Avec le plan que propose Lucien Bouchard pour venir en aide aux universités, désormais, seuls les plus riches pourront être admis sans problèmes financiers dans le programme universitaire de leur choix, alors que les enfants de la classe moyenne devront s’endetter s’ils souhaitent étudier dans les programmes les plus contingentés. Pendant que papa et maman paieront les études de leurs riches progénitures, le gouvernement paiera pour les plus pauvres, laissant la classe moyenne, celle qui paie le plus d’impôt, à elle-même. Belle équité fiscale!
Une mesure tout à fait injuste, régressive, égoïste et inégalitaire, indigne de professeurs émérites d’université, d’anciens ministres, premier ministre, recteurs et présidents d’association étudiante.* Il faut vraiment avoir un esprit malveillant pour penser qu’il n’appartient qu’aux étudiants de payer la totalité de la facture laissée par les générations précédentes - on parle de 500 millions$ par année - pour le retard pris par les universités en raison de l’incapacité de leurs administrations et du gouvernement à bien les gérer, en particulier, la tâche des professeurs.
Pas besoin d’être professeur d'université ou avocat dans un grand cabinet de Montréal pour comprendre que si ceux qui ont un diplôme universitaire risquent de gagner de gros salaires, il y a de fortes chances que ceux qui ont de gros salaires soient déjà allés à l’université. Devant une telle évidence, on se demande bien pourquoi les étudiants devraient être les seuls à payer pour les retards que le réseau universitaire accuse depuis 1985.
Comme l’Université est un bien collectif qui profite à toute la société - pas seulement aux étudiants - il serait normal que ceux qui en ont le plus profité - les hauts salariés – paient plus d'impôts pour les supporter. Une solution à la fois juste et facile à laquelle aucun de ces sages n’a pensé, trop pressés qu’ils étaient de vouloir imposer un nouvel ordre dans la société québécoise, imitant le modèle inégalitaire nord-américain fondé sur la tarification des services, plutôt que le modèle égalitaire scandinave où les études universitaires sont gratuites et les impôts des plus riches élevés.
Ces personnalités* ne méritent tout simplement pas la note de passage, plutôt l’échec pour le devoir bâclé qu’ils nous ont livré et qui n'est certainement pas à la hauteur de l’intelligence qu’on attend normalement d’un groupe de personnes choyées par la société.
***
Alors que j’étais directeur de l’École du Barreau du Québec, j’avais eu l’opportunité d’être invité au Sommet de la jeunesse tenu à Québec en février 2000 et présidé par Lucien Bouchard, où j’avais pu échanger avec un de ses ministres (Joseph Facal si je me souviens bien). Je lui avais alors fait part de mes inquiétudes au sujet du financement des universités et de la gestion de la tâche des professeurs. Il me répondit que les contrats de performances de François Legault allaient régler tout ça, ce qui ne fût manifestement pas le cas!
Je lui avais pourtant suggéré qu’avant même de songer à hausser les droits de scolarité, il fallait sérieusement évaluer la gestion des universités, en particulier la tâche des professeurs, attirant son attention sur le programme de médecine de l’Université de Sherbrooke où les revenus de double emploi des professeurs devaient être versés à la faculté avant d’être partagé entre tous les professeurs au prorata de l’importance accordée à chacune des activités, l’enseignement et la recherche devant rapporter plus à chaque professeur que les activités de consultation et de conférence. Un modèle communiste de gestion des ressources qui permettait d'autofinancer les activités les moins lucratives, comme l'enseignement et la recherche fondamentale, par des activités plus lucratives comme les conférences et les activités de consultation.
Un modèle qu'aurait pu recommander le groupe de Lucien Bouchard, mais qui ne l'a pas fait parce que Me Lucien Bouchard n'avait pas la compétence pour évaluer la performance universitaire, accordant toute sa confiance aux consultants universitaires du CIRANO et de l'IEDM, membres de son groupe de signataires. Un modèle qui aurait amené ces derniers à partager leurs revenus de double emploi avec leurs collègues qui ont le mérite de se consacrer entièrement à leur tâche en retour de leur simple salaire de professeurs d'université.
