Dépression mondiale ou inflation galopante? Chacune des deux perspectives sur l’avenir de l’économie mondiale a ses partisans. Chose certaine, peu d’analystes partagent l’optimisme de Stephen Harper ou de Monique Jérôme-Forget. Dans le cas de Stephen Harper, il affiche cette posture sur recommandation de son ami et mentor Tom Flanagan. « Si tu passes ton temps à dire que les choses vont mal, les gens vont t’en attribuer la responsabilité et vouloir changer de gouvernement », aurait soufflé Flanagan à l’oreille de Harper (Globe and Mail, 11 mars 2009).
Quant à Mme Jérôme-Forget, elle a reconnu, lors d’une prise de bec avec ceux qui doutaient de ses pronostics lors de la présentation du budget, que son optimisme était factice. « Il n’y a aucune certitude quant à l’économie, a-t-elle déclaré. S’il y a des économistes dans la salle, vous n’êtes pas bons, vous changez d’idées tous les mois. »
Devant tant d’incertitudes, la ministre des Finances a décidé de ne rien faire de structurant, de laisser s’accumuler les déficits et… d’envisager sa retraite de la vie politique.
Le chroniqueur Alain Dubuc de La Presse a calculé que le gouvernement devra, au cours des quatre prochaines années, trouver 8 milliards 768 millions s’il veut ramener le déficit à zéro. Sur le plan des revenus, le budget ne prévoit recueillir que 2 milliards 36 millions par la lutte à l’évasion fiscale, l’augmentation des tarifs et la hausse de la TVQ. La différence viendra, nous dit le budget, de compressions budgétaires et d’« autres mesures à identifier ».
Dans ces « autres mesures à identifier », il ne faudrait pas trop compter sur une aide du gouvernement fédéral. M. Harper a d’autres priorités comme le budget militaire. Le gouvernement fédéral dépense 200 millions $ par mois pour la guerre en Afghanistan, un chiffre à mettre en parallèle avec le 242 millions $ d’« argent neuf » prévu par le gouvernement Charest pour l’ensemble de l’année budgétaire afin de faire face à la crise.
De plus, si Harper décidait de venir en aide à une province, il jetterait son dévolu sur l’Ontario - où il espère faire des gains électoraux - plutôt que sur le Québec qu’il a rayé de sa feuille de route depuis sa déconfiture lors du dernier scrutin. Quoique, comme le lui suggère encore Tom Flanagan (Globe and Mail, 2 février 2009), M. Harper pourrait refuser de délier les cordons de la bourse fédérale et envisager de faire porter la prochaine élection sur des questions « morales » conservatrices - la loi et l’ordre par exemple - plutôt que sur les questions économiques.
Ce n’est pas parce que les gouvernements enregistrent des déficits qu’ils se sont convertis au keynésianisme. La crise est perçue comme une « crise de liquidité » et non comme une crise classique de surproduction et de sous-consommation. On cherche à rétablir le « flux du crédit » et non à relancer la demande par des programmes d’aide aux sans-emploi, aux démunis et aux retraités.
The Economist, la bible du patronat mondial, recommande d’ailleurs aux gouvernements dans son édition du 14 mars (The job crisis and what to do about it) de « passer des politiques de soutien de la demande à des politiques pour rendre le marché du travail plus flexible ». Selon le magazine britannique, la récession va être longue et sera l’occasion d’une restructuration majeure de l’économie mondiale.
Le programme des prochaines années est tout tracé : « Abolir les programmes de subventions à l’emploi, priver les travailleurs de leurs privilèges et faire en sorte qu’il soit plus facile pour les entreprises de se restructurer en licenciant leur personnel ». The Economist nous demande d’avaler que : « Plus facile il sera de licencier, plus facile il sera de créer de nouveaux emplois. »
C’est le programme sous-jacent aux budgets des gouvernements Harper et Charest. Pas question d’un transfert du fardeau fiscal des plus pauvres vers les mieux nantis. À preuve, lors d’une rencontre à huis clos, Stephen Harper critiquait Barack Obama pour sa décision d’augmenter timidement les impôts des gens gagnant plus de 250 000 $ par année. À Québec, l’orientation est d’augmenter les taxes régressives que sont la TVQ et les tarifs, ce qui va entraîner un appauvrissement des classes moyenne et populaire.
