L'esprit de Trudeau

S. Dion, chef du PLC

Pour qui aime la politique, un congrès à l'investiture est comme une finale de la Coupe Stanley: les meilleurs joueurs s'affrontent, le suspense est au rendez-vous et tout peut arriver. Le congrès du Parti libéral du Canada, tenu le week-end dernier, a rempli cette promesse. Personne n'avait prédit l'élection de Stéphane Dion. Qu'est-ce qui peut expliquer ce résultat-surprise?
Plusieurs commentateurs ont déjà évoqué les effets de stratégie. Le ralliement de Gerard Kennedy à Dion au troisième tour a porté un coup fatal au camp de Bob Rae. D'aucuns supputent qu'une alliance entre Rae et Ignatieff, à ce moment-là, mais qui aurait forcé l'un d'eux à faire un sacrifice personnel, aurait pu bloquer le candidat québécois. Cela est peut-être vrai, et d'autres que moi sont bien plus habiles à échafauder des stratégies de type militaire. Mais il me semble que trois autres facteurs aient influencé plus profondément le résultat du vote.
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D'abord, Stéphane Dion a sans aucun doute joui de son enracinement dans le parti, face au globe-trotter Ignatieff, à l'ancien néo-démocrate Rae et au transfuge (du Parti libéral ontarien) Kennedy. Recruté par Jean Chrétien en 1996 (comme Trudeau l'avait été par Pearson en 1965), ministre vedette (contre toute attente) de Paul Martin à l'Environnement, Dion n'a pas attendu qu'on lui ouvre la grande porte du leadership pour prendre le risque de la politique.
Loyal à son parti, persévérant même lorsque Paul Martin aurait aimé se débarrasser de lui, efficace dans les tâches que deux chefs lui ont confiées, Dion avait gagné le respect des militants.
Les deux autres facteurs qui ont favorisé Dion me semblent tous les deux liés à ce que j'appelle l'esprit de Pierre Elliott Trudeau. Car ce congrès fut aussi une célébration de la doctrine trudeauiste, celle d'un Canada fort et uni voué à l'établissement d'une société juste. Dion n'a pas été élu grâce à l'appui de l'establishment, qui lui avait préféré ses deux principaux adversaires, mais grâce à son adhésion à l'orthodoxie.
Le premier élément de doctrine est bien sûr lié à la position du PLC sur la question du Québec. Dion est le défenseur le plus crédible d'une position rigide par rapport au Québec, refusant de reconnaître quelque pouvoir politique particulier à la nation «sociologique» québécoise. L'aire de jeu des Québécois, comme le disait Trudeau, s'étend d'un océan à l'autre où l'on peut réussir, comme l'a répété Dion samedi soir, même en parlant anglais avec un accent français. On aurait cru entendre Jean Chrétien.
Un homme politique ne peut pas devenir chef de son parti s'il va à l'encontre de la pensée partagée par la majorité de ses membres. C'est comme si l'on souhaitait qu'un fédéraliste devienne chef du Parti québécois.
Michael Ignatieff a commis l'erreur, en proposant la reconnaissance du Québec comme une nation, de prendre son parti à contre-pied. L'élection de Stéphane Dion, l'appui accordé par l'autre candidat trudeauiste, Gerard Kennedy, et de son plus célèbre supporter, le fils de Trudeau lui-même, Justin, indiquent clairement où loge le PLC, pour qui en doutait encore...
L'action politique de Pierre Elliott Trudeau ne peut pas être réduite à la question constitutionnelle. Trudeau a incarné l'esprit progressiste de son temps au Canada en mettant le respect de la liberté individuelle et la valeur de l'égalité des chances au coeur de son programme en 1968. Il proposait alors ce qu'il appelait une «société juste». Le Canada lui semblait, écrivit-il, «un pays béni des dieux pour poursuivre une politique de plus grande égalité des chances».
Stéphane Dion se présente lui aussi comme l'homme qui incarne l'esprit progressiste de son temps avec son programme axé sur le développement durable. Pour lui aussi, le Canada semble béni des dieux pour poursuivre une politique exemplaire.
Les libéraux trouvent donc en Dion, un homme loyal au parti et à son orthodoxie idéalisée, la poursuite du rêve trudeauiste d'un Canada fort, destiné à réaliser les aspirations les plus nobles de l'humanité. En comparaison, Rae paraissait opportuniste et Ignatieff, infidèle.
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Des libéraux du Québec craignent que leur nouveau chef n'échoue à réconcilier le PLC avec le Québec à cause de ses positions rigides sur la question québécoise. Pour la même raison, des souverainistes jubilent.
Je voudrais signaler quelques faits. Jean Chrétien souffrait du même «handicap». Il était, pour reprendre le mot de Jacques Parizeau, le «vilain» du western canado-québécois. Or aux élections de 2000, les libéraux de Jean Chrétien ont obtenu 44,2 % des suffrages contre 39,9 % pour le Bloc québécois.
À cette époque, Ottawa pratiquait une politique dure envers le Québec, alors dirigé par Lucien Bouchard. Stéphane Dion était ministre des Affaires intergouvernementales et il venait de faire adopter la Loi sur la clarté.
Ce n'est qu'après la révélation du scandale des commandites que les libéraux ont recommencé à perdre des plumes au Québec. Or Dion fut épagné par ce scandale. Bien sûr, rien n'est gagné pour ce nouveau chef-surprise. S'il est fidèle à l'orthodoxie trudeauiste, il n'a ni le panache, ni le charisme, ni le sens tactique de Pierre Elliott Trudeau.
Il pourrait aussi lui arriver la même chose qu'à André Boisclair au Parti québécois: incarner la promesse d'un nouvellement du parti dans le respect de sa doctrine, mais échouer au test de la realpolitik.
Il est vrai que Dion est plus mature qu'André Boisclair qui non seulement affiche un manque flagrant de jugement, mais est encore régulièrement surclassé, dans les débats d'actualité, par les autres chefs souverainistes qui n'ont pas désarmé.
michel.venne@inm.qc.ca

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Michel Venne35 articles

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Directeur général Institut du Nouveau Monde

Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.





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