Il était à prévoir que la crise économique débuterait au Québec le 9 décembre, soit le lendemain des élections, les patrons ayant eu l’amabilité de ne pas importuner Jean Charest avec des licenciements au cours de la campagne électorale. Le jour prévu, Bombardier Produits récréatifs donnait le signal avec l’abolition de 1000 emplois dont près de la moitié à Valcourt. Le lendemain, le groupe minier Rio Tinto, propriétaire de l’Alcan, annonçait la suppression de 14 000 emplois à travers le monde – les usines de Beauharnois et Shawinigan seraient menacés de fermeture – et le report de ses projets de modernisation des alumineries au Saguenay Lac St-Jean. D’autres mauvaises nouvelles débouleront.
La patronat ne voulait surtout pas d’un gouvernement minoritaire, à la merci des partis d’opposition – et donc de l’électorat – pour faire face à la crise. Il aurait été forcé de venir en aide aux chômeurs, aux retraités et aux régions sinistrées pour assurer sa réélection. Le Charest minoritaire était bien gentil, mais le patronat sait qu’il aura besoin du Charest majoritaire, champion des décrets et du bâillon, pour faire face à la crise et à la colère ouvrière et populaire.
Pour assurer sa réélection, Power Corporation a mis la main à la pâte par le biais de sa filiale Gesca qui contrôle la grande majorité des quotidiens au Québec. À chaque soir, le Téléjournal nous en donnait la mesure en présentant le tableau, préparé par la firme Influence Communications, du poids des chefs dans les médias au cours des 48 heures précédentes. À chaque jour, Jean Charest dominait largement avec presque deux fois plus d’attention médiatique que Pauline Marois ou Mario Dumont. Personne ne s’est insurgé, personne n’a protesté, personne n’a demandé qu’on corrige ce déséquilibre flagrant.
Aujourd’hui, la firme Influence Communications reconnaît ouvertement sur son site Internet le lien direct entre la couverture médiatique accordée à chaque parti et les résultats électoraux. On peut y lire que « l'attention médiatique accordée à chacun des partis politiques, pour la période du 6 novembre au 8 décembre, a encore une fois été très représentative du vote final » ! Avec un poids médiatique de 45% , le Parti libéral a obtenu 42% du vote. Avec 33% de l’attention médiatique, le Parti Québécois a recueilli 35% des suffrages et l’ADQ a recueilli 16% des votes avec 17% du poids médiatique.
Malgré tout, Jean Charest ne sourit que d’un côté de la bouche. Sa victoire est entachée par le faible taux de participation. À peine un électeur inscrit sur la liste électorale sur quatre a voté libéral. De plus, la déconfiture de l’ADQ va l’empêcher de se présenter comme centriste et le poussera carrément à droite de l’échiquier politique, là où il loge vraiment.
Mais c’est surtout la performance surprenante du Parti Québécois qui mine la victoire libérale. À la faveur de la crise politique à Ottawa, la question nationale, tenue jusque là sous le boisseau, a refait surface. Ayant tiré les leçons de son échec au Québec lors du dernier scrutin fédéral, le premier ministre Harper a fait le calcul qu’un gouvernement majoritaire était possible sans le Québec, surtout si on faisait campagne au Canada contre le Québec !
Lors de ses charges à fond de train contre la Coalition PLC-NPD, appuyée par le Bloc Québécois, Stephen Harper a ciblé les « séparatistes » du Bloc en proclamant que la fracture entre les souverainistes et les fédéralistes était fondamentale, plus importante encore que la division entre la gauche et la droite.
En fait, M. Harper se sert du clivage national pour imposer sa solution néolibérale à la crise par opposition à la solution keynésienne présentée par la Coalition. M. Harper veut venir en aide aux banquiers et aux chefs d’entreprises. La Coalition ciblait principalement les chômeurs, les retraités et les régions dévastées par les fermetures d’entreprises.
Curieusement, Stephen Harper a une meilleure lecture du lien entre la question nationale québécoise et les idées progressistes que bien des souverainistes et des progressistes québécois.
Dans cette perspective, il faut se réjouir de la rebuffade que viennent de subir, au Parti Québécois, les partisans de la mise en veilleuse de l’option souverainiste et de la soi-disant « modernisation » de la social-démocratie pour conquérir l’électorat adéquiste.