Étonnamment, à l'exemple de ces personnalités*, certains professeurs qui défendent aujourd’hui l’idée de hausser sauvagement les droits de scolarité des étudiants universitaires font justement partie du problème en raison de leurs nombreuses activités de consultation externe en double emploi. Il faut savoir que depuis la fin des années 1980, plusieurs professeurs d’université s’assimilent à de petites entreprises, à l’image de ces nombreux professionnels qui n’exercent plus une profession, mais bien une industrie. Un fléau qui a conduit à l’échec des ordres professionnels à combattre le mercantilisme qui anime de plus en plus leurs membres. Les scandales financiers de l'UQAM, Norbourg, de la Ville de Montréal et de la CDPQ étant des exemples concrets du laxisme de nos ordres professionnels à contrôler leurs membres.
Parce que de nombreux professeurs d’université ont voulu imiter leurs collègues du privé, ils ont transformé l’Université en fabrique d’étudiants et ont engagé des chargés de cours afin de se dégager de leur enseignement et parfois même de leur recherche pour se consacrer à leurs activités les mieux rémunérées, à des taux parfois plus élevés que leur salaire de professeur, sans avoir à en rendre compte à la communauté universitaire.
Quand on sait que la charge moyenne d’enseignement des professeurs d'université est maintenant de 2.5 cours par année, c'est-à-dire moins de 3 heures d’enseignement par semaine à chacune des trois sessions d’été, d’automne et d’hiver et que plusieurs parmi ceux-ci ont des activités de service à la collectivité rémunérées, on constate que ce ne sont pas tous les professeurs qui se tuent à la tâche.
Un problème qui n’est pas nouveau et que les gestionnaires universitaires occultent volontairement depuis des années, soit parce qu’ils sont des professeurs qui voudront profiter du même privilège lorsqu’ils retourneront à leurs chaires, soit parce qu’ils sont des gestionnaires professionnels qui ne veulent pas se mettre à dos la caste des professeurs « entrepreneuriaux », ceux qui dirigent les universités.
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*Les signataires du pacte
Michel Audet, ex-ministre des Finances du Québec;
Lucien Bouchard, ex-premier ministre du Québec;
Joseph Facal, ex-président du Conseil du trésor;
Monique Jérôme-Forget, ex-ministre des Finances du Québec et ex-présidente du Conseil du Trésor;
Françoise Bertrand, présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec;
Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec
Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain;
Julie Bouchard, ex-présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et de la Fédération des associations étudiantes du campus de l'Université de Montréal (FAECUM);
Youri Chassin, ex-président de la Fédération étudiante de l'Université de Sherbrooke (FEUS), ex-vice-président aux Affaires universitaires de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et ex-membre du Conseil permanent de la jeunesse;
Hugo Jolette, ex-président de l'Association générale étudiante de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (AGEUQAT) et ex-trésorier de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ);
Patrick Lebel, ex-président de la Fédération des associations étudiantes du campus de l'Université de Montréal (FAECUM) et du Conseil permanent de la jeunesse;
Marcel Boyer, professeur émérite de l'Université de Montréal;
Pierre Fortin, professeur émérite de l'Université du Québec à Montréal;
Michel Gervais, ex-recteur de l'Université Laval;
Robert Lacroix, ex-recteur de l'Université de Montréal;
Claude Montmarquette, professeur émérite de l'Université de Montréal.
La caste
Hausse sauvage des droits de scolarité en vue?
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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3 commentaires
Raymond Poulin Répondre
24 février 2010La tarification des services de l’État et la taxation ne tiennent aucunement compte des revenus des citoyens et des corporations. C’est un modèle inégalitaire et inéquitable favorisant l’oligarchie internationale et la classe possédante, le modèle qui prévalait avant l’impôt progressif et qu’on ramène de plus en plus, partout en Occident, depuis trente ans, annulant progressivement toutes les mesures de justice sociale que l’oligarchie avait consenties afin d’exorciser le danger que représentait pour cette dernière l’attrait du socialisme, sous ses diverses formes, pour le peuple «ordinaire». Nous voilà revenus au libéralisme économique du XVIIIe siècle, imaginé, propagé et pratiqué par l’Empire britannique, soit le capitalisme sauvage et prédateur. L’ironie de la situation, c’est qu’il est aujourd’hui défendu avec acharnement, sur la place publique, par des universitaires, des professionnels et des gens d’affaires moyens qui, le plus souvent, doivent leurs diplômes et leur (relative) aisance au système qu’ils contribuent joyeusement à démolir. Beaucoup le font même par conviction sincère, aveuglés par la manipulation subtile de leur ego par les véritables manipulateurs. Bref, des domestiques à l’esprit servile qui se rengorgent dans leur livrée de majordome, qu’ils confondent avec une tenue princière. Une autre histoire de grenouilles qui espèrent devenir un jour aussi grosses que le boeuf en s’empiffrant de vent, qu’elles amalgament au nectar des dieux.
