Le 9 novembre prochain

La Catalogne votera OUI à l'indépendance

Mais pourra-t-elle voter?

Chronique de José Fontaine

Bien des choses différencient le cas catalan du cas écossais.

Quelques données chiffrées

La Catalogne parle une langue différente de celle qui domine le reste de l’Espagne, une grande langue, le catalan, la première langue autre que le latin dans laquelle se soit exprimé un philosophe européen, Raymond Lulle né au 13e siècle.

Elle représente un peu moins d’un cinquième du PIB espagnol et un peu moins de 15% de sa population (7,5 millions d'habitants sur 47,2 millions pour l'Espagne, sur un territoire très légèrement plus grand que la Belgique).

Barcelone est considérée dans certains classements comme la cinquième grande région urbaine d’Europe , soit plus de 70% de la population de la Catalogne (7,5 millions d’habitants), et cela après Moscou, Paris, Londres et…Madrid qui ne la dépasse que de quelques centaines de milliers d’habitants.

C’est en somme la population de toute l’Ecosse qui compte certes de grandes agglomérations comme Glasgow et Edimbourg, mais ces deux villes n’ont pas plus d’un million d’habitants dans leur agglomération. [Il existe certes [d’autres façons de chiffrer l’importance de l’agglomération barcelonaise, mais on voit bien que le rayonnement de cette métropole est de toute façon très grand.]].

Des rapports de guerre entre Catalogne et Espagne

Lors de leurs manifestations gigantesques à Barcelone, les Catalans célèbrent la fête nationale catalane, ce qui est une sorte de défi puisque la date en est fixée le 11 septembre, jour de la prise de Barcelone par les troupes franco-espagnoles durant la guerre de succession d’Espagne en 1714 qui vit la victoire des Bourbons, plus centralisateurs, contre les Habsbourg, ce qui signifia la fin de l’autonomie catalane.

Il y a trois siècles de cela. Plus proche du monde contemporain, la guerre civile espagnole (1936-1939), déclenchée par un coup d’Etat militaire du général Franco, à la fois contre la République récemment proclamée et contre les autonomies concédées par ce nouveau régime en faveur du Pays basque. Mais sans doute surtout de la Catalogne, qui avait d’ailleurs provoqué une première tentative de coup d’Etat militaire en 1932 [Charles Boix et JC Major, La marche de la Catalogne vers l’autodétermination, dans la revue Politique étrangère, 4/2013.]]. La guerre civile d’Espagne voit les Catalans s’emparer de très nombreuses compétences allant au-delà de l’autonomie concédée par Madrid. Ils le font d’ailleurs sans [s’en référer au gouvernement central. A la révolution nationale en Catalogne, pratiquement indépendante du reste de l’Espagne se superpose une révolution sociale dirigée par les syndicats anarchistes influents et même prépondérants à Barcelone.

A partir de 1938, Barcelone est le siège de trois gouvernements, le gouvernement républicain catalan, le gouvernement républicain espagnol et le gouvernement républicain basque : il s'y réfugient devant l'avancée des troupes franquistes soutenues par l'aviation italienne de Mussolini et allemande de Hitler.

La guerre d’Espagne qui, selon les estimations, fit des centaines de milliers de morts, voire plus d’un million->https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Espagne], est considérée comme une répétition générale de la Deuxième guerre mondiale. C’est là que se perpétrèrent les bombardements de villes densément peuplées, ce qui provoqua l’émotion de Picasso dans sa fameuse toile « Guernica » (la ville basque), mais qui eurent lieu aussi [en Catalogne.

Certes, ces atrocités, commises par tant d’Etats depuis lors, sont devenues en quelque sorte (tristement et atrocement) banales. Elles continuent à heurter le simple sentiment d’humanité. Fascistes italiens et allemands en furent les tristes initiateurs. Il est possible qu’il y ait chez beaucoup d’Européens antifascistes le sentiment que la victoire indépendantiste de la Catalogne serait comme la dernière victoire du front antifasciste qui libéra le continent de la barbarie nazie.

La guerre civile d’Espagne se termine par la victoire de Franco et la défaite, on peut le dire ainsi, de l’autonomisme catalan et même de la langue et de la culture de la Catalogne, durement réprimées après

L’éternel argument unitariste

Il y a dans la mémoire catalane longue ou proche, le sentiment d’avoir été annexé brutalement voire de manière barbare par l’Espagne. Charles Boix et JC Major commencent leur article déjà cité par la revue Politique étrangère, par les mots suivants, après avoir rappelé la tendance lourde des sondages : « Le conflit actuel entre l’Espagne et la Catalogne est souvent décrit par le camp madrilène comme le fait d’une partie qui voudrait se détacher du tout : sur la base d’un tort, réel ou perçu comme tel, causé par la capitale, une province égoïste utiliserait la menace de scission pour exercer un chantage sur l’État central et le contraindre à des concessions allant à l’encontre de l’intérêt général supposé. Les Catalans présentent, eux, leurs problèmes actuels avec l’Espagne comme n’étant que le dernier épisode d’un contentieux vieux de plusieurs siècles et qui oppose deux communautés humaines animées de visions du monde et de cultures politiques différentes – deux réalités nationales que l’histoire a réunies dans un partenariat inéquitable et qui n’ont pu cohabiter harmonieusement [[Charles Boix et JC Major, La marche de la Catalogne vers l’autodétermination, article cité.]]. »

