La Catalogne retient son souffle

Dans la municipalité de Vic, la ferveur nationaliste est telle que les vœux de liberté s’affichent même sur le fronton de l’église

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Référendum catalan : les indépendantistes sont déterminés

« À partir de dimanche, les choses ne seront plus jamais les mêmes. » La mairesse de Vic, Anna Erra, en est convaincue, l’affrontement qui se déroule ces jours-ci entre Madrid et Barcelone est en train de rompre les derniers liens qui unissaient encore les Catalans à l’Espagne. « Lundi, nous ne serons peut-être pas indépendants, mais une ligne aura été franchie », dit-elle.



Dans ce bastion nationaliste de 43 000 habitants à 60 kilomètres de Barcelone au pied des Pyrénées, la tenue du référendum ne fait guère de doute dans l’esprit de la population. Sur les 21 conseillers de la Ville, seulement trois ne sont pas indépendantistes. Mais personne ne sait ce qui se passera dimanche, admet la mairesse. Le vote sera-t-il suffisant pour proclamer l’indépendance dans les 48 heures, comme le prévoit la loi ? Si plusieurs en doutent, d’autres croient l’indépendance à portée de main.



Sur le terre-plein de la grande place centrale de Vic, la bannière du « Si » fait une trentaine de mètres de haut. On est ici au coeur de la Catalogne indépendantiste. Si un sondage récent montre que 83 % des Catalans souhaitent voter dimanche (à peine 12 % se disent opposés au référendum), à Vic, la proportion frise le 100 %. Car, ici, on vote nationaliste depuis toujours. Et cela, même si la ville accueille des citoyens de 92 nationalités différentes, précise Anna Erra.



Sur les balcons, c’est à qui affichera le plus ses couleurs. Même sur le fronton de l’église on peut lire : « Nous voulons être libres. » Contrairement au Québec, historiquement, le clergé catalan a toujours eu des sympathies indépendantistes.



Les maires cachent les urnes



Officiellement, la municipalité dit n’avoir rien fait pour organiser ce scrutin. Évidemment, la mairesse ne nous dira pas où sont cachées les urnes qui surgiront par magie dimanche matin. Car on sait que, malgré les lourdes peines encourues, la grande majorité des maires ont protégé les urnes et les bulletins de vote des perquisitions des gardes civils.



Pour éviter les sanctions contre les fonctionnaires, le travail a été confié à des bénévoles, explique Anna Erra. Lorsque la Generalitat a lancé un appel pour recruter 7235 bénévoles, plus de 50 000 personnes se sont proposées. « On pourra bien me mettre en prison, dit-elle. Je ne vois pas qui pourra dire à mes citoyens qu’ils n’ont pas le droit d’exercer leur droit de vote. » La mairesse est convaincue qu’il n’y aura pas la moindre violence dimanche. « Les Catalans sont un peuple pacifique. Si on nous empêche de voter, on en appellera à l’Union européenne. Le peuple se lèvera d’une autre façon. Mais le lien symbolique avec Madrid sera rompu. »



Résistance passive



Aux quatre coins de la Catalogne, la population se prépare à résister de mille et une façons. Dans les localités rurales, des agriculteurs se tiennent prêts à bloquer l’accès des villages aux policiers avec leurs tracteurs. À Barcelone, les étudiants sont prêts à faire des sit-in devant les bureaux de vote. Jeudi, le ministre de la Santé a annoncé que, si des écoles étaient fermées, les hôpitaux pourraient accueillir les urnes. On voit mal comment les policiers oseraient bloquer l’accès des hôpitaux.



Assis en rond sur la petite place de Gracia, en plein Barcelone, jeudi soir, les membres d’un de ces comités de citoyens étaient à mettre au point les dernières stratégies. Agnès, une jeune retraitée, sera debout aux premières heures dimanche pour s’assurer que l’on peut voter. « Je vous l’assure, le 1er octobre va entrer dans les livres d’histoire. »



Jordi Sole, porte-parole du plus ancien parti indépendantiste catalan, Esquerra Republicana, ne cache pas sa satisfaction. Après des années de traversée du désert, c’est le programme politique de son parti qui triomphe. Même l’ancien parti nationaliste Convergencia i Unio s’est converti à l’indépendance. Sole est convaincu qu’en interdisant le référendum, Madrid a encore accru le nombre de partisans du Oui. « Aussi étrange que cela puisse paraître, aujourd’hui, c’est nous les indépendantistes qui défendons le droit des partisans du Non de se prononcer démocratiquement. »



Ce référendum est légitime, car on a tout essayé avant, dit-il. Un peu comme l’accord du lac Meech était mort au Manitoba, en 2010, la Cour constitutionnelle espagnole avait tué dans l’oeuf le nouveau projet d’autonomie négocié pendant des années avec Madrid. Depuis, dit Sole, « nous avons demandé des dizaines de fois de rouvrir les négociations. La réponse a toujours été non. »



Pour Anna Erra, la Catalogne est à la croisée des chemins. C’est aussi le point de vue de l’historien Joan Culla, selon qui, si Madrid l’emporte dans le bras de fer actuel, l’avenir de la Catalogne pourrait s’assombrir. « À Madrid, dit Culla, on ne voit aucune perspective de réforme. Le seul parti qui a le vent en poupe et qui est en mesure de s’allier avec la gauche comme avec la droite pour former un gouvernement est Ciudadanos. » Or, ce jeune parti centriste est né en Catalogne expressément pour revendiquer la fin du régime scolaire d’intégration linguistique.



Pour une des premières fois depuis la mort de Franco, les Catalans s’inquiètent pour leur langue, dit Anna Erra. « Si ce référendum n’est pas victorieux, les nouvelles ne seront pas bonnes pour les Catalans. »



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