Anthony Garlando Répondre
24 février 2010Voilà que Lucien Bouchard en remet. Après sa description de l'état des lieux du Québec quant à la question de la souveraineté, le voici qui entre en scène avec quelques autres apologistes de la présumée lucidité. Les banques doivent se frotter les mains en ce moment.
J'ai du mal à croire que tout ceci a été orchestré ponctuellement, que Bouchard, Facal et Jérome-Forget se soient téléphonés tout bonnement pour un appel au ''bon sens'' alors que le ministre des finances, Raymond Bachand, parlait déjà cette semaine d'une révolution culturelle où le principe d'utilisateur-payeur serait le modèle privilégié dans un avenir rapproché. Remarquez qu'il s'est bien gardé de donner des informations sur le prochain budget qu'il déposera. Tout cela ressemble curieusement à un écran de fumée que le PLQ met à l'avant-scène pour se mettre à l'abri des critiques et lui permettre de poursuivre avec son agenda comme s'il s'agissait d'une nécessité logique de l'histoire du Québec.
Ce qui sidère encore plus, c'est que la population entonne les chants néolibéraux et acceptent, non seulement sans broncher, mais en APPLAUDISSANT ces mesures rétrogrades. On dirait qu'au Québec, le discours de la rectitude politique a été élevé jusqu'à être intronisé à hauteur de vertus telles que le courage. Les Pratte, Dubuc, Montmarquette et autres Grands Vizirs de la tarification et de la privatisation mâche et remâche, jours après jours dans leurs colonnes respectives, leurs thèses infectes tirées tout droit de l'IEDM. On dirait qu'au Québec, lorsque la plèbe perd du terrain, tout le monde applaudit, y compris les principaux intéressés.
Bourdieu, un célèbre sociologue français, a développé le concept de l'habitus, qui explique la nature du comportement humain en fonction de l'expérience de socialisation qui est intrinsèquement reliée à l'endroit ou il évolue. Il faut la distinguer d'une simple habitude, qui n'est que l'adoption d'un comportement donné de manière tout à fait ponctuelle. L'habitus nous en dit beaucoup plus sur l'origine, la culture, les règles et les normes sociales en vigueur dans l'endroit ou l'individu se développe. Ainsi, il n'est pas étonnant de constater que, depuis les années 1970, la mentalité peut-être un peu plus tributaire des idées Marxistes (remarquez, pas des idéaux marxistes, mais des IDÉES..) se soit étiolée. Ces tendances ont été le fruit d'années d'acharnement de la part de think tanks tels que l'IEDM, qui martèle sans relâche son discours remplis de raccourcis pour satisfaire la bourgeoisie et la classe possédante. Ces idées néolibérales sont devenus le leitmotiv de la classe moyennes et se sont élevés au rang d'habitus. Voilà comment et pourquoi elles se sont greffées de manière si durable dans l'esprit des Nord-Américains. Voilà pourquoi, lorsque la bourgeoisie se lève pour faire un appel au ''Gros Bon Sens'', les Québécois applaudissent. Comment pourraient-ils faire autrement qu'approuver alors qu'ils ne font qu'être appelés à sanctionner ce qu'ils sont, c'est-à-dire des êtres qui ont intégré ces idées jusqu'à les incarner ?
Bref, le moins que l'on puisse dire, c'est que tout porte à croire que les économistes-mercenaires et leurs sbires auront la peau des étudiants... !
Archives de Vigile Répondre
24 février 2010Futur cabinet du prochain gouvernement...
NT