Boix et Major avaient insisté d’entrée de jeu sur le fait que tous les sondages organisés, notamment en 2012 et 2013, donnent des majorités écrasantes en faveur de l’indépendance catalane en cas de référendum, cela même en cas d’impossibilité de la Catalogne d’intégrer l’Union européenne ou encore en cas de pacte budgétaire avec Madrid impliquant un certain rapatriement des impôts en Catalogne, ce qui démontre à leurs yeux que le réflexe indépendantiste catalan n’est pas un réflexe de riches, se repliant sur leur abondance, critique généralement avancée aujourd’hui en Europe par tous les adversaires de nouveaux Etats indépendants. Le Monde diplomatique est, lui, impressionné par le fait que la question de l’indépendance mobilise la société civile toute entière sous la houlette de l’Assemblée nationale catalane(A.N.C.) , comme la formation d’une chaîne humaine de 400 km reliant La Jonquera au nord à Alcanar au sud qui aurait rallié entre 1,6 et 2 millions de personnes.]].

Quatre raisons de penser que la Catalogne sera bientôt indépendante

De cet ensemble de données, je déduis que, au cas où un référendum pourrait être organisé en Catalogne, son issue ne me semble pouvoir qu’être positive. J’avance les arguments suivants en faveur de ce pronostic :

1. On sait que Rosanvallon a inventé l’expression « le peuple introuvable » estimant que même les sondages les plus pénétrants ne peuvent pas nous dire ce que pense réellement un peuple. Il fait lui-même l’exception des révolutions, notamment la Révolution française. Les manifestations organisées à Barcelone depuis le 11 septembre 1977 (ce jour-là pour réclamer la restauration du statut d’autonomie), donne le même sentiment au sens de Rosanvallon, d’un peuple, si l'on peut dire, exceptionnellement trouvable [[Cela pourrait ne pas être le cas, évidemment, peut-être que même les mouvements de foule les plus spontanés, les plus extraordinairement massifs, peuvent cacher une majorité silencieuse. On verra... Mais jusqu'ici aucun politique n'a pu n'en pas tenir compte]]. L’intérêt de ce lien que je viens de donner est à mon sens d’illustrer ce que je viens de dire. Les chiffres donnés par la mairie de Barcelone (1,8 million de manifestants), ont beau être ramenés à 5 ou 600.000 par Madrid, ils demeurent extraordinaires et la vérité en ce cas est entre les deux extrêmes.

2. En tant qu’autonomiste wallon, je mesure jusqu’à l’obsession, la difficulté, relevée par le sociologue américain Deutsch, de l’extrême difficulté d’un territoire polarisé par une grande métropole d’obtenir son autonomie. Le poids des métropoles à dimension mondiale (comme Paris et Londres), ou même à dimension nationale (comme Bruxelles), est écrasant. La Flandre comme la Wallonie n’arrivent pas à s’émanciper de l’Etat belge à cause de Bruxelles. Les Catalans n’ont pas ce problème puisque leur capitale est une métropole qui se situe entre ce que je viens de dire de Bruxelles et ce que l’on peut dire de Paris ou Londres. C’est une métropole de dimension européenne, bien plus que Bruxelles dont le titre de « capitale européenne » est proprement surfait (Bruxelles ne polarise que la Belgique et encore seule une partie de celle-ci). L’atout principal de la Catalogne indépendante c’est Barcelone.

3. Les sondages, le travail de l’Assemblée nationale catalane comme le relève Le Monde diplomatique, démontrent à quel point toute la société catalne est mobilisée.

4. On peut certes rêver d’un référendum qui serait organisé en Catalogne avec l’accord de Madrid. On sait que la Cour constitutionnelle espagnole considére ce référendum comme illégal, que le gouvernement espagnol s’y opposera (mais comment ?), qu’il barrera la route (et cela on ne voit pas en principe comment on pourrait l’en empêcher) à une adhésion de la Catalogne à l’Union européenne. Cet élément conflictuel jouera peut-être en faveur de la Catalogne, car il n’y a rien de grand qui ne se fasse sans une contradiction profonde, sans oppositions radicales. A mon sens, voilà un atout de plus pour que la Catalogne soit bientôt indépendante.

