Le rythme des faits divers s’accélère chaque jour un peu plus. Et avec lui, la liste des victimes s’allonge : Philippe, Mélanie, Thomas ou encore Marin… Pour le philosophe Éric Werner, auteur de «L’avant-guerre civile», ce n’est pas un hasard : l’insécurité sociale, culturelle et physique est un formidable instrument de contrôle des masses.
Vendredi 10 juillet. « Mon amour s’est éteint à 17 h 30 », a simplement écrit sur les réseaux sociaux Véronique Monguillot, victime collatérale de l’ensauvagement de la France, le jour où son mari, conducteur de bus, est mort après avoir été battu à mort par quatre passagers.
« L’histoire est tragique », rappelait Raymond Aron; elle l’est d’autant plus quand, inlassablement, elle se répète. Le 4 juillet, Mélanie Lemée, gendarme de 26 ans, perdait la vie lors d’un contrôle routier à Port-Sainte-Marie (Lot-et-Garonne), délibérément percutée par Yassine E., dealer de coke déjà condamné à trois reprises. En deux jours, la France s’est teintée en orange mécanique, brisant des vies, laissant apparaître sur nos écrans des proches endeuillés et des marches blanches où la dignité, malgré la douleur, prime.
Mais avant ? Avant, il y a eu Thomas, poignardé début mai à Sarcelles par un homme ayant bénéficié d’une libération anticipée, Marie-Bélen, étudiante poignardée à Marseille en mars 2019 pour son portable, Marin, tabassé à coup de béquilles à Lyon en 2016 et qui gardera des séquelles à vie, et, ce dimanche, Axelle Dorier, décédée après avoir été traînée par une voiture sur plusieurs centaines de mètres…
Chaque année, la liste des victimes s’allonge. Ce n’est pas un hasard : nous vivons un état d’avant-guerre civile nous a prédit il y a quelques années, Eric Werner, qui n’a cessé depuis, dans ses ouvrages capitaux, de souligner cette inquiétante propension des États occidentaux à laisser des situations de conflits de basse intensité s’envenimer pour asseoir davantage leur pouvoir et leur légitimité auprès d’une population désemparée. Pour le philosophe suisse, l’accroissement de la criminalité tout comme l’immigration extra-européenne de masse permet un redécoupage de la société en groupes hétéroclites, segmentés et rivaux, qui se neutralise mutuellement au profit d’un nouveau totalitarisme libéral.
Toutes les victimes ne se valent pas
La France et l’Europe sont donc déjà en guerre, mais ils ne le savent pas encore. Selon le rapport Interstats 2019 du ministère de l’Intérieur, plus de 400 000 actes de violences ont été recensés dans notre pays. Voilà bien longtemps que la barbarie la plus sordide occupe l’espace public sous l’appellation pudique de « faits divers ». Et, à chaque fois, la même machine se met en branle : visites de ministres de l’Intérieur, trémolos dans la voix pour promettre que « la justice sera exemplaire », débats sur les plateaux télé où l’expression « vivre-ensemble » est brandi, tel un gri-gri et, finalement, oubli.
Couvrez cet ensauvagement que je ne saurais voir… Christophe Castaner, démis de l’Intérieur le 6 juillet, n’aurait pas mis « un genou à terre » pour Philippe Monguillot, pas plus que Nicole Belloubet aurait proposé à la famille endeuillée de lui rendre visite. Il n’y a pas eu non plus de défilé de people, sans doute trop occupés à se montrer aux manifestations du comité Justice pour Adama ou pour George Floyd, bien plus médiatiquement correct. Après tout, Philippe Monguillot, Mélanie Lemée, Thomas ou encore Marin, victimes tombées au champ d’infamie de l’avant-guerre civile, n’intéressent pas les « élites ». À l’époque de l’égalitarisme acharné, toutes les victimes ne se valent pas.