La Caisse de dépôt et de placement (CDPQ) en perspective

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Chronique de Claude Bariteau

Texte publié dans Le Devoir du samedi 7 mars 2009 sous le titre "La Caisse de dépôt doit d'abord servir ses membres"
Au cours des prochains mois, la Caisse de dépôt et de placement (CDPQ) sera l'objet de suggestions pour réviser les attentes à son égard, peut-être aussi son mode de fonctionnement. Avec les pertes de 2008, la population est insatisfaite, les organismes membres aussi. Pour les éponger sans hausser les cotisations, il faut un rendement moyen de 10% sur dix ans, ce qui nécessiterait de reconduire la politique actuelle. Or, pour plusieurs, elle est la cause du problème.
Depuis 2003, le gouvernement incite les dirigeants à miser sur de hauts rendements pour combler l'écart entre un rendement moyen (4%) avant l'ère Rousseau et le rendement recherché (7%) afin d'éviter des hausses majeures des cotisations découlant de changements démographiques. Pour atteindre cet objectif, les dirigeants ont élevé le niveau de risque. Dans tous les portefeuilles, les gestionnaires ont cherché à battre l'indice de référence. Plus ils le dépassaient, plus leur revenu augmentait, ce qui refroidit alors leur aversion aux risques.
Gains effacés
Pour le gouvernement, l'atteinte d'un tel objectif diminue ses débours et minimise la hausse des cotisations. Politiquement, c'est gagnant. Dans le cas contraire, il n'a qu'à refiler la facture aux Québécois et aux cotisants (employés, assurés et employeurs) qui, de toute façon, auraient payé plus ou auraient vu leurs rentes et leurs assurances se détériorer. Or, c'est précisément ce qui s'est produit en 2008. Les gains réalisés depuis 2003 ont disparu et il y a des pertes, notamment à cause des PCAA non bancaires et de la couverture du taux de change. Les chiffres officiels sont maintenant connus: -25% de rendement avec des pertes de 39,6 milliards $.
Or, tout ça étant prévisible en octobre 2008, le gouvernement déclenche des élections à la hâte afin d'éviter la grogne des électeurs. Le PLQ se fait élire. Depuis, ce parti est maintenant celui qui doit solutionner le problème. C'est ici que les choses se corsent. Et se corseront davantage si c'est fait sans jauger correctement l'univers financier du Québec dans lequel opère la CDPQ et si les rapports entre l'État, la CDPQ et ses membres demeurent les mêmes. Pour comprendre ces points, un recul s'impose.
La CDPQ est créée en 1964 en même temps que le RRQ. S'y joignent des régimes de retraite de la CARRA, dont le RREGOP, plus tard la CSST, la SAAQ, d'autres institutions et régimes puis le Fonds d'amortissement des régimes de retraite (FARR). Actuellement, la CDPQ regroupe 28 organismes, dont sept détenant 97% des actifs. À ses débuts, il y avait peu de sorties de fonds, car peu de retraités. Elle joue alors le rôle d'une Banque centrale, ce qu'elle n'est pas, en achetant les obligations du Québec. Les dépôts étant en hausse, elle sert de levier pour québéciser des pans de l'économie provinciale et, à l'occasion, protège des investissements locaux, ce qui n'est pas sa finalité. Depuis, elle est devenue une firme de gestion active, ce qui n'est pas sa mission.
Côté gouvernance, la CDPQ a une marge d'autonomie. Si le PDG et le président du CA sont nommés par le gouvernement et qu'il revient à ce dernier de baliser ses lignes directrices (privilégier le rendement sans minimiser l'investissement local ou l'inverse), les dirigeants ont le feu vert pour opérer. Quant aux dépositaires, ils sont des clients captifs ou à contrat. Dans les deux cas, ils ne supervisent pas les gestionnaires de leurs portefeuilles. Chacun d'eux adopte une politique de placement. Il revient à la CDPQ de l'activer et d'aviser si les balises des politiques sont débordées. Il découle de cela que les gestionnaires ne rendent des comptes qu'aux membres du CA, qui ne sont pas les délégués des dépositaires.
Pierre d'assise ou contributeur?
Cela étant, chercher une façon de réaligner le tir à l'intérieur du cadre actuel d'opération n'est pas l'approche la plus prometteuse. Mieux vaut se demander si les règles de gouvernance sont toujours appropriées et s'il appartient à la CDPQ d'être l'assise de l'essor économique du Québec plutôt que simplement y contribuer.
S'agissant de gouvernance, le choix du PDG et du président devrait relever des deux tiers des députés de l'Assemblée nationale. L'ingérence politique serait du coup neutralisée. Quant au CA, il devrait être composé en majorité des délégués des organismes membres. Exit les «amis», les «sages» et autres figurants comme décideurs, ce qui n'empêche pas de recourir à des experts. Aux organismes membres d'assurer le suivi de leurs placements en se dotant d'outils appropriés et obligation faite à la CDPQ de transmettre aux deux mois un rapport à une commission permanente d'élus. Tout deviendra alors transparent.
Servir ses membres d'abord
Avec ces mesures, la CDPQ sera ce qu'elle doit être: un organisme de placements pour ses membres. Mais pas, à l'occasion, une Banque centrale, un levier, une Banque de développement ou une firme de gestion active. Quoi qu'en disent d'anciens gestionnaires, la CDPQ n'a plus devant elle un horizon qui permet qu'elle redevienne ce qu'elle fut ou soit autre chose. Elle doit se consacrer à sa mission première : servir ses membres sous le regard d'élus qui agissent au nom de la population.
Au Québec, le cadre financier est provincial. On le sait, mais on a tendance à l'oublier. Pays, le Québec dispose d'une Banque centrale, d'une Autorité des marchés financiers plus mordante, possiblement d'accords pour participer à la régulation de la monnaie qui a cours, aussi d'une Bourse digne de ce nom, d'une Banque de développement, d'un Office de supervision des investissements, d'une politique à cet effet, etc. De plus, il y a des firmes spécialisées dans le placement et des programmes de formation en conséquence. Il en découle que le peuple québécois a les outils pour soutenir son développement économique.
Lorsqu'on analyse l'histoire des interventions économiques de la CDPQ, force est de constater qu'en leur absence, elle fut incitée à compenser. Le dossier des PCAA non bancaires le révèle sous différents angles. S'il est important de savoir pourquoi la CDPQ a acheté autant de titres de Coventree plutôt que ceux des fiducies des banques canadiennes, dont la Banque centrale a facilité l'échelonnement, il l'est plus, je pense, de réfléchir sur les règles de gouvernance et l'absence d'outils appropriés. Tout simplement parce qu'une gouvernance plus responsable et des institutions adéquates auraient permis de mieux contenir les dérives actuelles, y compris les précédentes.
Avec le PLQ au pouvoir, la création d'outils dont se dotent des pays est inimaginable. Ce parti oeuvre à contrer l'indépendance du Québec, estimant même que la prise du pouvoir provincial est le meilleur moyen. Il peut par contre revoir la gouvernance de la CDPQ. Quant aux autres partis, il leur revient, en plus, de concevoir ces outils, car, en leur absence, on rêve au Québec de faire de grandes choses avec des instruments inappropriés. Puis, le bec à l'eau, on s'esquinte à rafistoler alors qu'il importe de construire à neuf.
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Claude Bariteau
Anthropologue, l'auteur a été président d'un régime de retraite, fiduciaire et président d'un fonds commun de placement

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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