L'espoir

Primaires américaines 2008



Quelle est la dernière fois où vous avez eu des frissons en écoutant un discours politique? Mais vraiment des frissons, je veux dire la gorge serrée, les yeux humides, à vous demander qu'est-ce qui m'arrive tout d'un coup?

Depuis Barack Obama, j'ai eu plusieurs de ces dernières fois.
J'étais à la librairie de l'Université de Montréal, l'hiver dernier, où j'achetais le premier livre d'Obama, Les rêves de mon père, écrit dans sa jeune trentaine et réédité cette année.
Une étudiante dans la file se penche pour voir le livre. «Vous aimez Obama?» Plutôt, oui. «Moi aussi; le seul qui m'a fait cet effet-là, c'est René Lévesque dans les documentaires.»
Quand une étudiante de 20 ans vous dit ça, deux conclusions s'imposent: un, vous êtes tellement vieux que la plupart des politiciens de votre jeunesse sont disponibles uniquement sous forme documentaire; et deuxièmement, l'émotion politique de qualité ne court pas les rues.
J'en entends me répondre que, justement, Obama excelle dans l'émotion, dans le spectacle, en somme, mais que question contenu, c'est plutôt léger.
Ces gens-là n'ont pas lu Les rêves de mon père. Tout ce que Barack Obama dit depuis un an est là, en germe. Et en action.
Tout son engagement politique profond, de la rue à New York et Chicago jusqu'à la candidature pour la présidence. Les thèmes étaient présents il y a 20 ans, en particulier cette rage de justice sociale. «Changement», ce n'est pas qu'un slogan, c'est le projet qu'il avait comme travailleur communautaire dans les quartiers pauvres de Chicago à 25 ans.
Tout y est, même le révérend Wright, qu'il cite en 1988: «C'est notre monde, un monde où les bateaux de croisière jettent plus de nourriture en une journée que les habitants de Port-au-Prince n'en voient en une année, où la cupidité des Blancs dirige un monde de pauvreté, l'apartheid dans un hémisphère, l'apathie dans l'autre hémisphère Tel est le monde! Le monde sur lequel est assis l'espoir!»
Quand on suit le parcours remarquable d'Obama, on saisit fort bien ce qui l'a attiré vers ce pasteur qu'il a dû répudier le mois dernier, pour cause de propos incendiaires par trop anti-Blancs. On le comprend aussi dans le discours remarquable, et à mon sens historique, qu'Obama a livré après qu'on eut voulu l'associer aux propos de Wright: ce refus de renier ce qu'il est, et qu'il a cherché et approfondi si longtemps; et cette recherche d'unité nationale, dans le sens d'un dépassement des conflits historiques.
Ce pays a une fascinante capacité de retourner à sa fondation pour se réinventer périodiquement, et Barack Obama est la plus récente incarnation de ce génie américain.
Né à Hawaii d'une mère blanche, originaire du Kansas, et d'un père kényan qui l'a abandonné à 2 ans, élevé par ses grands-parents blancs, Obama a vécu de 6 à 10 ans en Indonésie. Sa mère s'était remarié avec un Indonésien qui pratiquait un islam mêlé de rites animistes et hindous. De retour à Hawaii quand sa mère s'est séparée, il n'a revu son père que pendant un mois, à 10 ans. Puis, ce diplômé d'Harvard est reparti faire sa vie et une autre famille au Kenya, où il fut conseiller économique du gouvernement. De temps en temps, il envoyait une lettre, que le fils gardait précieusement. Il est mort dans un accident d'auto à 46 ans, en 1993.
De moi, tu n'as que les sourcils, disait sa mère; ton cerveau, ton caractère, c'est de lui.
Ce livre de 1995, commandé à Obama après qu'il fut devenu le premier rédacteur en chef noir de la Harvard Law Review, est donc la quête du père et l'histoire d'une identité complexe, reconstruite et assumée.
Il n'a peut-être pas été secrétaire d'État, mais Obama avait à 30 ans une conscience de notre monde que peu de ses compatriotes ont.
Des études en droit, il écrit que c'est «une sorte de comptabilité glorifiée qui sert à régler les affaires de ceux qui possèdent du pouvoir - et qui trop souvent cherchent à expliquer, à ceux qui n'en ont pas, la sagesse ultime et la justesse de leur condition.» Mais le droit est aussi une «mémoire» nationale, le «déroulement d'une longue conversation, celle d'une nation qui discute avec sa conscience».
Il a enseigné le droit constitutionnel et a travaillé comme avocat, essentiellement pour défendre des causes communautaires ou lutter contre la discrimination. Puis il s'est lancé en politique en 1997 au niveau de l'État de l'Illinois.
On aura beau dire qu'Hillary Clinton a plus d'expérience que Barack Obama, un fait demeure: quand est venu le temps de trancher dans le plus important débat de politique étrangère de la décennie aux États-Unis, la guerre en Irak, Hillary Clinton était du mauvais côté de l'histoire.
À quoi sert l'expérience, sinon à enrichir le jugement?
Neuf jours avant le vote fatidique au Congrès, en octobre 2002, Barack Obama, qui n'était alors qu'un jeune politicien de l'Illinois, faisait un discours pour s'y opposer fermement. «Même une guerre remportée contre l'Irak supposera une occupation américaine d'une durée indéterminée, d'un coût indéterminé, avec des conséquences indéterminées», disait-il.
Pour un homme dont les ambitions politiques se dessinaient, cette prise de position, sur un sujet qui dépassait largement la compétence du Sénat de l'Illinois, où il siégeait, requérait un cran certain. Et de la vision.
Ça fait changement, il me semble. Ça fait espoir.


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