Depuis que le gouvernement Charest a autorisé le cégep Saint-Laurent et son voisin anglophone, le collège Vanier, à mettre leurs ressources en commun pour offrir des programmes bilingues, comme il en existait déjà dans plusieurs établissements privés, cette pratique n’a cessé de s’étendre.
Le phénomène ne se limite pas à Montréal, où on peut toujours faire valoir qu’il vaut mieux voir les allophones poursuivre leurs études dans les deux langues plutôt que de les voir le faire uniquement en anglais, mais également à Québec, dont la proportion d’anglophones est d’à peine 1 % et où le problème d’intégration des immigrants ne se pose pas.
Dans un texte paru d’abord dans L’Action nationale et republié mardi dans Le Devoir, un professeur de français au collège Bois-de-Boulogne, Nicolas Bourdon, déplorait que les cégeps ne soient soumis à aucune norme nationale en matière de langue d’enseignement et qu’ils se prévalent de leur autonomie pour s’arracher les étudiants en rivalisant de bilinguisme.
Le débat sur l’autonomie des cégeps n’est pas nouveau. En 2004, bien avant que se pose la question de la langue, une coalition formée de syndicats d’enseignants, d’associations de parents et de la Fédération étudiante collégiale (FECQ) s’était déjà opposée à une décentralisation qui risquait de transformer les divers établissements du réseau collégial « en petits ghettos repliés sur eux-mêmes » sans perspective globale.
Il est sans doute regrettable de voir les cégeps profiter de leur marge de manoeuvre pour se lancer dans la « course à l’anglicisation » que dénonce M. Bourdon, mais cette dérive n’est possible qu’avec l’aval du gouvernement, qui n’impose pas non plus de limite à la croissance des cégeps anglais, dont la majorité des étudiants ne sont pas des anglophones, alors que la clientèle des cégeps français ne cesse de diminuer.
Personne ne se surprendra qu’un gouvernement libéral autorise, voire encourage, la création de diplômes d’études collégiales (DEC) bilingues. Durant son bref mandat, le gouvernement de Pauline Marois n’avait cependant rien fait pour l’empêcher.
Il est vrai que le programme du PQ prévoyait à l’époque d’étendre les dispositions de la loi 101 au cégep, ce qui aurait réglé la question. On ne saura jamais si Mme Marois aurait osé le faire si elle avait disposé d’une majorité à l’Assemblée nationale.
D’entrée de jeu, Jean-François Lisée a estimé que le coût politique d’une telle mesure serait trop élevé. Plutôt que d’interdire aux francophones et aux allophones l’accès au cégep anglais, le nouveau programme du PQ propose plutôt d’augmenter l’enseignement de l’anglais dans les cégeps français, autrement dit de les rendre moins français, dans l’espoir que cela les satisfasse. Les DEC bilingues procèdent du même esprit.
Il ne faut pas compter sur un gouvernement Legault pour y faire obstacle. Son « nouveau projet pour les nationalistes du Québec » propose bien d’accroître l’utilisation du français sur le marché du travail, mais la CAQ estime néanmoins que les DEC bilingues répondent aux besoins des entreprises. Il est vrai qu’elle n’est pas à une contradiction près. La société québécoise non plus.
À partir du moment où les directions d’établissement et le gouvernement s’entendent pour favoriser la bilinguisation des cégeps, l’opposition ne peut venir que de la société civile, dont il ne faut jamais sous-estimer le poids.
Il y a un an, Le Devoir avait révélé que le cégep Bois-de-Boulogne et le collège Dawson s’étaient entendus en catimini pour offrir conjointement un DEC bilingue en sciences de la nature. De nombreux enseignants et parents d’étudiants, furieux d’avoir été tenus dans l’ignorance de ce projet, ont manifesté leur mécontentement et forcé son abandon.
Il est évident que la mondialisation et la généralisation de l’utilisation de l’anglais qui en résulte posent un défi pour de nombreuses langues sur la planète.
La plupart d’entre elles peuvent toutefois compter sur la protection d’un État qui dispose des pouvoirs nécessaires. Voisin immédiat du géant américain, le Québec doit composer au surplus avec le bilinguisme dont le gouvernement fédéral se fait l’ardent promoteur.
Dans l’esprit de ses concepteurs, la Charte de la langue française était simplement le prélude à la souveraineté, qui allait conférer à l’État québécois le poids qui assurerait la pérennité du français. De toute évidence, ce n’est pas pour demain.
> Lire la suite sur Le Devoir.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé