauver leurs otages, les Coréens du Sud acceptèrent, malgré la réprobation de leurs alliés américains, de négocier avec les Talibans. Pourquoi ne ferions-nous pas de même pour régler l'actuel conflit et pour épargner à tout un peuple et à nos soldats d'inutiles souffrances ? Il y a des instances diplomatique qui, en ce moment, ne font pas leur travail.
Le Canada médiateur
Le Canada a toujours été reconnu pour ses talents de médiateurs. Ne serait-il pas temps que ces talents soient utilisés plutôt qu'avoir systématiquement recours aux armes ? N'y-a-t-il pas une limite à la
diabolisation des multiples instances de pouvoir de ce pays ?
Si le régime politique des Talibans est non souhaitable à long terme parce qu'il impose l'ignorance, la soumission des femmes et l'enfermement culturel de tout un peuple, là comme dans d'autres pays de ce genre, des efforts de générosité doivent être entrepris par l'Occident pour favoriser une ouverture progressive au monde. Mais il faut négocier d'abord un désarmement avec les Talibans, sinon, rien ne sera jamais possible là-bas et le conflit s'enlisera davantage.
Rappelons que le général à la retraite Roméo Dallaire, témoin impuissant des horreurs de la guerre au Rwanda, déclarait que ce n'est pas par la guerre mais par le désarmement, l'aide et l'éducation des populations que l'on empêchera à l'avenir le massacre des populations.
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Pierre Desjardins
Auteur et professeur de philosophie

Montréal