On le sait, en Europe on ne compte plus les référendums (comme au Danemark et en Irlande), où le peuple ayant «mal voté», il a fallu les recommencer. La liste de ceux dont on n'a carérent pas tenu compte s'allonge aussi comme le NON français de 2005 à la Constitution européenne (par dix points d'écart), que l'Assemblée nationale et le Sénat français réunis à Versailles (tout un symbole), ont décidé d'abroger en 2008 en faisant. dans passer une Constitution toute semblable.

Bruno Poncelet chercheur au centre d'études de la FGTB wallonne, le plus important syndicat wallon, écrit que «l'avenir auquel travaille résolument l'Union européenne, c'est la mise à mort de la démocratie économique et sociale [Dans Europe une biographique non autorisée publie par le CEPAG (centre d'études de la FGTB wallonne), Namur, 2014, p. 335.]].» Et un juriste peu gauchiste et peu eurosceptique comme Francis Delpérée que l'Union européenne [se comporte de plus comme un vaste Etat unitaire.

On a déjà dit de l'Ecosse qu'en cas de OUI au référendum sur l'indépendance. Que serait-ce avec la Catalogne! Tout dépend évidemment de la façon dont l'interdiction de référendum sera appliquée par Madrid. Car Madrid veut évidemment empêcher que se tienne un référendum en Catalogne. Ce qui agrandit encore l'énorme défi devant lequel se trouvent les Catalans. Car comment Madrid pourrait-il empêcher la tenue d'un référendum en Catalogne? Sauf qu'il peut intimider l'actuel gouvernement catalan.

En réalité la cause de l'indépendance de la Catalogne dépasse la Catalogne comme la cause de la République espagnole en 1936 dépassait l'Espagne. A l'époque, les seuls pays qui eurent le cran d'intervenir dans la guerre d'Espagne, furent l'Allemagne d'Hitler et l'Italie de Mussolini et pas qu'un petit peu, avec leur aviation qui notamment à Barcelone fit des milliers de morts. Les grandes démocraties comme la France ou l'Angleterre s'abstinrent lâchement. Dans un contexte plus pacifique, l'indépendance de la Catalogne réveillera les peuples d'Europe qui se courbent de plus en plus devant la dictature néo-libérale (je ne fais que reprendre les mots du constitutionnaliste Delpérée), du «vaste Etat unitaire» que devient l'Europe mais j'ajoute : «unitaire et totalitaire».

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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4 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    3 octobre 2014

    Décidément, j'ai eu des problèmes avec l'orthographe dans cet article. Il y a deux l à Rosanvallon. Et on m'a corrigé sur un autre mot (merci et toutes mes excuses).
    L'important est que Barcelone maintient le référendum (et il a la capacité de l'organiser même dans certaines communes opposées au vote), tous les journaux notamment français l'annoncent
    http://www.google.fr/search?hl=fr&gl=fr&tbm=nws&authuser=0&q=Catalogne
    Il est important de noter aussi que le coup d'Etat franquiste de 1936 était dirigé autant contre la République espagnole que contre l'autonomie catalane.

  • Archives de Vigile Répondre

    28 septembre 2014

    Je ne peux être sûr que d'une seule chose, le vote sera truqué, aussi truqué que celui de l'Écosse. Puisque la tricherie passe, celle-là aussi passera. Un catalan n'est pas basque et un basque n'est pas catalan. Cependant les basques pourraient bien décider d'appuyer les catalans si cela les arrange. Tout dépend de la place que l'état espagnol veut accorder aux basques. Un de mes amis qui était catalan me disait que les basques font des mariages consanguins pour garder les fortunes, concentrer les fortunes à l'intérieur de la communauté. Il ne parlait pas des basques ordinaires mais des propriétaires banquiers. C'est un ménage à trois, difficille à gérer parce que les grandes fortunes ne veulent rien concéder.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 septembre 2014

    Mas qui dirige la Catalogne se contenterait parfaitement d'une régionalisation, mais il dirige une coalition.
    La constitution espagnole précise l'indivisibilité du territoire.
    Le résultat du référendum ne sera pas reconnu par Madrid et L'UE ne reconnaîtra pas la Catalogne. Le oui devrait s'imposer facilement.
    Le reste je ne sais pas...

  • José Fontaine Répondre

    23 septembre 2014

    J'aurais dû signaler qu'il existe d'autres langues en Espagne, en particulier le basque en n'oubliant pas la solidarité dont ont fait preuve les nationalistes basques à l'égard du Québec. Je pensais aussi parler de Bernanos qui, écrivain monarchiste de droite écrivit le plus magnifique des pamphlets antifascistes et antifranquistes "Les grands cimetières sous la lune", où, catholique convaincu, il maudit dans les termes les plus durs les compromissions des évêques espagnols, parlant de certains d'eux comme de personnages ignobles parce qu'ils faisaient bénir par leur clergé les massacres ordonnés par Franco.