Une porte peut être ouverte et fermée en même temps, nous a dit hier la Cour suprême.
Les règles paraissaient pourtant claires: on a le droit d'aller à l'école anglaise au Québec ou on ne l'a pas.
La Charte de la langue française prévoit que seuls les enfants dont un des parents a fréquenté l'école anglaise au Canada pendant son primaire peuvent aller à l'école anglaise.
Donc, les immigrants et les francophones n'y ont pas droit.
Mais quelques astucieux ont trouvé il y a longtemps un truc pour contourner la loi. Ils envoient leur enfant dans une école entièrement privée anglophone pour leur première année. Ces enfants sont donc techniquement des élèves canadiens qui ont fait la majeure partie de leur enseignement en anglais, et hop, ils ont droit à l'école publique ou subventionnée anglaise, comme les petits anglophones «de souche».
Au départ, le truc était confidentiel et ne touchait que quelques dizaines, puis quelques centaines d'enfants. Ils allaient dans une de ces maisons huppées à 20 000$ par année et se créaient un droit constitutionnel linguistique pour des générations.
Au fil des ans, le phénomène a pris de l'ampleur. On dénombrait dans les écoles privées non subventionnées 2100 élèves non admissibles à l'école publique anglaise (1,5% de la clientèle scolaire anglophone québécoise). Il y a deux ans, ils étaient 4000. Tous ne passent pas nécessairement dans le réseau public, mais on voit une nette progression. Entre 1997 et 2002, environ 4000 élèves ont fait le saut après un détour au privé.
Le phénomène a tellement progressé qu'il s'est créé quelques institutions plus ou moins bidon uniquement pour construire des «passerelles» vers le réseau anglophone. Ces écoles, dans certains cas, accueillaient les jeunes élèves pour quelque mois, voire quelques semaines seulement.
Le grossissement du phénomène a amené Québec à modifier la loi en 2002. Désormais, le séjour dans une école totalement privée ne serait plus considéré pour déterminer si un élève a fréquenté l'école anglaise.
Cela semble logique, en effet: si on n'a pas le droit de fréquenter l'école anglaise, au nom de quoi, en payant son entrée dans une institution privée, peut-on s'acheter ce droit linguistique?
Des parents, financés par les commissions scolaires anglophones, ont contesté devant les tribunaux la constitutionnalité de cette restriction. La Cour d'appel du Québec leur a donné raison dans une décision partagée. Mais hier, c'est à l'unanimité que sept juges de la Cour suprême leur ont donné raison, sous la plume du juge Louis LeBel.
Le juge LeBel reconnaît de nouveau l'importance et la légitimité de la Charte de la langue française. Mais pour lui, l'interdiction des passerelles est si absolue et sans nuance qu'elle n'est pas raisonnable.
En effet, les restrictions quant à la fréquentation de l'école anglaise sont une limite au droit linguistique des francophones et des immigrants. Mais cette limite est jugée raisonnable, étant donné la situation unique du français en Amérique du Nord.
S'agissant des élèves qui fréquentent l'école privée anglaise, l'interdiction de considérer ce parcours fait en sorte de «tronquer la réalité», dit le juge LeBel, car ces enfants ont effectivement fréquenté l'école anglaise. De leur point de vue, ils ont bel et bien un parcours scolaire anglophone et la Charte des droits et libertés ne fait pas de distinction entre l'école privée et l'école publique.
Par contre, le juge reconnaît qu'on pourrait exclure des enfants ayant fréquenté des institutions créées «dans le seul but de qualifier artificiellement des enfants pour l'admission dans le système d'éducation anglophone».
Il déplore que l'interdiction soit totale, et ne permette donc pas de faire du cas par cas.
M'est avis que c'est plutôt son raisonnement qui tronque la réalité. Que ce soit dans une école bidon ou dans une chic école de Westmount, si un élève entre et sort après un mois, un an ou cinq ans, pourquoi se créerait-il un droit linguistique qu'il n'avait pas en naissant?
Dans les deux cas, on qualifie artificiellement un enfant.
Qu'importe, le juge LeBel estime que cette interdiction est une réponse «disproportionnée» à un problème somme toute mineur quand on considère l'ensemble de la clientèle scolaire, même s'il reconnaît que le phénomène va croissant.
Il faudrait, dit-il, pouvoir évaluer chaque cas individuellement. On n'en aura donc pas fini de sitôt avec la judiciarisation de ces affaires, du tribunal administratif en révision bureaucratique en requête en Cour supérieure et le reste!
Comme, avec le juge LeBel, les choses ne peuvent jamais être tout à fait simples, il n'invalide pas tout de suite la loi. Car le juge LeBel reconnaît «les dangers que l'expansion illimitée des écoles privées non subventionnées pourrait présenter». Le gouvernement a un an pour la redessiner. On pourra exclure certains parcours selon le type d'institution, mais, dans tous les cas, l'interdiction ne pourra être absolue.
Cette distinction me semble illogique et artificielle. Et l'objet d'une opinion politique de la cour plus que d'une logique juridique. Une opinion que je traduirais comme ceci: bof, ce n'est pas si grave, arrêtez d'exagérer.
La solution n'est pas, comme le suggère la SSJB, dans l'application de la Charte de la langue aux écoles privées anglaises. Ce serait manifestement inconstitutionnel. J'ose croire qu'il est possible de récrire l'interdiction de manière très serrée.
Mais comme a dit Christine St-Pierre hier, c'est décevant et choquant. Car cette interdiction des passerelles (sauf cas humanitaires) n'est rien d'autre qu'une justice égale pour tous.
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