L’indélicatesse

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Ta gueule l'artiste

Je me contrefous de ce qu’a dit Claude Legault au Gala Artis. Est-ce qu’il exagère ? Est-ce vrai que la culture est largement épargnée par les mesures d’austérité de rigueur budgétaire du gouvernement ?

Ça se peut. Ça se discute.

Être un artiste ne devrait cependant pas le priver de monter au créneau pour défendre autre chose que le maintien des avantages consentis à son clan. Si cela ne l’exempte pas non plus de faire preuve d’exactitude, il est en droit de considérer qu’il fait un peu froid, ces jours-ci, au Québec. Et que ça n’a rien à voir avec le printemps tardif.

Mais comme on disait, je m’en fiche un peu.

Ce qui est fascinant, c’est la réaction. Pas celle, trop prévisible, des habituels chantres de la droite économique qui brandissent bien haut le gros bon sens de mononc’ Gaston. Plutôt cette réponse du libéral Serge Simard, qui traduit parfaitement l’idée que se fait toute une tranche de la population des artistes, de leur rôle, et finalement de ce qu’est le discours public.

Selon le député de Dubuc, donc, Claude Legault aurait manqué à son devoir de réserve ; en remportant un prix qui lui est décerné par le public, il était tenu de s’abstenir de tout commentaire litigieux, par respect pour ses fans qui ne partageraient pas ses opinions.

Je paraphrase, mais tout est là.

Selon la logique de M. Simard, l’artiste consensuel est condamné au silence. Qu’il divertisse, qu’il fasse le clown, qu’il égaye ou plombe un peu (parce que 19-2, c’était pas la joie) nos soirées de télé à travers des fictions qui nous font vivre une myriade de sentiments par procuration : c’est très bien. Mais il n’a pas le droit de décevoir ceux qui l’aiment en leur rappelant qu’il n’est peut-être pas d’accord avec eux.

Rappelons ici une chose : M. Simard ne déconstruit pas le discours de l’artiste. Il ne précise pas s’il se trompe et n’expose pas non plus de quelle manière.

Il lui dit : ta gueule, Chose. C’est pas le moment.

Alors c’est quand, le bon moment, Monsieur le Député ? Quand personne n’est là pour entendre ?

Évidemment que la réaction est partisane. Mais cette manière de faire taire en réclamant le respect expose autre chose qu’un biais politique. C’est un malaise qui émane d’une vision d’un monde du divertissement bien lisse, où le gala est un îlot de joie et de bonheur pour tous, ne laissant voir que la surface chromée de cette fabrique à rêves.

En s’exprimant publiquement de la sorte, Claude Legault fait preuve d’une indélicatesse opportune, puisqu’il est à peu près temps que ce milieu qui manie si brillamment la bitcherie en privé cesse de mettre des gants blancs en public, de peur de froisser, ou par crainte que les préposés au cassage de sucre sur le dos des artistes gauchistes donnent la réplique.

Et puisqu’on en parle, si on peut déplorer que les médias populistes manufacturent la provocation, on commet une erreur en se réfugiant dans la nuance excessive qui finit par étouffer, par tout relativiser.

Si bien qu’à la fin, plus personne ne donne son opinion. Sauf ceux qui sont payés pour.

À la différence de ceux-ci, le comédien ne tire aucun profit de la controverse qu’il provoque. Le député Simard l’a parfaitement exposé : l’artiste heurte les sensibilités d’un public qui ne voit plus l’indécence des journaux à potins, des magazines qui dévoilent l’intimité des vedettes et étale le vécu d’inconnus dans ses téléréalités artistiques, mais s’irrite un brin qu’on vienne parler de politique dans SON gala.

J’ignore si cette sortie permet d’élever le débat démocratique. J’en doute un peu. Mais elle a au moins le mérite d’extraire ce rassemblement artistique de son habituelle tarte aux pommes de bons sentiments.

Et puis on ne peut que se féliciter si l’idole du peuple vient un peu l’ébranler. Ça ne peut pas nuire. Surtout quand celui-ci a élu Denis Lévesque comme meilleur animateur d’une émission d’affaires publiques.


On nage un peu dans les mêmes eaux en ce qui concerne le refus de certains auteurs de plébisciter l’hommage que souhaite rendre la société littéraire PEN à Charlie Hebdo : ce souci d’éviter la controverse, de marcher sur des oeufs jusqu’à ne plus toucher terre. Surtout lorsqu’il s’agit de heurter les croyances des autres. Si bien qu’on en vient à oublier l’essentiel.

17 personnes tuées. 10 de chez Charlie Hebdo. Par des forcenés armés.

Des gens assassinés pour leurs idées, des gens qui se savaient en danger, et continuaient de se battre pour que le droit de tous ne se substitue pas à la morale étriquée de quelques-uns.

Il paraît que la liberté de presse ne s’est jamais aussi mal portée en 10 ans. À cause des intérêts politiques et économiques des patrons. À cause de la répression des mafias, des milices, des dictatures. Sûrement un peu, aussi, à cause de tous ces gens supposément brillants qui ont si peur de choquer que cela les rend parfois idiots.


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