Dans un discours mémorable prononcé à la Chambre de commerce de Québec en décembre 2005, Stephen Harper avait prétendu ouvrir une nouvelle ère dans l’histoire des relations fédérales-provinciales canadiennes en promettant l’adoption d’une « Charte du fédéralisme d’ouverture ».
Concrètement, un gouvernement conservateur allait éliminer le déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces, encadrer le pouvoir de dépenser qu’Ottawa utilisait pour envahir leurs champs de compétence et reconnaître au Québec des « responsabilités spéciales » en matière de langue et de culture, notamment en lui permettant d’être représenté à l’UNESCO avec un statut semblable à celui dont il bénéficiait au sein de la Francophonie.
Certes, il n’était pas encore question d’une réouverture formelle de la Constitution honnie de 1982, mais M. Harper laissait agréablement entrevoir cette possibilité « quand les circonstances y seraient favorables ».
Ce discours avait eu un écho considérable. Que le premier ministre Charest s’en réjouisse n’avait rien d’étonnant, mais Jacques Parizeau lui-même avait reconnu que les engagements de M. Harper constituaient une avancée significative.
La déception a été à la mesure de l’espoir créé. Une motion reconnaissant que « les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni » a bien été adoptée par la Chambre des communes, mais elle avait un caractère strictement symbolique.
Le déficit fiscal n’a été éliminé qu’en multipliant les baisses d’impôt, qui ne réglaient en rien le problème de la disproportion entre les responsabilités des provinces et leurs revenus. Le siège à l’UNESCO était en réalité un strapontin au sein de la délégation canadienne, et la limitation du pouvoir de dépenser ne concernait que des programmes tombés en désuétude. Quant aux nouveaux pouvoirs en matière de langue et de culture, on n’en a jamais vu la couleur.
Il est vrai que le résultat de l’élection de janvier 2006 a constitué une grande déception pour les conservateurs. Malgré tous les efforts de M. Harper, son parti n’a récolté qu’une dizaine de sièges au Québec, qu’il a trouvé bien ingrat. La détérioration de ses relations avec Jean Charest n’a rien fait pour améliorer les choses et les élections suivantes n’ont fait qu’accroître sa frustration.
Cet échec ne semble pas avoir découragé son successeur, Andrew Scheer, qui s’essaie à son tour au grand jeu de la séduction. Il se dit ouvert à une déclaration d’impôt unique, laisse entrevoir de nouveaux pouvoirs pour le Québec en matière de culture et d’immigration, de même que l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser.
Ces « propositions concrètes qui donneront des résultats tangibles » seront au coeur de la tournée de consultations dont M. Scheer a donné le coup d’envoi jeudi et que son lieutenant québécois, Alain Rayes, poursuivra au cours des prochaines semaines.
Coïncidence, ces propositions correspondent à des demandes contenues dans le « Nouveau projet nationaliste de la CAQ ». Jusqu’à présent, François Legault était handicapé par la certitude que ses demandes se heurteraient à un refus catégorique auquel il ne saurait pas quoi répliquer. Il pourra maintenant prétendre qu’un parti qui a des chances réelles de prendre le pouvoir à Ottawa est prêt à en discuter.
L’ouverture manifestée par le chef conservateur permet du même coup de mettre en exergue la timidité du gouvernement Couillard, qui préfère ne rien demander, de peur qu’une fin de non-recevoir apporte de l’eau au moulin souverainiste.
Les conservateurs ont tout intérêt à donner de la crédibilité à la CAQ, qui pourrait devenir une précieuse alliée si elle remporte l’élection du 1er octobre prochain, même si François Legault et Andrew Scheer n’ont pas d’atomes crochus sur le plan personnel.
À une autre époque, on a déjà vu la formation d’un axe bleu qui a bénéficié aux conservateurs. En 1958, c’est la machine électorale de l’Union nationale qui avait permis à John Diefenbaker de balayer le Québec, alors que les libéraux semblaient inexpugnables.
La comparaison a évidemment ses limites. L’organisation de la CAQ n’a rien à voir avec le rouleau compresseur de Duplessis, mais elle pourrait sans doute donner un coup de main dans quelques circonscriptions ciblées par le PC.
En 2006 et en 2008, Stephen Harper n’avait pas réussi à ébranler l’hégémonie que le Bloc québécois exerçait sur l’électorat québécois depuis sa fondation, et l’effondrement de 2011 a profité essentiellement au NPD de Jack Layton. C’est toutefois à se demander si l’un ou l’autre de ces deux partis réussira à faire élire des députés au Québec à l’élection de 2019. Au train où vont les choses, le Bloc aura peut-être même disparu.