L’ADQ s’est écroulée parce que son idéologie néolibérale et son programme de privatisation et de déréglementation viennent d’être balayés par la crise économique. De toute évidence, le succès électoral de l’ADQ à l’élection précédente n’était pas le résultat d’une subite conversion de l’électorat aux idées de droite, mais un rejet du Charest du premier mandat et un refus d’appuyer un Parti Québécois dirigé par André Boisclair.
L’autre événement majeur du dernier scrutin est l’élection du premier représentant de Québec solidaire à l’Assemblée nationale. Toutefois, l’élection d’Amir Khadir est avant tout un succès personnel. À l’échelle du Québec, les résultats de Québec solidaire sont anémiques, avec un maigre 3,78% de l’électorat. Malgré tout, en divisant le vote souverainiste et progressiste, on peut imputer à Québec solidaire la responsabilité de la défaite de quatre candidats du Parti Québécois, dont le docteur Réjean Hébert dans la circonscription de Saint-François.
Personnalité hautement médiatique, habile politicien, Amir Khadir insufflera un nouveau dynamisme à Québec solidaire. Il faut souligner que cela représente une victoire de l’aile souverainiste de Québec solidaire. Rappelons qu’au dernier scrutin fédéral, Québec solidaire n’a pu faire mieux qu’une dénonciation du gouvernement de Stephen Harper. Paralysé par son aile fédéraliste – des membres influents du parti étaient candidats NPD – Québec solidaire a été incapable d’apporter un appui ouvert au Bloc Québécois. C’était en-deçà de la position de la romancière torontoise Margaret Atwood et des TCA canadiens qui appelaient les Québécois à voter pour le Bloc afin de barrer la voie à Harper.
Le docteur Amir Khadir a appuyé sur une base personnelle le Bloc Québécois lors de la dernière élection fédérale et, farouche souverainiste, a toujours défendu l’idée d’une alliance avec le Parti Québécois. Mais son point de vue n’est pas partagé par l’ensemble de Québec solidaire. Par exemple, dans un ouvrage qui vient de paraître (Un certain espoir, Éditions Logiques), Jean-Marc Piotte, un des bonzes de la gauche québécoise, écrit, dans un chapitre intitulé « Se libérer du fantasme souverainiste » : « Le parti Québec solidaire affirme privilégier les revendications sociales sur la question nationale. Il devrait aller plus loin et libérer son programme de la souveraineté. Il se déprendrait ainsi du vote utile préconisé par les péquistes et irait chercher dans l’ouest de Montréal ce vote progressiste qui est allé aux Verts, faute de mieux. »
Il faut dire que Jean-Marc Piotte – qui s’enorgueillit pourtant d’avoir été un membre fondateur de Parti Pris – affirme dans le même ouvrage que « le peuple ne veut plus se battre pour l’indépendance, parce que le Québec a merveilleusement réussi à se développer culturellement, économiquement et politiquement au sein du Canada et malgré le lien fédéral. »
L’élection d’Amir Khadir va renforcer l’aile souverainiste au sein de Québec solidaire et cela devrait être accueilli favorablement par les souverainistes et les progressistes du Parti Québécois.
Car la crise économique va frapper durement le Québec et la situation sera terrible dans plusieurs milieux. Pour ne donner qu’un exemple, pensons aux travailleurs de la Domtar à Lebel-sur-Quévillon qui, après la fermeture de leur usine pour cause de lock-out il y a trois ans, ont été dirigés vers des formations pour apprendre le métier de mineur, le secteur minier étant alors en pleine expansion. Aujourd’hui, au terme de leur formation, ils assistent impuissants à la fermeture des mines par suite de l’affaissement du prix des matières premières. Quel avenir pour eux et leur famille?
Des cas semblables vont se multiplier au cours des prochains mois. Et il n’y aura pas beaucoup de secours en provenance d’Ottawa avec un gouvernement conservateur – dont la priorité demeure une guerre toujours plus coûteuse en Afghanistan – plus enclin à se porter à la rescousse des provinces où il espère conquérir une majorité parlementaire afin d’avoir les coudées franches pour venir en aide aux chefs d’entreprise et demander des concessions aux travailleurs.
Inévitablement, sur fond de crise sociale, la question de la souveraineté du Québec va se poser. C’est le levier dont il faut se saisir pour déstabiliser l’establishment financier et militaire canadien et imposer une solution progressiste à la crise économique, politique et constitutionnelle canadienne pour le plus grand profit de la nation québécoise, mais également des travailleurs et des travailleuses du Canada anglais. Aux progressistes et aux souverainistes du Parti Québécois et de Québec solidaire de proposer un programme, une stratégie et des moyens d’action appropriés!
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