C’est tout le contraire de ce qu’a été le New Deal. Le Prix Nobel d’économie Paul Krugman rappelle dans « L’Amérique que nous voulons » (Flammarion) que « le taux le plus élevé d’imposition du revenu (qui de nos jours est de 35 % seulement) était monté à 63 % sous le premier mandat de Roosevelt et jusqu’à 79 % sous le second » pour atteindre 91 % au milieu des années 1950. L’impôt fédéral moyen sur les profits des entreprises est passé de moins de 14 % en 1929 à plus de 45 % en 19955 et les droits de succession sur les très grandes fortunes ont augmenté progressivement pour passer de 20 % à 77 %. Soulignons qu’en 1930, la rémunération des patrons ne représentait que 40 fois ce que gagnait l’ouvrier moyen, alors qu’aujourd’hui c’est 367 fois!
La conversion de l’administration américaine aux politiques du New Deal n’a pas été le résultat d’une opération du Saint-Esprit, mais d’un nouveau rapport de forces entre les classes sociales avec l’augmentation de la syndicalisation et de la combativité de la classe ouvrière américaine, nous rappelle Krugman.
À cela, il faut ajouter le contexte international et le spectre de la révolution. En 1932, soit douze ans à peine après la Révolution d’Octobre, le gouvernement Hoover faisait intervenir l’infanterie, la cavalerie et les blindés sous les ordres des généraux MacArthur, Patton et Eisenhower contre les milliers de vétérans de la Première guerre mondiale qui campaient à Washington pour revendiquer le bonus traditionnel versé aux soldats américains pour avoir servi sous les drapeaux.
Dans sa biographie de Franklin D. Roosevelt (FDR, Random House, 2007), l’historien Jean Edward Smith raconte que Hoover craignait une répétition de la prise du Palais d’Hiver en Russie. Plus tard, sous la présidence de Roosevelt, le Congrès adopta, dans le cadre du New Deal, le G.I. Bill of Rights.
FDR n’hésitait pas à prendre parti pour les travailleurs et les syndicats ce qui lui valut la haine de nombreux membres de la classe dirigeante. Dans un célèbre discours à la veille de l’élection de 1936, il les dénonça en ces termes : « Ils avaient commencé à considérer le gouvernement des États-Unis comme un simple appendice à leurs affaires privées. Nous savons maintenant qu’il est tout aussi dangereux d’être gouverné par l’argent organisé que par le crime organisé. Jamais dans toute notre histoire, ces forces n’ont été aussi unies contre un candidat qu’elles ne le sont aujourd’hui. Elles sont unanimes dans leur haine pour moi - et leur haine me fait plaisir. »
D’autres représentants de la classe dirigeante avaient une autre appréciation des politiques du New Deal et de Roosevelt. Jean Edward Smith rappelle qu’à la conférence de Téhéran, à fin de la Deuxième guerre mondiale, Churchill a porté un toast à Roosevelt en disant qu’il avait empêché la révolution aux États-Unis!
Aujourd’hui, alors que plusieurs prédisent une récession pire que celle des années 1930, le rapport de forces semble plus défavorable aux forces progressistes comme en témoignent les hésitations de Barack Obama à emprunter la voie de Roosevelt en nationalisant les banques - ce que lui recommande Krugman - ou en favorisant l’adoption rapide du Employee Free Choice Act qui permettrait une plus grande syndicalisation.
Cependant, le mouvement ouvrier international est aujourd’hui numériquement beaucoup plus important - particulièrement en incluant les contingents de la Chine, de l’Inde et des autres pays émergeant - plus aguerri et mieux informé avec Internet et les nouvelles technologies. Il est à même de puiser dans son expérience historique et tirer profit des contradictions qui ne manqueront pas de se manifester au sein de la classe dominante pour conjurer la catastrophe imminente.
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