D'ailleurs, on pourrait considérer la pratique de cet organisme à ce que Normand Baillargeon appelle un « terreau propagandiste », se référant à ce que le journaliste Walter Lippmann disait de la Commission Creel. Il écrit : « Une révolution dans la pratique de la démocratie» où une « minorité intelligente », chargé du domaine politique, est responsable de "fabriquer le consentement" du peuple, lorsque la minorité des "hommes responsables" ne l'avaient pas d'office. » (1)
Suite à la petite visite de deux commissaires au bureau du lobbyiste Jean Charest, alors au service de la firme Énergie Est, le doute s'est installé. Il n'y a plus, pour ainsi dire, de probité intellectuelle et de pertinence dans la démarche de l'ONÉ, comme on dirait qu'il n'y a plus d'apparence de justice. L'Institution, ne l'oublions pas, a le mandat d'aviser le gouvernement fédéral quant à l'opportunité d'autoriser ou non le projet d'oléoduc lequel est pour le moins sérieusement remis en question. La récusation des trois commissaires ne change en rien le fond de la question et n'élimine pas le doute qui est maintenant en place.
Quant à Énergie Est, son acceptation sociale, selon la nouvelle expression à la mode, n'est toujours pas acquise. Non seulement la plupart de groupes écologistes ont de sérieuses réserves : trop de questions sur les impacts écologiques, la fiabilité et la sécurité du projet d'oléoduc sont demeurées en suspens malgré les réponses rassurantes de l'industrie. Même le politique a perdu confiance dans la démarche de l'ONÉ.
«La démocratie s'effrite quand le citoyen responsable sent qu'on veut faire de lui un simple spectateur.»
De plus, ce n'est pas la petite sortie médiatique, en dehors de l'enceinte des audiences publiques de l'Office, de la Chambre de commerce acoquinée pour la circonstance à la FTQ qui allait faire avancer le dossier. Ils ont simplement repris la litanie du néolibéralisme ambiant, annonçant sans sourciller que le projet Énergie-Est aurait des retombées au Québec de 55 milliards de dollars et créerait des milliers d'emplois. Or, ce sont des chiffres orphelins dont on ne sait pas d'où ils sortent, lesquels contrastent drôlement avec les conclusions des autorités américaines dans le cadre du projet d'oléoduc Keystone : peu de retombées économiques le long du parcours de l'oléoduc et très peu d'emplois permanents, mais que de retombées « écologiques » potentielles !
La démocratie s'effrite quand le citoyen responsable sent qu'on veut faire de lui un simple spectateur. C'est alors qu'il commence à ne plus faire confiance aux institutions fondatrices de toute démocratie : le système judiciaire avec ses retards indus qui compromettent l'exercice même de la justice, les commissions d'enquête à la crédibilité entachée, des parlements où circulent des odeurs de corruption, etc. et des chefs de gouvernement enfermés dans la gestion du bien public (éducation, santé, etc.) aux fins ultimes d'une réélection.
Quand sur tout projet de société, on sent que derrière le débat public qui en découle, se profile une industrie de relations publiques ayant reçu le mandat ferme de fabriquer ou façonner et contrôler l'opinion publique jusqu'au vote de la populace, le doute, un doute sérieux s'installe dans beaucoup d'esprits, en plus du cynisme.
(1) Baillargeon Normand, «Petit cours d'autodéfense intellectuelle», Lux Éditeur, 2005, 2006. La Commission Creel, «a été créée (par le gouvernement) pour amener la population américaine, majoritairement pacifiste, à entrer en guerre». P. 277
* Les auteurs sont des retraités habitant Québec et Montréal. Normand Chatigny a œuvré sur la scène municipale et fut maire de Cap Rouge. De 2001 à 2005, il fut membre du Comité exécutif de la Ville de Québec. Denys Larose et Jean-Noël Tremblay ont été directeurs généraux de collèges (Cégep de Sainte-Foy et Campus Notre-Dame-de-Foy). Michel Héroux a œuvré en information et en communication durant toute sa carrière, et il est retraité de l'Université Laval.
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